Claire Gimatt en trio 2021 (©Claude Fèvre)

Claire Gimatt en trio, 2021 (© Claude Fèvre)

15 juin 2021 – La tra­ver­sée d’un cau­che­mar voluptueux

Deuxième concert de Claire Gimatt en trio

Avec

Claire Gimatt (cla­viers, chant, danse) Elo­die Poi­rier (vio­lon­celle, chœurs) Céline Biol­zi (bat­te­rie, chœurs)


Le Bijou (Tou­louse) 

*D’après « Je vou­drais que la lec­ture de ce livre vous laisse l’impression d’avoir tra­ver­sé un cau­che­mar volup­tueux. » Fer­nan­do Pes­soa, Le Livre de l’intranquillité.

***

Use­ra-t-on des mots du poète por­tu­gais dont Claire Gimatt s’inspire quand on s’éloignera de la salle de concert ? Sau­ra-t-on dire de quel monde nous nous sommes appro­chés ? Aurons-nous plon­gé dans la toile qu’elle des­sine et peint pour nous, comme elle le fait, en chan­son, dans un tableau de Dali ? Ce sont les ques­tions que nous nous posions avant même de décou­vrir le trio, tant l’album Sor­cières nous avait déjà bou­le­ver­sée, comme beau­coup d’autres si nous en jugeons par la qua­li­té du dos­sier de presse, à com­men­cer par l’article paru dans Télé­ra­ma.

En ouver­ture, c’est d’abord a capel­la que Claire chante der­rière son micro cen­tral, auréo­lée de ses che­veux blonds, sil­houette de jeune femme d’aujourd’hui, avant d’être rejointe par deux musi­ciennes cho­ristes, l’une à la bat­te­rie et aux per­cus­sions, l’autre au vio­lon­celle. Très vite les mots que l’on retient évoque l’étrange et l’inattendu, une femme à la robe de pierre, pas faite pour voler… Et pour­tant, ce que le rythme appuyé de la bat­te­rie et le vio­lon­celle sug­gèrent, en appoint de la voix de Claire si sin­gu­lière dans ses graves, dans ses into­na­tions anda­louses, c’est que cette robe de pierre ne résis­te­ra pas à son désir de voler.

Dès les chan­sons sui­vantes, appa­raissent une femme d’autorité déchue, La baronne, un fan­tôme « au grand cha­peau trous­sé », sui­vie de L’aviatrice où le pia­no de Claire se fait léger avant qu’elle ne des­sine des ara­besques avec ses bras nus. Et c’est à trois, dans une poly­pho­nie proche de celle des chan­teuses de l’Est que se fera la quête de la sor­cière… Nous avan­çons avec elles dans un décor oni­rique, entre rêve et cau­che­mar, en com­pa­gnie des Pleu­reuses, pia­no et vio­lon­celles aux sons filés en escorte.

Nous ne serons alors pas si éloi­gnés de croire à une autre vie, « seconde et inin­ter­rom­pue », la vie rêvée de Fer­nan­do Pes­soa, celle que l’on peut dis­cer­ner dans le noir. Nous sommes prêts alors à accueillir la marche noc­turne de l’Orme, déli­vré de la terre qui empri­sonne ses racines, avec, à sa suite, une blanche sil­houette, nous ver­rons aus­si « Un joli brin de fille /​au gilet rouge sombre /​sur une robe brune /​dans une rue obs­cure »… mais aus­si le com­bat de Marine à la chasse au monstre, et tant pis (tant mieux ?) si « dans un éclat de rire la bête emporte Marine… ». Nous aurons vu dan­ser Claire, nous aurons vu son corps prendre le relai de la musique et des mots, nous l’aurons vue, dans ce « cau­che­mar volup­tueux », bien près de voler !

Quand la salle se ral­lume, les spec­ta­teurs sont debout et ova­tionnent lon­gue­ment le trio.

Nous savons déjà que nous revien­drons écou­ter Claire Gimatt et sa pro­messe d’irréel pour plon­ger à sa suite dans une toile de Dali « là où les élé­phants sont les reflets des cygnes », « le temps d’un bat­te­ment de cils »…

« Et mon corps en émoi
qui fré­mit d’im­pa­tience
du monde je ne vois
que des fan­tômes qui dansent »