Billet d’humeur- Pic d’Or 2019 (©François Alquier)

Billet d’humeur- Pic d’Or 2019 (©Fran­çois Alquier)

24 & 25 mai 2019, Pic d’or – Prix du Public – Prix d’interprétation – Prix de la créa­tion /​Aca­dé­mie Charles Cros

Billet d’Humeur

Avec

Brice (Chant lead, textes) Allan (Chant, beat-box) Davy (Chant) JB (DJ )


Théâtre Les Nou­veau­tés – Tarbes  (Hautes-Pyré­nées)

« Allu­mer le feu, allu­mer le feu /​Et faire dan­ser les diables et les dieux /​Allu­mer le feu, allu­mer le feu /​Et voir gran­dir la flamme dans vos yeux /​Allu­mer le feu » chan­tait l’immense John­ny Hal­ly­day … Exces­sif, « too much » pour­ra-ton nous rétor­quer mais c’est pour­tant à ce ver­sant de la chan­son en scène que nous pen­sons. Ici, pour­tant, pas de lasers ni d’effet spé­ciaux, pas même de bat­te­rie, de gui­tares. Et pour­tant, dans une après-midi d’auditions qui nous sem­blait s’enliser un peu, la scène s’est sou­dai­ne­ment mise à vibrer avec la chan­son du quar­tet Billet d’humeur. 24 h plus tard, leur pas­sage en finale leur valait trois prix : celui du public –sur ce point le résul­tat ne fai­sait aucun doute si l’on en juge par l’ovation qui leur fut accor­dée – celui de l’interprétation et celui de la créa­tion remis par l’Aca­dé­mie Charles Cros.

Trois grands gars, des black superbes à leur micro en avant-scène, un qua­trième, DJ, nom­mé JB, un « blanc », en fond de scène, avec ses machines… Pen­dant qu’ils s’installent, on a le temps d’observer leur tenue sty­lée, un savant camaïeu de beige et de brique qui s’harmonise si bien avec les peaux brunes… Et avec ce théâtre de rouge et d’or. Ils ont un sens aigui­sé de l’image, comme on pour­ra le véri­fier sur leurs pho­to­gra­phies signées Yann Orhan. On apprend aus­si leur véri­table engoue­ment pour la musique, la chan­son, le show dont ils se sont nour­ris enfants, ado­les­cents, devant leur écran de télé­vi­sion… Des heures à regar­der la chaîne amé­ri­caine MTV, ses vidéo-clips des années 90. C’est leur école, leur bous­sole, comme pour quan­ti­té de jeunes de leur géné­ra­tion. Aujourd’hui, sans cesse en créa­tion vocale, à l’écoute du cœur bat­tant de la chan­son, c’est avec ce qu’ils appellent leurs « pas­tilles courtes » (1 mn 30) qu’ils s’exercent à reprendre, recréer des titres fran­çais. Sur leur site inter­net (http://​billetd​hu​meur​.com) on trouve ain­si Adieu mon homme (Pomme), Por­to-Vec­chio (Julien Doré), Jalou­sie (Angèle), La pluie (Orel­san)…

En quelques secondes sur la belle scène et sous les ors du théâtre Les Nou­veau­tés, on com­prend que cette fois le pro­jet a une per­son­na­li­té folle. Leur chant poly­pho­nique, fruit d’un tra­vail évident, est por­té par la ryth­mique du beat box d’une part et par les sons enre­gis­trés, par l’électro d’autre part. Un syn­cré­tisme sub­til, un « mel­ting pot » musi­cal entre ce qu’il existe de pri­mor­dial et pre­mier – la voix et ses effets – et ce que les nou­velles tech­no­lo­gies ins­pirent à la jeune géné­ra­tion. Il leur fal­lut don­ner un nom à cette alliance étran­gère au monde codi­fié de la musique. Ce fut « pop vocale /​élec­tro »… Soit. Mais cette déno­mi­na­tion ne sau­rait suf­fire car il fau­drait pou­voir y ajou­ter l’expression cor­po­relle du groupe. Le chan­teur, auteur, pré­nom­mé Brice pos­sède un talent de show man, assez vite rejoint par son frère jumeau, Allan à sa droite, par ailleurs beat-boxer, et Davy, leur ami d’enfance (et de foot !) à sa gauche. Leurs chan­sons cho­ré­gra­phiées sont un appel à « faire dan­ser les diables et les dieux ». Pas éton­nant, avec ce sens inné de la danse que leur donnent leur racines ango­laises pour Brice et Allan, antillaises pour Davy. 

Quant au texte, on s’intéressera ensuite volon­tiers à leur pre­mier album, Hol­ly­wood, paru en octobre der­nier, pour appré­cier les thèmes abor­dés. Certes, il ne s’agit pas d’une créa­tion aux ambi­tions poé­tiques, mais d’une chan­son qui se veut effi­cace et per­cu­tante en abor­dant sim­ple­ment des ques­tions sen­sibles, qui accordent beau­coup de place au « fémi­nin ». Billet d’humeur, dit le nom du groupe, expres­sion courte d’un res­sen­ti, d’un évé­ne­ment… Un ins­tan­ta­né, dirait-on en pho­to­gra­phie. C’est ain­si que le groupe aborde les rela­tions amou­reuses, évi­dem­ment, mais en poin­tant du doigt leur com­plexi­té : la sépa­ra­tion par excès d’égocentrisme (Ego), le poids des appa­rences (Daisy/​Ma cou­leur) les amours tari­fés (24 Cla­ra). Quant au titre Si mas­cu­lin, il n’est sans doute pas pour rien dans l’obtention de leurs prix, en abor­dant la ques­tion de la vio­lence conju­gale du point de vue de la femme bat­tue. « Tu ne mesures pas la force de tes poings ». Mais on sera aus­si très sen­sible à cette chan­son inter­pré­tée au Pic d’or qui pose des mots simples sur la peur de voir mou­rir sa mère d’un can­cer… En fin de chan­son, Brice se ceint d’un pagne de tis­su wax pour dan­ser, dos à la scène, à la façon des femmes afri­caines, « chan­tons cet air entê­tant pour oublier le mal »… Une belle façon d’exorciser la peur de la mort.

Si l’album est un indis­pen­sable outil de com­mu­ni­ca­tion, il ne sau­rait cepen­dant don­ner la mesure de ce que ce groupe peut offrir en concert. On y devine un sou­ci de ce lan­gage du corps qui s’applique à tout spec­tacle vivant. Peut-être cer­tains voya­geurs du métro pari­sien se sou­viennent-ils d’eux. Car c’est là qu’ils ont d’abord exer­cé leur talent et ont appris à convaincre le public… Redou­table école, si l’on veut bien en conve­nir ! C’est d’ailleurs ce qui leur valut de mon­ter sur la scène de l’Olym­pia en novembre 2017, sélec­tion­né par les usa­gers et d’ouvrir le show dans le cadre des « Vingt ans des musi­ciens du métro ». Ils ont pu par­ti­ci­per au bœuf final aux cotés de -M-, croi­ser en cou­lisses Oxmo Puci­no, Tété

L’histoire sans doute ne fait-elle que com­men­cer pour ces quatre gar­çons dans le vent des musiques actuelles, pas­sion­nés de chant, de chan­sons et de danse.… Cette année le pal­ma­rès a cha­hu­té plus que jamais les codes et les cases. Où s’en va la chan­son ? En sui­vant les édi­tions du Pic d’Or, on en sait inévi­ta­ble­ment un peu plus…