B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

B. comme Fon­taine (© Her­vé Suhubiette)

5 et 6 avril 2016 – B. comme Fontaine

avec Her­vé Suhu­biette (chant), Lucas Lemauff (chant, pia­no), Fer­di­nand Dou­merc (chant, saxo­phones et flûte) et Eugé­nie Ursch (chant et violoncelle)

Le Bijou (Toulouse)

« Après son retour dans les années 90, Bri­gitte Fon­taine est deve­nue une sorte d’égérie, un per­son­nage média­tique. Si tu t’arrêtes au per­son­nage il peut paraître insup­por­table, comme Gains­bourg à un moment don­né. Car les inter­ven­tions de Fon­taine, cette folie, cette sorte de pro­vo­ca­tion per­ma­nente peuvent faire fuir. Mais ce serait dom­mage car il y a une œuvre, une œuvre consi­dé­rable. On passe sou­vent à côté des gens à cause des éti­quettes qu’on leur colle. C’est rare en chan­son quand, lorsque tu fais tom­ber la musique, le texte reste debout. Si tu lis la poé­sie de Bri­gitte Fon­taine : c’est d’une force ter­rible ! Je ne pense pas que les gens la connaissent vrai­ment. Sans par­ler de « réha­bi­li­ta­tion », j’avais envie de mon­trer cela. »

Her­vé SUHUBIETTE répond aux ques­tions de Michel GALLAS pour HEXAGONE

Ce n’est pas une petite entre­prise que de se lan­cer dans la reprise de Bri­gitte Fon­taine. Pour­tant il fau­dra davan­tage que la poé­sie, l’absurde, le sur­réa­lisme, tous ces mots qui collent à l’artiste et à ses chan­sons, pour arrê­ter Her­vé Suhubiette.

On sait qu’il aime par-des­sus tout l’aventure créa­trice, celle qui ras­semble, confronte les uni­vers musi­caux. Et cette fois-ci encore il n’a pas man­qué de s’entourer de trois fameux talents qui trouvent cha­cun à mettre leur pierre sin­gu­lière à l’édifice : Eugé­nie Ursch et son vio­lon­celle, ses recherches sans fin autour de son ins­tru­ment, de sa voix et de son goût pour les langues d’ailleurs, Lucas Lemauff de plus en plus comé­dien, de plus en plus insai­sis­sable, chant, effets vocaux, pia­no, accor­déon – il est doué pour tout ! – et Fer­di­nand Dou­merc, à la flûte et au saxo, qui se révèle aus­si chan­teur et dont on connaît les recherches aux côtés du groupe Pul­ci­nel­la, « Jazz omnivore ».

En quit­tant la salle on est sous l’effet d’un ver­tige. On ne sait par quel mot qua­li­fier ce tour­billon de mots et de sons. De la folie, oui, de la folie, celle que l’artiste fan­tasque, Bri­gitte Fon­taine, paraît tutoyer de si près.

Le ton est don­né par les éclai­rages tout en « clair-obs­cur », un poste de radio années 50, d’où la voix de Bri­gitte Fon­taine s’échappe à plu­sieurs reprises. Dès l’ouverture on l’entend dire Pre­mier juillet, extrait de l’album de 1972 Comme à la radio, dont le titre épo­nyme donne lieu à une inter­pré­ta­tion magis­trale du quar­tet. On sai­sit alors que le concert nous entraî­ne­ra sur des rives poé­tiques que le mou­ve­ment sym­bo­liste de la fin du XIXe n’aurait pas déser­tées. Mais il fau­drait y joindre la rage, la dénon­cia­tion impli­cite d’un monde où règne injus­tices, humi­lia­tions, cruau­tés, souf­frances… « On se moque de nous ici »… Et si Dieu existe, c’est « un grand mal­po­li » !

Assu­ré­ment c’est le spec­tacle, la mise en scène des textes, ce tour­billon de recherches ins­tru­men­tales, ces atmo­sphères sonores, ces voix en chœur ou en solo qui sauvent du déses­poir de cette réa­li­té mor­ti­fère. Dans une mise en abyme que l’on devine savam­ment réflé­chie, les arran­ge­ments traitent les textes avec dérai­son, déri­sion, au bord du tin­ta­marre, du cha­ri­va­ri, du tohu-bohu : « Le che­min est si beau du ber­ceau au tom­beau /​Nous irons voir flam­ber la ville tumé­fiée /​La vie est une foire j’ai mis ma robe en moire… » (Le Gou­dron). Alors, il ne nous reste plus qu’à chan­ter, jouer… « Il fait froid dans le monde /​ça com­mence à se savoir » Com­ment vivre, sur­vivre ? « Juste de la musique, juste des mots… tout juste un peu de bruit, comme à la radio… »

Avec Bri­gitte Fon­taine, on fait à tout moment un pied de nez à la mort… « Com­ment peut-on être mort ? » et quand on aborde la ques­tion de l’amour – les deux se font signe sou­vent… Je t’aurais bien invi­té à venir boire le thé /​Dom­mage que tu sois mort ! – on com­prend assez vite que c’est la pire des mas­ca­rades, une fois pour toutes « l’amour c’est du pipeau /​c’est bon pour les gogols »… et le quar­tet en pro­fite pour ne pas faire sem­blant en offrant un qua­tuor de flûtes à bec ! La seule vraie sau­ve­garde serait du côté de l’enfance et de ses forces créa­trices, si tou­te­fois on ne l’égare pas en soi… C’est ce que nous raconte l’interprétation solo de Lucas Lemauff dans le titre célèbre L’enfant que je t’avais fait.

Car pour sur­vivre à la tra­gé­die du genre humain il faut déci­dé­ment une sacrée atten­tion à l’insignifiant, au déli­cat, au tendre : « Je ne crois plus qu’à un petit brin d’herbe oublié sur la voie fer­rée »…

Les textes de Bri­gitte Fon­taine, leur puis­sance et leur folie, l’originalité des arran­ge­ments, le tra­vail vocal font de B. comme Fon­taine un spec­tacle majeur de cette saison.