Festival du Verbe au féminin, 2022 (© Cara Mia)
17 septembre 2022 – Il y a des mots magiques, savez-vous ? (Anne Sylvestre)
Pour sa 20e édition, le Festival honore le Verbe au féminin, le dire, le parlé, le chanté… Jour 1
Avec,
Dick Annegarn – Jour 1 – Lise Martin en solo – Nina Goern (Cats on trees) en duo piano/violon – Yolande Moreau dit (et chante !) Jacques Prévert – Hervé Suhubiette chante Anne Sylvestre, création avec Stéphanie Pons et Lucile Duran (violon) Louis Merlet (alto/oud) et Alice Mathe (violoncelle) – les lauréats des Joutes Verbales Interlycées.
Animation de Luc Tallieu
Camping du Moulin – Martres-Tolosane (Haute-Garonne)
« Les femmes, elles sont dans les écoles, dans la poésie, dans les arts, elles ont un verbe différent, plus exact souvent, plus musical, plus élégant. »
Dick Annegarn interviewé par Pascal Alquier (La Dépêche du Midi (17 septembre 2022).
Bien entendu, Dick Annegarn, néerlandais, belge, berbère dit-il… et toujours pas français !, est venu par deux fois, au début et à la fin du Festival du Verbe, rappeler le projet qui lui tient à cœur dans ce territoire du Comminges où il a fini par poser ses bagages. Il tient à nous parler d’« oraliture », c’est-à-dire de tout ce capital de langues parlées, patois, « mal parlé », argot, mots des jeunes, jargons professionnels, langues régionales…, de l’Epicentre de Martres-Tolosane où se déroulent tout au long de l’année des causeries, des spectacles poétiques, des ateliers d’écriture, des scènes ouvertes, des rencontres chorales, des résidences, et de la Verbothèque de Saint-Martory… Il aime nous donner des chiffres, par exemple ces 100 millions de francophones qui ne sont pas français, ces 70 langues parlées en France – l’alsacien étant la langue régionale la plus parlée – il insiste sur les deux millions de français qui parlent berbère, langue qui n’est pas écrite et possède sa poésie, ses chansons… Ce festival est donc l’occasion d’illustrer cette richesse, cette diversité de l’oraliture…
On a confié à Lise Martin, le soin d’ouvrir cette 20e édition. Comme chacune des invitées, elle a carte blanche… Elle apparaît dans le ciel bleu qui lui sert de fond de scène, plus folk que jamais, seule avec sa guitare et son fidèle ukulélé, dans sa longue robe fleurie. L’image est belle et ce n’est pas rien pour tous ceux qui l’écoutent dans un silence émouvant, assis ou allongés dans l’herbe, sur les rangs de chaises, à l’abri des parasols qui ont été déployés par cette belle journée d’été indien… Il est vrai que l’atmosphère est recueillie et c’est si bon de visiter à nouveau le répertoire de Lise, de croiser « un ange noir au visage pâle », ce vieux monsieur qui lui donna « la force des forêts », de voir « [neiger] des pétales de fleurs », de se sentir appeler à se défaire de ce qui pèse, de ce qui est trop lourd… d’écouter des reprises, La main gauche de Danielle Messia, La noyée de Gainsbourg, une adaptation très personnelle du Crépuscule de Victor Hugo et pour finir, celle très personnelle de Léonard Cohen… Nous ne sommes pas loin de jeter ce qui encombre quand elle nous invite à danser jusqu’au bout de l’amour ou lorsqu’elle dit des poèmes empruntés à Anna Akhmatova, Penti Holappa, Marina Tsetaïeva, François Montmaneix, Jacques Gaucheron et Guillevic.
Vient ensuite Nina Goern des Cats on Tree. Grimpée sur la haute chaise jaune de Dick, elle inaugure les interviews des lauréats des Joutes Verbales Interlycées… De quoi clouer le bec à tous ceux qui doutent des jeunes générations. Ils sont informés – ce qui signifie qu’ils sont travaillé en amont – sont de brillants locuteurs, pertinents dans leurs questions… Ils complètent admirablement les interventions du présentateur Luc Tallieu. Aujourd’hui ils se prénomment Simon, Anthelme, Sibyle, Nathan… Demain Noémie et Antonio… Et c’est ainsi que nous faisons connaissance avec l’histoire personnelle et artistique de Nina qui ne tarde pas à nous offrir un enchaînement de poèmes et de chansons dans un élégant duo piano et violon… On reste étonnés – ébahis, osons le mot ! – de ce qu’elle crée à partir d’une chanson de Dick, L’institutrice, « Elle était petite et grisonnante /Habillée et habile comme une gouvernante… », de sa lecture d’un poème de son père « Que toujours soit loué le chant de la vie qui résonne en nous… » qu’elle chante ensuite en allemand, des poèmes d’Aragon et surtout, surtout, de la version très originale de Vers à danser… « Que ce soit dimanche ou lundi, soir ou matin… » Il faut oser, avouez, se démarquer de la version de Jean Ferrat !
Quand vient Yolande Moreau, d’abord interviewée par les lycéens, on voit affluer un grand nombre de spectateurs… On la découvre enfant perturbatrice, très mauvaise élève, puis tardivement à l’école de clowns, déterminante pour elle, influencée par les deux cultures à la maison, néerlandophone et francophone, où règne une éducation catholique pour les filles – elles sont quatre ! –, la sensation d’être au bord d’un précipice pour son premier spectacle, le cinéma, son prochain film en plein montage, la rencontre avec Jérôme Deschamps… Elle répète que ça l’amuse d’être là ce soir et nous le vérifierons dans son Prévert. Quelle interprète, quelle artiste vraiment, qu’elle dise ou qu’elle chante ! De La grasse matinée, La Chasse à l’enfant à Je suis comme je suis, en passant par Familiale… Bref, un régal, sans oublier Dieu dans tout ça et de s’en prendre au catholicisme ! Croyez-moi, on n’oubliera pas, dans une chanson courte, la quéquette à Jésus-Christ !
Après l’ovation faite à Yolande, dans la fraîcheur du soir et sous le ciel qui s’obscurcit, c’est Hervé Suhubiette chantant Anne Sylvestre qui s’installe avec son piano toy et un quatuor à cordes… Une création qui s’ouvre sur un texte dit, Les mots magiques, une « fabulette » donc… tellement à propos ce week-end ! Outre son travail d’arrangeur dont on a tant de fois vérifié l’ingéniosité – le quatuor offre à lui seul un concert en hommage à la compositrice ! – Hervé a choisi de tendre une passerelle entre Anne, plus exactement ses chansons, et lui… Une forme d’autoportrait, une quête de soi « Mais moi je ne sais rien, je cherche mon chemin /J’avance et je me bats… » et des autres, car, bien entendu, on le sait, les ruisseaux se passent mieux à deux : « Je veux te prendre sur mon dos pour sauter le ruisseau… » Mais l’entreprise est de taille, car chez Anne, comme chez Hervé donc, « Tout s’mélange »… A commencer par le féminin et le masculin, Hervé ne touchant jamais à l’énonciation féminine, et nous apparaissant presque fragile, malgré sa manière d’être en scène, proche d’un Claude Nougaro boxant les mots. On devine l’enfance, ce qui s’est transmis, ce qui ne l’a pas été, comme se sentir fragile et faire face à ce qui blesse. En invitant en scène Lise Martin pour deux chansons il ajoute encore à cette sensibilité, avec la mélancolie du titre Les arbres verts, accompagné par les sonorités du oud et du tambour, puis la douceur d’un duo amoureux confiant, « Si la pluie te mouille /Ce n’est que de l’eau… »… Le concert s’achève sur la question du féminin avec une version parlée, tellement profonde de cette chanson essentielle Une sorcière comme les autres suivie de Comment je m’appelle. Cette quête de soi se referme sur l’incontournable appel vital à la création : Écrire pour ne pas mourir… Au fond, pour Hervé, comme pour d’autres artistes, sans doute ne se découvre-t-on vraiment que dans cette bulle où l’on conçoit, invente, triture les mots et les sons…
Pour l’occasion et faire un clin d’œil au concours de haïkus proposé pour cette édition, on vous propose celui-ci, illustrant ce dernier concert :
« Anne ma sœur Anne
Au velours des violons
Ta voix vigile encore »