Garance, Bleu – (@David Desreumaux – Romain Dao)
3 septembre 2021, sortie de l’album live, Bleu, enregistré en public à la Maison des loisirs et de la culture de Gauchy et au Forum Léo Ferré d’Ivry-sur-Seine, les 11 et 15 février et le 6 mars 2020,
Avec elle dans la salle, dans l’histoire, dans sa tête
Avec
Garance Bauhain (textes et musiques, guitare acoustique, voix), Daniel Jea (guitare électrique, chœurs), Gabriel Le Masne (batterie, claviers, chœurs)
Bleu
comme ce en quoi on croit
Bleu
qui élève ou qui soumet
Bleu
qui nous perd et mène à la lisière
Bleu
comme une histoire d’amour…
Te dire ce qu’il s’est passé
Décidément et carrément Bleu donc. Suivant en cela la passionnante enquête historique de l’historien des couleurs Michel Pastoureau (éditions Points) qui écrit « depuis longtemps la culture occidentale fait bloc autour de la couleur bleue », quand le Japon, par exemple, lui préfère le blanc, Garance rejoint bien d’autres chanteurs dans ce goût du bleu. Citons seulement Daguerre et ses deux derniers disques-livres ou Lucas Rocher dont le dernier EP à la couverture nimbée d’un bleu tendre sort conjointement ce 3 septembre. Pour tenter de saisir ce que Garance nous suggère en nous emmenant dans sa maison de Bleu allons directement à la chanson, la vingtième, titrée Toi tu es bleu : « Mon endroit est ici /Toi ma couleur primaire /Mon ancrage ma folie /Mon refuge pour l’hiver /Ma montagne pour la nuit. » Amant de la nuit, ami, amour ? Allez savoir. Ce qui est sûr, c’est que ce bleu est l’objet de son attente, de son espérance… Et sans doute, souvent, de la nôtre.
Disons- le d’emblée, quelle généreuse idée que de nous livrer un album « live », c’est-à-dire un album qui restitue au plus juste, au plus près, le son, les instruments, les voix, les chœurs et même ceux du public, les mouvements, menus incidents du concert, les intermèdes entre les chansons, la présence du public, ses applaudissement, sa chaleur, sa connivence. Vingt et une chansons enregistrées juste avant que ne s’abatte sur le spectacle vivant une chape de plomb.
Les premiers mots, ceux du prologue, la mettent immédiatement en scène, ELLE « en jachère », « en pyjama, sous une couverture, en plein hiver » et son irruption à LUI… Et voilà. C’est là que tout commence et, croyez-le bien, on ne va plus lâcher cette histoire, ou plutôt ces histoires.
Le plus souvent, ELLE n’en finit pas avec cette guitare électrique qui la suit, délicate, traque ses hauts et ses bas, de mettre à jour ses questions, ses refus, ses colères et son immense tendresse. Bien sûr ELLE est lucide, se regarde sans concession : « Elle rigolerait maman », quand elle s’imagine femme et mère, « Entre mômes et boulot /Etre danse et judo /C’est pas de bol… », quand elle a « l’cœur qui explose » et qu’elle lâche tout, l’impatience, le désir fou « Qu’on fasse sa race au désespoir /Qu’on fasse un grand fuck à la mort », quand ELLE combat pour elle et pour toutes ses « sœurs » et que les mots explosent, tirent à vue, « Je n’écrirai pas de chanson pour toi » – Jour de poisse, une chanson plébiscitée par le public, qui pourrait bien être son étendard pour longtemps – quand elle hurle ces mots insoutenables, ceux de l’homme aux mots poisseux comme l’alcool qui l’enivre et ceux de la femme humiliée, frappée, et que revient le bleu en filigrane « Avant j’voyais déjà le ciel /Se déplacer vraiment /J’voyais la pluie tomber des ailes /J’voyais le bleu maman ». Quand il lui faut vivre cette petite valse lente, celle de l’absence et du silence, la vie qui continue malgré tout, les rires, les arbres, les gens qui passent, le café qui coule… Quand elle hiberne en attendant l’été et que la photographie de David Desreumaux dans le livret nous la montre en position fœtale sur le plancher, en attendant que revienne le chaud… Quand défilent les images du souvenir, le feu dans la cheminée, la pluie, la mer, le sel, la tarte aux pommes, la pelote de laine bleue ( !), celles de la solitude « Quand ton cœur n’est plus qu’une éponge /Comme desséchée sous la chaleur /mais c’est pas la chaleur qui ronge »… Nous la suivons, inévitablement quand, en fin de concert, elle proclame : « J’ai trois frères dans les veines /Qui connaissent mes sanglots /J’ai des sœurs par centaines /je vous ai dans la peau ». Mais surtout, surtout, ELLE nous est proche, si proche quand elle rêve, imagine comme dans cet intermède Ta tasse de thé « Je préfère boire /Dans ma tête /Ta salive /Tes pieds dans mes pieds /Tes yeux dans mes /Mirettes… ou bien dans Costume, « J’ai tant fait l’amour dans ma tête … Tu étais si beau dans mes rêves » où l’on garde au chaud ces mots, ultime porte à ouvrir pour qui veut s’y risquer… et parvient à dénicher la clef :
« Il reste une dernière part de tarte /Et dedans j’ai caché la clef… »