Albums de Claude Michaud & Bernard Lomé, mai 2022 (©Claude Fèvre)
15 mai 2022, C’était le temps du vent, album 13 titres, de Bernard Lomé, sorti le 13 mai 2022 – Passages de Claud Michaud, album 10 titres, concert de lancement le 3 mai 2022 au Québec
La poésie, la voilà…# 2
Avec
Bernard Lomé (paroles sauf quatre poèmes empruntés à René Guy Cadou, musiques sauf titres 1, 4, 11, 12- chant) Jack Ada (arrangements, guitares, violoncelle) Sami Benmehidi (guitare électrique chant) Yann Le long (piano, claviers) François Fauchard (accordéon, accordina) Fabrice Pontgerard (flûte) Harry Fruteau, Sandro Ganofski & Patrice Decubber (percussions Maloya) Freddy Legoff (banjo) Alain Baillet & Jielpi (chœurs)
Claud Michaud (paroles, chant) Francis Covan (musiques, accordéon, violon, mandoline, claviers) Alain Picotte (contrebasse, basse) Fabrice Laurent (batterie) Claude Chaput (piano, claviers) Francis Tétu et Réjean Bouchard (guitare) Annick Beauvais (hautbois)
Si je suis né c’est à la vague
A la molle et blanche vague
A la chanson de la mort lente
A la douceur des terrains vagues
René Guy Cadou, Prière s’insérer
EPM musique ne nous en voudra pas de faire un pas de côté en imaginant une passerelle entre l’un de ses artistes, Bernard Lomé, et Claud Michaud, chanteur québécois qui nous a remis son album au moment même où nous nous plongions dans la nouvelle livraison du label… On a, bien sûr, savouré le 2ème opus de la collection NosEnchanteurs/EPM ce Brassens « alternatif » tellement original, tellement vivifiant, le double album jubilatoire d’Entre 2 caisses - quarante trois chansons ! – qui tire sa révérence en nous donnant encore davantage de regrets et puis cet album de Cris Carol, sacrifié à la dure loi d’une crise sanitaire, mais qui viendra toujours à point nommé puisqu’il concerne un patrimoine incontournable, huit textes de Marcel Mouloudji et trois de Bernard Dimey qu’elle met en musique…
L’album de Bernard Lomé, qualifié à juste titre de « chanteur-poète » – à moins que ce ne soit l’inverse- est une immersion sonore et visuelle dans un pays, dans une terre très singulière, la Brière, pays de marais, pays de Guérande « Nous entendons chanter la mer /Les voiles, le pont, not’chapiteau … A chaque vent, un chant, un cri… » … Un pays où à terre, « bars à matelots et café louches » sont l’ordinaire, où la vie des femmes reste amarrée à la dure loi de la mer, à ses « pluies et tempêtes » qui, parfois même, leur arrachent leur amour… L’écriture de Bernard Lomé, soutenue par une orchestration raffinée, dessine à grands traits la vie d’autrefois « C’était le temps du vent /C’était le temps de l’eau /Focs et haubans », celle du temps de Pauline qui s’en va toujours dans les marais salants, celle des « noces salines et paludières », celle des danses, des gavottes, des cornemuseurs, celle des chants des Paludiers du Bourg de Batz… On s’attarde volontiers dans ce pays où vivent les oiseaux, où jouent l’ombre et la lumière, surtout à la tombée du soir. Invitation à la contemplation d’une nature convoquant tous nos sens : « Ecoutez les fleurs qui se fanent/ Et la verte grenouille qui flâne /Un souffle de vent flotte et passe /Frissons tournoyant dans l’espace… » C’est donc sans surprise que le chanteur croise le poète du même pays que le sien, René Guy Cadou, et lui rend hommage en mettant en musique quatre de ses poèmes d’amour dédiés à Hélène. C’est une joie indicible que de retrouver ce quatrain où l’expression de l’amour emprunte à l’abondance de la nature « Je t’attendais ainsi qu’on attend les navires / Dans les années de sécheresse /Quand le blé ne monte pas plus haut qu’une oreille dans l’herbe /Qui écoute apeurée la grande voix du temps »… où se dit la certitude que cet amour vivait avant nous « Tu ne remuais encore que par quelques paupières /Quelques pattes d’oiseaux dans les vitres gelées … » L’érotisme s’exprime avec patience et délicatesse quand « la chambre se met à battre /Comme une tempe délicate » et que s’accomplit – ô merveille – l’éveil des sens « Comme une eau très fraîche qu’on tire /Avec lenteur du fond du puits… » On ne saurait trop remercier de mettre ainsi à notre portée la beauté de cette poésie patrimoniale…
L’album de Claud Michaud, tout fraîchement paru, m’a été remis en terrasse, dans la belle lumière du printemps qui jouait ce matin là avec le rose et l’or de la façade du Capitole à Toulouse. La rencontre avait la saveur de l’imprévu. De bavardage en bavardage, nous avons relié nos vies, de Toulouse à Montréal, de la salle du Bijou où nous finissions par nous retrouver le soir pour un bœuf totalement improvisé, à l’évocation d’un Québec où les lieux dédiés à la chanson se font rares…
Nous connaissions Claud Michaud, interprète, fervent défenseur du patrimoine et particulièrement du répertoire de Felix Leclerc, « artiste premier, dit-il, qui a tracé une ligne, trajectoire indélébile sur une page encore blanche ». Ce concert à Blanzat, aux Rencontres Marc Robine, où nous l’avions découvert en 2015, avec l’attendrissant accent de nos lointains cousins du Québec, sa belle voix grave d’un Félix Leclerc parmi nous revenu, est resté gravé car il y traçait les grandes lignes de son parcours d’homme tombé en amour pour la poésie, cette « clameur ». Or, nous en sommes d’accord avec lui, c’est la Chanson qui la rend familière aux plus humbles, portée par quelques duos de génie : Léo Ferré et Verlaine, Jean Ferrat et Aragon, Bernard Lavilliers et Apollinaire… Voilà qu’aujourd’hui l’interprète a sauté le pas, et encouragé par son ami Francis Covan qui assure quantité de fonctions à ses côtés (compositeur, arrangeur, poly instrumentiste…) s’est décidé à enregistrer ses propres textes. D’ailleurs on trouve une strophe qui lui est adressée dans le titre Ta musique : « Et mon ami guitariste /Compositeur et violoniste /C’est pas l’talent chez toi qui manque /T’as pas de filet pas de chômage /Les temps sont durs pour les artistes… »
Le voici donc, homme qui marche dans la neige sur la couverture de son album… On ne peut éviter d’entendre une voix – sa voix ! – « Moi mes souliers ont beaucoup voyagé… » Le pas est vif, alerte et il lui vaut le dessin de Julie Guay qui le croque dans plusieurs pages du livret, cheveux au vent, toujours souriant pour une bonne raison que voici : « Mais toi jamais /Tu n’baisses les voiles… pour /Ta musique /Celle qu’on associe au bonheur … »
L’album porte le titre Passages, et la chanson éponyme martèle une soif de vivre inextinguible, un élan, même quand on se sent « faible et perdu », en prenant bien la peine de ne jamais perdre de vue l’enfant qui vit en nous « celui qui s’émerveille de la dernière neige. » Au gré des chansons, celle d’un homme parvenu à l’âge mûr, celui où l’on jette un coup d’œil dans le rétroviseur, Claud Michaud livre quelques confidences. – du moins, on le croit. D’ailleurs dans le titre Tu croyais, il mesure que cette vie qu’il a traversée, est un apprentissage qui a mené à bien plus de sérénité, « Ils sont courts et bien moins lourds qu’au début du parcours tes jours » avoue-t-il. Quand il chante, ne rejoint-il pas « la grand vent les forêts et la mer ? »
La première chanson rend un hommage appuyé aux Tendres éphémères, tous ces amours, petits et grands qui accompagnent une vie, en même temps que l’on s’attendrit à l’évocation du petit bonhomme, de l’écolier, du collégien. Dans une autre chanson, très émouvante, on s’arrête un instant à la figure d’une mère, avare de tendresse, qui pourrait avoir décidé du sort d’un être en quête éperdue d’amour… Et ce lien parent-enfant revient encore avec le titre Ma fille, cette enfant qu’il n’a pas eue mais dont il a clairement en tête le visage, dont il entend la voix, devine les attitudes « Si je l’avais connue /Elle me dirait papa /Se pendrait à mon bras /Cette enfant jamais venue… » Par deux fois, il s’écarte de ses émotions et s’en prend à quelques sujets qui peuvent le mettre en colère Les complotistes – inutile de préciser de quoi il s’agit ! – et Ferme ton écran, (autosuggestion ?) où s’invitent le ton et les mots du français canadien… Sur sa route de saltimbanque qui nous le ramène en France, comme ces derniers jours, il s’en vient vérifier le bien fondé de sa philosophie avec ce refrain :
Tu peux chanter sous la neige sous la pluie
Quand tu touches un p’tit coin de paradis
Ne cherche pas de midi à quatorze heures
Il t’attend là ton bonheur