Le Grand Maul, St-Paul-lès-Dax, L’ovalie se met en scène 2022 (© Claude Fèvre)
21 mai 2022, 2ème édition du Grand Maul, Jour 2
Courez vers le rêve…
Avec
Documentaire, Gueules noires et diables rouges, projection et rencontre avec le réalisateur Christophe Vindis. – Rencontre animée par Benjamin Ferret (Sud-Ouest) avec l’Association Drop de Béton, et Yves Appriou co-fondateur. Rencontre animée par Benjamin Ferret (Sud-Ouest) – Le rugby en toutes lettres, avec les auteurs, Pierre Berbizier, Serge Collinet, Jean Colombier, Eric des Garrets, Benoit Jeantet, Richard Escot, Léon Mazzella – La Totale, un livre écrit à quatre mains, rencontre avec les auteurs animée par Richard Escot avec Jean Colombier, Frédéric Villar, Jacques Colombier, Jean-Paul Basly –Rencontre /débat, animation de Nicolas Greno (Sud-Ouest) : Le rugby féminin à la croisée des chemins, avec Gilles Peynoche, président de l’AS Bayonne, Ingrid Amigorena, Muriel Louis - L’Ovalie se met en scène… ça va lire, dire, chanter, jouer avec Eric des Garets, Léon Mazzella, Pierre Berbizier, Jean-Michel Agest, Richard Escot, Benoit Jeantet.
Espace Felix Arnaudin, St-Paul-lès-Dax (Landes)
« Courez vers le rêve où rien n’est impossible… »
Cette phrase saisie au vol au cours du spectacle L’ovalie se met en scène pourrait à elle seule résumer tout ce que nous avons entendu au cours de cette deuxième journée… Car vous n’imaginez sans doute pas à quel point les invités et organisateurs de ce Grand Maul sont d’infatigables pourvoyeurs de rêves. Quand vous voyez Pierre Albaladéjo, aujourd’hui proche de ses 90 ans, se lever parmi les spectateurs pour honorer tous les participants, quand vous l’écoutez rendre grâce à la vie qui a offert à un « gavroche » de ce pays landais de s’exprimer dans le monde entier, quand vous l’écouter vous raconter une anecdote inimaginable, sa rencontre improbable d’Ernest Hemingway une nuit à Pampelune, oui, vous n’êtes pas loin de croire aux rêves…
Ce terrain de rugby, ce ballon capricieux qui circule, ces « deux grands H qui s’élancent de part et d’autre du pré et qui peuvent nous signifier Humanisme et Humilité », selon les mots mêmes de Jean-Claude Barens, sont, au cours des entretiens, des documentaires, une savoureuse métaphore de nos vies… Courez vers le rêve où rien n’est impossible… Et surtout, n’oubliez jamais cette phrase de Fernando Pessoa rappelée avec tellement de justesse « Quand je vois le beau je voudrais être deux… » Car tout au long de la journée il ne sera question que de l’Autre en effet, celui avec qui, grâce à qui, pour qui nous allons au-devant de nos rêves…
Au matin nous avons vu un nouveau documentaire de Christophe Vindis qui pose sur l’histoire du rugby son regard de sociologue… Celui-ci est consacré au Pays de Galle, à ses « Gueules noires et diables rouges », à ce rugby comme une montée vers la lumière, une conquête d’homme libre… Quand vous les entendez dire qu’ils aiment – qu’il aimaient- travailler sous terre, parce qu’« avec les gars, c’était formidable », vous retrouvez exactement le vocabulaire prononcé par les rugbymen. Cette camaraderie, cette fraternité de la communauté minière s’exprime ensuite sur le terrain le samedi, qui n’est pas pour eux – précisons-le – un jour férié !
Yves Appriou, entraîneur de l’équipe de Bordeaux Bègles pendant 14 ans, co-fondateur de l’association Drop de Béton aurait pu tendre la main à ces mineurs gallois qui, au prix d’un long combat, avaient fini par devenir leurs propres patrons. Depuis 20 ans l’engagement de l’association s’intensifie, s’élargit au pied des immeubles pour que chaque jeune puisse réaliser ses rêves. La pratique du rugby pour filles et garçons comme tremplin, comme moyen de rééquilibrer les injustices, les inégalités.
Suite à cette dimension sociologique, hautement politique, c’est dans la littérature, dans « Le rugby en toutes lettres » que nous avons été totalement immergés et ce, jusque tard dans la nuit… Il sera difficile de vous rapporter la richesse de cette partie du programme. Tout d’abord rendons grâce à Richard Escot qui d’animateur, modérateur des rencontres s’est mué, le soir venu, en metteur en scène et pianiste avec tout autant de brio pour des lectures savoureuses.
Il a eu un talent fou – n’ayons pas peur des mots !- pour orchestrer d’abord cette déambulation dans les questions propres à l’écriture, à la création littéraire. On retiendra que lorsque l’on pose la question aux écrivains de savoir si un joueur de rugby d’aujourd’hui peut devenir personnage de roman, ils sont unanimes – on peut citer Eric Garets, Léon Mazella, Serge Collinet… – pour défendre la liberté totale de l’auteur, le pouvoir de l’imaginaire. C’est aussi cet imaginaire, celui de l’enfance où l’on s’identifie à des héros, qui fait dire à Pierre Berbizier, seul ici à ne pas être écrivain, que c’est son admiration pour le trois quart centre Jo Mazeau qui lui donnait l’impression de se transcender. Quelle belle illustration de ce pouvoir de l’imaginaire que le rappel, par Léon Mazella, d’une scène du film Timbuktu de Abderrahmane Sissako où la charia n’empêche pas les enfants de jouer avec un ballon imaginaire !
Bien sûr cette discussion de haute tenue prendra encore une dimension littéraire particulièrement originale quand il sera question d’une écriture à quatre mains, celle des frères Colombier, Jean et Jacques, de Frédéric Villar et Jean-Paul Basly. Le titre La totale fait allusion à une combinaison, une stratégie sur le terrain de rugby. Rappelons que ce sont aussi ces combinaisons qui servent de lien au roman graphique de Jean Harambat. Pour ces quatre auteurs, ce furent des années à voir émerger le projet, deux ans d’écriture, six mois à se mettre d’accord sur la fin… Une bonne dose d’authenticité, des faits réels empruntés à leur vie, mais aussi une bonne part de fiction, à commencer par le village où se situe l’action, inspiré de Montfort en Chalosse, terre originelle des frères Boniface …
« Quand les poteaux de rugby s’ouvrent sur l’infini »…
L’après-midi s’est achevée avec le rugby féminin, toujours en construction, en lutte pour exister, avec les moyens dont il a besoin. « Même au niveau international tout le monde rame », témoigne Gilles Peynoche, président de l’AS Bayonne. On notera toutefois que Ingrid Amigorena, Muriel Louis ont témoigné des soutiens qu’elles ont reçus, à commencer par leur famille, ce qui n’est pas un détail quand on se souvient des freins, des obstacles qui nous étaient imposés, à nous les filles, pour exercer certains sports il y a cinquante ans !
Au soir donc, l’ovalie s’est mise en scène… Moment de spectacle éphémère et d’autant plus émouvant. Quatre écrivains, tous rugbymen, autour de Pierre Berbizier et de Richard Escot en pianiste de jazz… Dans la douceur d’un éclairage intimiste, chacun avait son espace judicieusement choisi. A jardin, Eric des Garets dans un petit fauteuil cossu, puis Richard Escot au piano, Pierre Barbizier sur un tabouret haut – près du bar ! – Léon Mazella derrière sa machine à écrire, Jean-Michel Agest à cheval sur un banc de vestiaire, ballon de rugby au pied et enfin, à cour, Benoit Jeantet attablé à un guéridon de bar. On ne saurait trop remercier cette troupe d’un soir d’avoir ainsi donné une parfaite image de la fraternité, du compagnonnage en scène quand bien même il n’aurait pas de lendemain, d’avoir mis tant de chaleur – et de qualité ! – dans leur lecture, d’avoir permis de découvrir des extraits de leurs livres*, et pour Pierre Berbizier de nous avoir si joliment fait partager un bout de route de Jack kérouac et de son ami Dean… Et ne manquons pas de les remercier aussi et surtout pour leur goût de vivre qui s’exprimait haut et fort comme dans cette phrase d’Eric des Garets « Une vie bat en moi qui ne s’éteindra jamais »
*Les lectures empruntaient notamment aux ouvrages suivants : Eric des Garets, Du ballon de rugby, Un essai – Match, rugby et poésie coécrit avec Donatien Garnier – Richard Escot et Benoit Jeantet, Jeux de lignes, littérature et rugby – Léon Mazella, Le bruissement du monde – (liste non exhaustive)