Angélique Ionatos (© Alexis Sevenier)
8 juillet 2021 – Reste la lumière ΜΕΝΕΙ ΤΟ ΦΩΣ
en hommage à Angélique Ionatos disparue le 7 juillet 2021,
en écho à son dernier album sorti en octobre 2015
Avec
Angélique Ionatos (chant, guitare), Claude Tchamitchian (contrebasse), Gaspar Claus (violoncelle), Katerina Fotinaki (voix additionnelles, guitare), Keyvan Chemirani (daf), Cesar Stroscio (bandonéon), Renaud Garcia- Fons (contrebasse)
Avertissement : Ce texte ne saurait passer pour une chronique. C’est une pure fiction, un jeu d’écriture où se trouvent insérés en caractères gras les 12 titres de l’album d’Angélique Ionatos et quelques mots, expressions, empruntés ici ou là aux poèmes chantés. Il s’inspire particulièrement d’un texte paru sur son blog le 9 février 2015, dans le journal de bord de son nouvel album.
1. Courage Kουράγιο – 2. La route Ο Δρόμος – 3. Mes sœurs sorcières Ω αδελφές μου μάγισσες – 4. Début du monde Aρχή του κόσμου – 5. Optimisme Aισιοδοξία (Et si l’arbre brulait Κι αν το δέντρο καίγεται) – 6. Perséphone Περσεφόνη – 7. Anges féminins θήλεις Aγγελοι – 8. L’équation de l’amour Μάζευω των ονείρων μου τή φυρα – 9. Anatolie Ανατολη – 10. Habitudes Συνήθειες – 11. Aimez vos prochains Αγαπάτε αλλήλους – 12. Le bateau fou Tό τρελοβάπορο
Courage mes colombes (Kουράγιο περιστέρες μου)
Ce matin la mer a revêtu ses dégradés de bleus et de verts et le vent joue dans les feuilles des oliviers. Le soleil ajoute ses reflets d’argent sur les troncs tordus par les ans… On les croirait plantés là, au tout début du monde verdoyant. Tout est calme. La terre frémit à peine sous le pas lent des femmes qui s’avancent sur la route, toutes vouées au noir, en deuil d’un frère, d’un mari, d’un enfant, d’une mère… Le thrène soulève leur poitrine, s’élève haut vers l’azur du ciel quand elles tendent les paumes de leurs mains. C’est un chant immémorial. Inutile d’en chercher la source même si certains le disent venu d’Anatolie, de Smyrne ou d’Istanbul, chargé des parfums lourds de l’Orient. Chacune l’a entendu à peine née. Il s’est mêlé à leurs premiers mots, s’est glissé sous la peau, a pris racines dans les gestes, les habitudes. Il suffit que l’une d’elles s’avance pour annoncer un nouveau départ chez Hadès pour que les premières notes du chant se mettent immanquablement à vibrer dans l’air. Si seulement Perséphone, la majestueuse et redoutable reine des Ombres voulait bien ouvrir enfin son cœur de femme, écouter les voix de ses sœurs, la complainte ancestrale des anges féminins…
« Ô mes sœurs sorcières, mes fées oubliées, prenez des filaments de lune dorés er argentés, brodez des étoiles brillantes, des gouttes de rosée… »
Ce matin là, le chant se marie à la beauté du ciel, de la mer, de la terre de Grèce pour accueillir l’âme qui s’en revient. Toutes savent : le bateau fou de pierre noir et de rêves qui nous porte, nous transporte depuis tant d’années a jeté l’ancre ce matin. Il débarque un ange féminin.
Αγγελική, Angélique s’en revient.
Un cercle se forme. Un cercle de femmes, connues et inconnues, mères, cousines, amies, voisines lui tiennent la main et lui chuchotent : « Chante, chante maintenant pour nous. » Alors on ne tarde pas à entendre « Courage mes colombes, mes anémones, mes belles compagnes esseulées… Mes Antigone ! Courage ! Aimez vos prochains, aimez-les pêle-mêle, sans distinction… »
Cette voix, comme elles l’ont attendue ! Et voici qu’elle résonne et se mêle au vent, au chant des oiseaux. Elle répand l’espérance, l’optimisme… Malgré ce qui vieillit, malgré ce qui meurt, elles attendront que le soleil se couche à l’endroit même où se résout l’équation de l’amour.