Barjac m’en Chante 2017 – Lise Martin en trio (© Claude Fèvre)

Bar­jac m’en Chante 2017 – Lise Mar­tin en trio (© Claude Fèvre)

30 juillet 2017 – Fes­ti­val Bar­jac m’en Chante 2017

1re Cha­pi­teau : Lise Mar­tin & Gau­vain Sers

Avec Lise Mar­tin (uku­lé­lé, gui­tare, chant) accom­pa­gnée par Aude Bout­tard (contre­basse) et Chouf (gui­tares)

Gau­vain Sers (gui­tare, chant) accom­pa­gné par Mar­tial Bort (gui­tares)


Cha­pi­teau – Bar­jac (Gard)

Avant d’en venir au trio qui ne cesse d’exercer sur nous son charme, sans que nous y puis­sions grand-chose – il en va ain­si de la force d’attraction d’un spec­tacle – il nous semble néces­saire d’évoquer quelques-unes des ques­tions qui courent dans notre monde de la chan­son. Le matin même, Gau­vain Sers invi­té à la ren­contre de 11h moins 11, avait évo­qué le public d’Antraigues, autre lieu emblé­ma­tique s’il en est dans ce coin de France. Sa sou­daine ascen­sion lui vaut en effet d’accéder au public que l’on dit « grand » – mot où il faut sous-entendre la puis­sance de cer­tains médias, dits « grands » eux aus­si – assez igno­rants d’ordinaire des chan­teurs qui nous émeuvent.

Pour autant, Gau­vain Sers ne semble pas perdre ce public dont nous sommes. Public exi­geant sans doute, nour­ri de réfé­rences inou­bliables. Cet été, his­sé à ce qu’il faut bien nom­mer la célé­bri­té, récem­ment admis dans l’écurie Uni­ver­sal – un nom qui véhi­cule tout un uni­vers finan­cier inac­ces­sible aujourd’hui à la « Chan­son de carac­tère » – s’accorde d’aller encore de petits fes­ti­vals en petits lieux, pro­me­nant de toute évi­dence sa sim­pli­ci­té, sa gen­tillesse… et sa cas­quette de velours mar­ron de petit gars de la Creuse. Un petit gars bien d’chez nous et qui tient à le rappeler !

Alors, bien enten­du, le cha­pi­teau de Bar­jac, c’est un poste d’observation de ce que l’on peut consi­dé­rer comme un « phé­no­mène ». D’ailleurs sa pré­sence ici lui vaut celle, dans le public, de Gérard et Fran­çois Morel… Dès son entrée en scène, le public l’ovationne et, lui, en conqué­rant des zéniths où le public de Renaud lui a fait sa légende, hurle un joyeux et toni­truant « Bon­soir Bar­jac » ! Gau­vain, avec son pré­nom de légende arthu­rienne, aurait-il atteint le Saint Graal ? Le temps appor­te­ra sa réponse. Benoît Dore­mus, adou­bé avant lui par le grand Renaud, pour­rait contri­buer à cette réflexion.

Pour l’heure, accom­pa­gné par Mar­tial Bort, excellent gui­ta­riste, pro­mu lui aus­si dans le sillage du jeune chan­teur et dont nous appré­cions le pro­fes­sion­na­lisme et la sym­pa­thie, s’accorde une heure de ses chan­sons atten­dues. Thèmes plu­tôt fami­liers, intimes, alter­nant avec la chan­son sociale, « mili­tante », car­ré­ment de cir­cons­tance par­fois, sans tota­le­ment perdre de vue cette chan­son de caba­ret qui l’a vu naître, en l’occurrence celle du Conné­table, au 55 rue des Archives, dans le 3e arron­dis­se­ment pari­sien. Gau­vain Sers aurait-il réso­lu le grand défi : conci­lier des publics qui s’ignorent, par­fois même se déchirent ?

Nous atten­dions de le revoir après cette épo­pée mira­cu­leuse née d’un appel de Renaud pour faire ses pre­mières par­ties… Pour lui tout change… Et pour nous ? Cette voix cal­quée sur celle de son idole, ce débit iden­tique – par­fois on pour­rait même croire à une paro­die – cette allure, ces thèmes qui veulent col­ler à nos secousses popu­laires, nous avaient rete­nue jusqu’ici d’écrire. Nous atten­dions qu’il trouve sa vraie voie/​voix… Quitte à faire car­ré­ment démo­dée, déca­lée, on avoue­ra que rien n’a bou­gé d’un pouce, hor­mis la pré­sence à ses côtés des gui­tares de Mar­tial Bort. On sou­li­gne­ra aus­si­tôt qu’il nous a tou­chée lorsqu’il a chan­té Lily, la déli­cate, la sen­sible et pro­fon­dé­ment huma­niste chan­son de Pierre Per­ret. Il avait alors aban­don­né les accents imi­tés de Renaud…

On sera brève sur celle qui l’a pré­cé­dé et dont nous avons dit tout récem­ment, au fes­ti­val Grains de sel de Cas­tel­sar­ra­sin, toute la force et la beau­té du trio. Oui, elle est car­ré­ment belle Lise Mar­tin. Elle che­mine incon­tes­ta­ble­ment vers sa sin­gu­la­ri­té, son uni­vers. On la découvre aujourd’hui plus folk encore et c’est juste… Juste en accord, en har­mo­nie avec les pay­sages intimes qu’elle nous fait tra­ver­ser. C’est une quête, une recherche, celle d’un abri, d’une mai­son où poser ses secrets, ses tour­ments. Dehors il bruine, la pluie cogne aux car­reaux… Alors reste à s’inventer des prin­temps, « les yeux rivés au ciel », même d’orage, celui qui gronde au-des­sus des toits. Des bras, la cha­leur d’une peau une fois que l’on se sera défait de ses ori­peaux… Voi­là, c’est là sa mai­son… Des bras pour faire nau­frage. Il pour­rait bien alors « [nei­ger] des pétales de fleurs »… Quand Lise Mar­tin ne tient pas contre elle sa gui­tare ou son uku­lé­lé, ses bras s’offrent, ses mains se tendent en offrande. Elle sait qu’il suf­fit de don­ner pour rece­voir « la force des forêts ». Alors, en scène, elle donne. De sa voix forte et ferme elle des­sine, elle colore ses attentes, ses espoirs, ses coups de sang aus­si et sou­vent elle en appelle à d’autres auteurs : Chris­tian Bobin pour quelques lignes offertes à Bar­ba­ra Wel­dens, Camé­lia Jor­da­na et sa chan­son Ma gueule pour ceux qui sont chas­sés de chez eux – tou­jours cette quête de son « chez soi » – Tout fout l’camp, chan­son à laquelle les voix de Damia et de Piaf ont lais­sé leur empreinte, Ara­gon, et puis ce texte superbe de fémi­ni­té, texte de Rémo Gary, qu’elle a mis en musique et qui finit de nous convaincre d’un authen­tique talent. D’ailleurs le public du cha­pi­teau ne s’y trompe pas. Il a fré­mi sou­vent, expri­mé car­ré­ment ses bra­vos. Cet après-midi, cer­tains auront pré­fé­ré en res­ter là, à cet ins­tant de grâce et de beauté.

C’est un autre public qui attend déjà le deuxième concert, celui du « pro­dige » de l’année.