Barjac m’en Chante 2017 – Yves Jamait (© Claude Fèvre)

Bar­jac m’en Chante 2017 – Yves Jamait (© Claude Fèvre)

30 juillet 2017 – Fes­ti­val Bar­jac m’en Chante 2017
Hom­mage à Bar­ba­ra Wel­dens – Yves Jamait en quartet

Yves Jamait (gui­tares, voix), Samuel Gar­cia (accor­déon, pia­no, chœurs), Mario Cimen­ti (per­cus­sions, saxo­phone alto), Jérôme Broyer (gui­tares)


Cour du Châ­teau – Bar­jac (Gard)

L’instant est solen­nel, poi­gnant… La soi­rée s’ouvre sur la voix de Bar­ba­ra Wel­dens, qui dit son ins­tant poé­tique, celui des « allu­meurs de vers ». Un poème d’Hen­ri Michaux. Puis sa voix, son incroyable éner­gie, sa soif de vivre et de chan­ter, explosent dans la cour du châ­teau, avec trois chan­sons de son album, et ces der­niers mots du Grand H de l’homme qui tombent comme un cou­pe­ret : « C’est fini ».

Le public de Bar­jac se lève et applau­dit lon­gue­ment. Les larmes aux pau­pières, nous levons les yeux vers le ciel piqué de ses pre­mières étoiles.

Le poème dit par Yves Jamait qui s’apprête à nous accor­der – s’accorder ? – pas loin de trois heures de concert, répond à cet ins­tant de recueille­ment. Le voici ;

La goutte de pluie

Je cherche une goutte de pluie 
Qui vient de tom­ber dans la mer. 
Dans sa rapide verticale
Elle lui­sait plus que les autres 
Car seule entre les autres gouttes 
Elle eut la force de comprendre 
Que, très douce dans l’eau salée, 
Elle allait se perdre à jamais. 
Alors je cherche dans la mer 
Et sur les vagues, alertées, 
Je cherche pour faire plaisir 
À ce fra­gile souvenir 
Dont je suis seul dépositaire. 
Mais j’ai beau faire, il est des choses 
Où Dieu même ne peut plus rien 
Mal­gré sa bonne volonté 
Et l’assistance sans paroles 
Du ciel, des vagues et de l’air.
(Jules Super­vielle, La Fable du monde)

Par­fois, c’est vrai on cherche en vain cet ins­tant sus­pen­du, cette larme sur la joue, ce geste dans l’espace, ce trait de plume fra­gile… Cet ins­tant de vie dont bien­tôt il ne res­te­ra rien, pas même un rond dans l’eau. Alors essayer de retrans­crire les émo­tions du concert qui vient, écou­ter Yves Jamait prendre d’assaut la scène, le voir ges­ti­cu­ler, crier plus que chan­ter, faire du pla­teau son ring, sa zone de com­bat c’est aus­si ten­ter de sau­ver l’éphémère ins­tant du concert.

Demain rien ne sera plus pareil.

Nous avons, en jan­vier déjà, détaillé ce concert avec ces superbes ins­tru­men­tistes que l’on découvre ce soir, plus far­ceurs encore sans jamais rien perdre de leur effi­ca­ci­té à por­ter, trans­por­ter les chan­sons. On sent qu’Yves Jamait peut tout s’accorder, ses incar­tades dans le rire, la bouf­fon­ne­rie, ses pas de danse, ses jeux avec le micro… Un peu put­ching-ball, un peu corps de femme… Le micro rece­vra des piche­nettes ou des caresses. C’est selon. Un vrai show man et le public le suit sans l’ombre d’un doute ou d’une hési­ta­tion. Un public capable de chan­ter lon­gue­ment ses paroles de chan­sons. On sent que l’artiste alors jubile, prêt à en don­ner encore davantage.

Les textes parlent de lui, de l’homme, de l’artiste, de l’enfant qu’il a été, de l’ouvrier – les épi­sodes suc­cu­lents à l’usine Urgo – du mec au bar qui titube de cha­grins trop lourds. Des copains qui manquent à l’appel. Jean-Louis Foul­quier, son départ lui « a fait une excrois­sance au ven­tri­cule ». Du père absent dont il n’est pas gué­ri… De l’amoureuse, tou­jours, encore… celle qui part, qui tra­hit « Qu’est ce que tu fous là-bas sans moi ? » Celle qui vous arrache comme une prière, une sup­plique quand se pointe un dimanche à la gueule moche : « Caresse-moi ! » Et ce manque à en hur­ler de dou­leur par­fois, ce manque, ce froid au-dedans qui vous dis­loque lit­té­ra­le­ment. Des rêves, l’amour du bleu, celui de la vie coûte que coûte, mal­gré ce temps qui ronge tout. Bien obli­gé de consta­ter qu’ « on parle à l’imparfait de plus en plus sou­vent » et le cœur à rebours se serre, se serre…

Que faire de ce temps qui nous reste peu ou prou – aucun de nous ne sait ce qui l’attend – ? Que faire ? Nous ne sau­rons pas vrai­ment com­ment résoudre les ques­tions, les inéga­li­tés, la part obs­cure qui peut faire de nous des « salauds »…

Alors pour l’heure, dans cette cour du châ­teau, chan­sons, dan­sons à en oublier l’heure… Le public de Bar­jac est superbe ce soir. Le ciel s’est constel­lé d’étoiles offrant son décor somptueux.

Le temps a sus­pen­du son vol.