Barjac m’en Chante 2017 – Yves Jamait (© Claude Fèvre)
Yves Jamait (guitares, voix), Samuel Garcia (accordéon, piano, chœurs), Mario Cimenti (percussions, saxophone alto), Jérôme Broyer (guitares)
L’instant est solennel, poignant… La soirée s’ouvre sur la voix de Barbara Weldens, qui dit son instant poétique, celui des « allumeurs de vers ». Un poème d’Henri Michaux. Puis sa voix, son incroyable énergie, sa soif de vivre et de chanter, explosent dans la cour du château, avec trois chansons de son album, et ces derniers mots du Grand H de l’homme qui tombent comme un couperet : « C’est fini ».
Le public de Barjac se lève et applaudit longuement. Les larmes aux paupières, nous levons les yeux vers le ciel piqué de ses premières étoiles.
Le poème dit par Yves Jamait qui s’apprête à nous accorder – s’accorder ? – pas loin de trois heures de concert, répond à cet instant de recueillement. Le voici ;
La goutte de pluie
Je cherche une goutte de pluie
Qui vient de tomber dans la mer.
Dans sa rapide verticale
Elle luisait plus que les autres
Car seule entre les autres gouttes
Elle eut la force de comprendre
Que, très douce dans l’eau salée,
Elle allait se perdre à jamais.
Alors je cherche dans la mer
Et sur les vagues, alertées,
Je cherche pour faire plaisir
À ce fragile souvenir
Dont je suis seul dépositaire.
Mais j’ai beau faire, il est des choses
Où Dieu même ne peut plus rien
Malgré sa bonne volonté
Et l’assistance sans paroles
Du ciel, des vagues et de l’air.
(Jules Supervielle, La Fable du monde)
Parfois, c’est vrai on cherche en vain cet instant suspendu, cette larme sur la joue, ce geste dans l’espace, ce trait de plume fragile… Cet instant de vie dont bientôt il ne restera rien, pas même un rond dans l’eau. Alors essayer de retranscrire les émotions du concert qui vient, écouter Yves Jamait prendre d’assaut la scène, le voir gesticuler, crier plus que chanter, faire du plateau son ring, sa zone de combat c’est aussi tenter de sauver l’éphémère instant du concert.
Demain rien ne sera plus pareil.
Nous avons, en janvier déjà, détaillé ce concert avec ces superbes instrumentistes que l’on découvre ce soir, plus farceurs encore sans jamais rien perdre de leur efficacité à porter, transporter les chansons. On sent qu’Yves Jamait peut tout s’accorder, ses incartades dans le rire, la bouffonnerie, ses pas de danse, ses jeux avec le micro… Un peu putching-ball, un peu corps de femme… Le micro recevra des pichenettes ou des caresses. C’est selon. Un vrai show man et le public le suit sans l’ombre d’un doute ou d’une hésitation. Un public capable de chanter longuement ses paroles de chansons. On sent que l’artiste alors jubile, prêt à en donner encore davantage.
Les textes parlent de lui, de l’homme, de l’artiste, de l’enfant qu’il a été, de l’ouvrier – les épisodes succulents à l’usine Urgo – du mec au bar qui titube de chagrins trop lourds. Des copains qui manquent à l’appel. Jean-Louis Foulquier, son départ lui « a fait une excroissance au ventricule ». Du père absent dont il n’est pas guéri… De l’amoureuse, toujours, encore… celle qui part, qui trahit « Qu’est ce que tu fous là-bas sans moi ? » Celle qui vous arrache comme une prière, une supplique quand se pointe un dimanche à la gueule moche : « Caresse-moi ! » Et ce manque à en hurler de douleur parfois, ce manque, ce froid au-dedans qui vous disloque littéralement. Des rêves, l’amour du bleu, celui de la vie coûte que coûte, malgré ce temps qui ronge tout. Bien obligé de constater qu’ « on parle à l’imparfait de plus en plus souvent » et le cœur à rebours se serre, se serre…
Que faire de ce temps qui nous reste peu ou prou – aucun de nous ne sait ce qui l’attend – ? Que faire ? Nous ne saurons pas vraiment comment résoudre les questions, les inégalités, la part obscure qui peut faire de nous des « salauds »…
Alors pour l’heure, dans cette cour du château, chansons, dansons à en oublier l’heure… Le public de Barjac est superbe ce soir. Le ciel s’est constellé d’étoiles offrant son décor somptueux.
Le temps a suspendu son vol.