Chloé Lacan en trio, la pêche au bonheur (Ⓒ Claude Fèvre)

Chloé Lacan dans Ménage à Trois (© Claude Fèvre)

10 février 2016 – Ménage à trois

Chloé Lacan (textes, musiques, chant, accor­déon, uku­lé­lé), Nico­las Cloche (pia­no, per­cus­sions, uku­lé­lé, chœurs), Brice Per­da (sax­horn, basse, flu­ga­bone, glo­ken­spiel, chœurs)

Le Bijou (Toulouse)

« Com­ment mener une vie nor­male quand on a la déli­ca­tesse déca­dente, le déses­poir hila­rant, l’opéra déjan­té et l’accordéon érotique ? »

Chloé Lacan

Quand vos albums ont pour titre « Plai­sirs soli­taires » puis « Ménage à trois », on ne peut pas dire que vous soyez ambi­guë, que vous n’affichiez pas d’emblée la cou­leur, le ton… Et pour­tant, s’il est bien ques­tion d’amour — le plus sou­vent avec un grand A, ici pas d’amourette léni­fiante — on ne sau­rait se méprendre bien longtemps.

C’est de l’amour que l’on devine dou­lou­reux. Sou­vent. Celui que l’on cherche en vain, celui qui invite au voyage, celui, nos­tal­gique, qui nous lie à l’enfance — un petit tour en Médi­ter­ra­née — celui qui se noie dans l’alcool, au temps déses­pé­ré des amours ado­les­centes. Celui aus­si que l’on vend. On voit se des­si­ner alors, sur fond de par­king, de zone urbaine et de poids lourds, un per­son­nage, une petite sœur venue d’Ukraine, une petite sœur d’amour de l’émouvante Tatia­na de Fré­dé­ric Bobin.

Mais qu’il est doux cet aveu : « Je veux voir l’aube entre tes bras ». Chloé Lacan chante l’amour comme per­sonne… ou presque !

Il faut le dire, elle affiche l’image d’une femme, très, très femme… avec ces mots mali­cieux, en apar­té, en début de concert : « Les gar­çons, à table ! » Dans son pan­ta­lon et son petit haut sobre­ment bor­dé de den­telles, une fleur rouge piquée dans sa che­ve­lure brune, elle est sen­suelle à sou­hait, sans effets spé­ciaux, mais avec juste ce qu’il faut de déli­ca­tesse, de finesse, de sug­ges­tion ; elle en est d’autant plus trou­blante. Aux pre­miers sons d’un pia­no pré­pa­ré, aux pre­miers mots d’un texte décla­mé, les regards mutins de Chloé Lacan, ses yeux sou­vent levés au ciel, sa tête ren­ver­sée, vous invitent à « dégra­fer votre stress », à lais­ser vos sou­cis. Puis pied gauche sur le petit tabou­ret rouge, accor­déon bien amar­ré à son buste, elle entonne une étrange chan­son de rup­ture, un hom­mage à la liber­té… de l’autre : « Envole-toi »… car « c’est pal­pi­tant et libre que tu es beau ». Comme l’oiseau. D’ailleurs cette chan­son en appel­le­ra une autre, à la fin : « Pars si tu te sens légère ! File… Vole au vent ! »

De l’amour, oui, mais libre !

Le trio vous entraîne dans un tour­billon de sen­sa­tions et d’émotions où la musique n’est pas de reste. Fran­che­ment, rien que pour sa per­for­mance musi­cale le spec­tacle vaut qu’on s’y attarde. On a bien là un « ménage à trois ». Trio com­plice, incroya­ble­ment joyeux de jouer et de chan­ter. Il nous sur­prend par des sono­ri­tés impro­bables, nous emporte dans des salves conta­gieuses, par­fois presque des délires, notam­ment quand Chloé s’empare des baguettes de la bat­te­rie et « lâche tout ». Mais il est tout aus­si effi­cace quand il mur­mure une chan­son, presque une ber­ceuse, avec quelques notes égre­nées du pia­no, le gémis­se­ment de l’accordéon, les effleu­re­ments de la caisse claire, ou le souffle étouf­fé du flu­ga­bone. Par­fois même rien du tout. Seule­ment quelques per­cus­sions cor­po­relles. On reste com­plè­te­ment sous le charme de leur ver­sion de A la pêche au bon­heur, a cap­pel­la, cercle fer­mé sous l’éclairage doux en fond de scène. C’est beau à vous cou­per le souffle. D’ailleurs, le public lui fait une ova­tion comme en fin de concert, ce retour à ce cercle lumi­neux, à cette absence d’instrument pour chan­ter « Des mots petits de toi ont la saveur triste et tendre d’une valse de Cho­pin ».

Jusqu’aux der­nières minutes nous serons sous le pou­voir de ces trois-là. Quand des­cen­dus par­mi nous, les deux musi­ciens chantent en créole, juste avec l’accompagnement d’un uku­lé­lé, et les notes loin­taines et déli­cates de l’accordéon. Quand ils quittent la salle, nous invi­tant à les suivre, en chan­tant en hom­mage à Colette Magny.

Grâce à ces trois-là, sûr, nous avons pêché un bout de bonheur.