Daran – Tour solo acoustique 2019 (© Rémi Coignard-Friedman)
2 octobre 2019 – Daran en concert solo acoustique
Chanson assise
Avec
Jean-Jacques Daran (voix, guitare)
Le Bijou (Toulouse)
Une soirée comme celles qui ont fait vibrer la salle du Bijou avec Daran a quelque chose du miracle… A voir le public entrer, le sentir déjà prêt à s’exalter c’est un avant goût de l’émotion que nous partagerons. Car le public sera brillant lui aussi ! Pour preuve sa participation sur le titre Halima du dernier album Endorphine, du tout électrique, précise Daran, « un album injouable en guitare acoustique »…
Disons-le, ce sont des cadeaux offerts régulièrement ici : la proximité, l’intimité avec l’artiste en scène confèrent indéniablement une dimension supplémentaire surtout avec un artiste qui bénéficie habituellement de la présence de musiciens hors pair dans de grandes salles. C’est le cas avec Daran, que son parcours de compositeur place aux côtés de noms aussi prestigieux que Johnny Hallyday, Maurane, Sylvie Vartan, Florent Pagny…, pour lesquels il s’efforce, dit-il, de « tailler le costume idéal ». On le sollicite aussi pour le cinéma (il compose la bande sonore de Monsieur Papa de Kad Merad) ou même pour la bande dessinée.
Le voici donc dans l’évocation de son répertoire en version minimaliste. Précisons que le chanteur et sa voix, sa générosité – osons même le mot gentillesse… – son jeu de guitare, l’excellence de la sonorisation qui lui offre juste à point les effets d’amplification, les réverbérations subtiles, le jeu de lumières accordées aux sensations, aux émotions, participent amplement à ce partage. On ne dira jamais assez le rôle essentiel des techniciens.
Le chanteur est assis – il s’amuse volontiers du grincement de son tabouret – et pourtant sa présence donne le sentiment de le voir chanter de tout son corps. L’émotion est là, palpable dans l’air, dans les réponses du public, dans son écoute. C’est, à l’unisson, une vibration de sons et d’émotions. En lieu et place de l’harmonica, il se met souvent à siffler, confirmant ainsi l’effort de dépouillement, de simplicité : des chansons offertes, telles qu’elles ont été d’abord créées. A plusieurs reprises, il cite le nom de ses auteurs, ses amis Moran, Miossec, et surtout, après Alana Philippi, Pierre-Yves Lebert qui dit de lui, « Daran, il emmène le texte ailleurs, sans le trahir. » Brillant compositeur, Daran a l’amour des mots, des textes de son auteur qui sont pour lui autant de « fulgurances » dont sa musique se fait le vecteur.
Le concert auquel nous assistons est unique, comme le seront tous ceux de cette tournée. Car il compose sa liste en empruntant à ses albums depuis 1992 et son groupe Les Chaises. Il se laisse guider par la salle, par le jour, par les échanges de l’instant… Simplement une liste en accord avec son envie du moment, à l’exception d’une toute dernière, où il répond à la demande d’un spectateur.
Si chaque fois que la mer se retire /Il faut pleurer les vagues /Comme si elles ne devaient jamais revenir /Lécher nos longues plages blanches /Si quand les bateaux se penchent /Se couchent dans les vagues /Les marins croient qu’ils vont périr /Alors je comprends que mes départs te déchirent /Te déchirent… »
C’est ainsi que la toute première chanson installe l’atmosphère, obscure, intense et profonde. On regarde Daran, on le suit dans une longue mélopée, les yeux fermés, porté par Le mouvement des marées extrait de l’album Le petit peuple du bitume où perce l’influence créatrice de Pink Floyd. « Des gens qui cassent le moule » dit-il… Cet album incompris en France décidera de son immigration au Québec… Le plus grand danger, c’est l’habitude, la routine, alors il n’a pas hésité à « lancer sa vie en l’air ».
Dans ce concert il sera donc souvent question de départ, de routes, de rues, surtout en sens interdit (Trous noirs), de briser ses chaînes, d’accepter les cassures, les ruptures comme dans Olivia « Je pense à toutes ces années perdues à faire du zèle /A souder de si près la tôle que les vapeurs d’acétylène /Ne m’ont jamais permis de voir les bateaux, les baleines /On m’a viré ce matin, je ne me suis jamais senti aussi bien ». S’assurer du grand large, d’une constante et nécessaire liberté « Je mettrai mes carrés dans les ronds ». La liberté, maître mot déjà brandi comme un étendard dans ce qui fut son grand succès en 1995, Dormir dehors : « Je ne veux pas m’endormir /Faire semblant d’obéir /Au mensonge millionnaire, cuisine équipée… » Et rappelé dans Une sorte d’église, puissante invitation amoureuse : « Je voulais pour nous deux bien mieux qu’une croyance /Alors je t’ai trouvé une sorte d’église /… Les vitraux je les brise, les piliers sont des arbres /L’autel est un rocher tapissé de lichen… Je nous veux sans frontières, sans limites et sans lois… »
Avec Daran, on ne s’installe jamais dans le confort comme dans T’es gentil, ballade en apparence légère, mais qui, au final, ne l’est pas du tout … L’équilibre fragile de nos vies est constamment rappelé, chaque jour clairement à mi-chemin, comme le soulignent le titre Mort ou vif ou l’expression « Entre chien et loup ». La rencontre amoureuse peut ne laisser que le souvenir d’« une illumination à en perdre la raison », au moment même où l’on n’attendait plus rien d’ici-bas… Pourtant l’amour reste le seul recours contre sa peur « Si j’ai peur, c’est de te perdre un jour… Enveloppe moi dans du papier bulle /Mais ne m’expédie pas. »
« La vie ça vaut la peine » reste l’ultime message quand vient le moment de « franchir le seuil de la porte /Le plaisir de se sentir à ce point léger /Comme une plume en été »… On retiendra, c’est certain, cette « chanson oubliée d’un album oublié » – malgré ce que prétend son interprète ce soir …
Et surtout on n’oubliera pas, en fin de concert, cette espérance en l’homme : « Tu trouveras l’enfant, il y en a toujours un même chez les plus méchants… Cherche bien dans leur œil /La trace d’innocence /Qui pétille et qui danse »… (Pas peur)