Emilie Marsh, Ironie, 2021 (©Alexandre Attias)
24 septembre 2021, De clip en clip # 6
« Et si les fauves menacent mes rêves… »
Avec,
Marc Nammour & Loïc Lantoine, Les Fauves (texte Marc Nammour, Loïc Lantoine, musique Tibo Brandalise, Valentin Durup et Pépouseman) album Fiers et tremblants, sortie du CD le 17 septembre 2021, réalisation Cédric Gleyal
Nicolas Paugam & JP Nataf, L’Homme Heureux, album Padre Padrone, sortie le 19 novembre 2021, réalisation Nicolas Paugam
Emilie Marsh, Ironie (texte Emilie Marsh, musique Sébastien Collinet) album éponyme NEVΛDΛ à paraître le 15 octobre 2021, réalisation Alexandre Attias
Olivier Eyt, en avant première sur Hexagone, Un pas, deux pas (texte et musique Olivier Eyt) album éponyme paru au printemps 2021, dessin, animation, réalisation Julie Gasnier
« Et si les fauves menacent mes rêves
J’entretiendrai le feu autour »
Le clip de Marc Nammour et Loïc Lantoine, et leur chanson écrite en binôme, offrent une parabole, à coup sûr, une illustration métaphorique de l’engagement artistique. Il n’y a pas à douter : tout écrivain, chanteur, poète, mais aussi plasticien, comédien, danseur… enfin bref, tous se reconnaîtront dans ce scénario. Deux hommes écrivent dans la pénombre, à l’éclairage de bougies quand survient le danger, ce qui les menace, les fait fuir et se réfugier dans la nature, parfois une nature déjà très éprouvée où l’homme a laissé seulement des ruines… Les fauves – qu’ils viennent de soi –même ou de l’extérieur – menacent, chassent, brûlent… Ils apparaissent dans les phares d’une voiture de police, dans un hélicoptère qui les prend en chasse depuis le bleu du ciel, pire, dans la cible qui se dessine en plein écran… Chacun dit ce qui l’anime, le garde en vie. « Je cherche à pleins poumons je respire où c’est pur », dit Loïc, « dans l’haleine d’un frère ou le vent d’aventure », et Marc, « nomade dans l’âme », poursuit « Je changerais bien le monde si je le pouvais /J’ai quelques vers en offrande pour le prouver ». Le clip s’achève sur l’image de leur feu de camp dans la nuit, on devine leurs rires… « Fiers et tremblants », les artistes restent les gardiens de nos nuits.
Plus ironiques, Nicolas Paugam et JP Nataf, sur un rythme entrainant, sont réunis également pour entretenir le feu et répondre à la menace des fauves dans leur clip « L’homme Heureux ». La réalisation alterne des images des deux compères, deux chanteurs faussement joyeux et innocents, et celles de danseurs et danseuses éthiopiens, les Seigneuriaux, frappant le sol de la brousse… « L’homme est heureux en somme… » Et pourtant « les fauves » font clairement irruption à travers les incrustations fugaces mais non moins frappantes : la mer et les migrants qui s’affairent au camping des frontières, l’homme transi de froid, des centaines de bagnoles qu’on lui offre, ou pire, des icones, des « Padre Padrone » et le matraquage de son cerveau dès l’enfance pour lui fermer les yeux… Un jour l’homme est capable de faire rimer, comme dans la chanson, « cogne » et « fredonne »… Le discours est on ne peut plus clair pour qui veut bien écouter les deux musiciens.
Et c’est pourtant Emilie Marsh qui titre sa chanson et son clip Ironie. Cette fois le « fauve » – si fauve il y a – pourrait être un danger venu de l’intime, du fond de soi. N’y a –t‑il pas pire ennemi que soi- même ? Quand on s’aventure dans les méandres amoureux, c’est un voyage hasardeux, des « sables mouvants », semé de doutes. Bien entendu la nuit est une complice. Cette chanson, c’est une histoire nocturne de désir suspendu, inachevé, un rendez-vous manqué… « L’envie ça ne dure pas longtemps, ça ne dure pas… » Et c’est ainsi que tout s’évanouit au lever d’un nouveau jour qui finit toujours par arriver.
L’image est belle, franchement belle – presque froide à force d’être belle – avec pour commencer un gros plan sur le visage de la chanteuse encadré de sa chevelure libre. La peau est claire, très claire, les yeux très, très bleus, la bouche très rouge… Trop rouge ? Puis au même rythme que la musique, à peine esquissée au départ, le cadrage montre le buste habillé d’une chemise blanche, les mains qui s’animent, les bras qui se tendent dans l’obscurité, comme pour se protéger de trop d’éclats, d’une pluie d’étoiles… Il eût mieux valu plonger, mais il est déjà trop tard… « Ironie /Il fait jour à présent /Il fait jour et l’ennui… »
Quel feu Olivier Eyt peut-il bien entretenir pour échapper aux fauves, à ceux qu’il nomme explicitement ses « démons » dans son nouvel album ? Dans ce clip du jour, c’est sa chanson éponyme Un pas, deux pas qui amorce une réponse… L’illustratrice Julie Gasnier accomplit là une savoureuse et originale illustration d’un voyage intérieur haut en couleurs. Tous ces dessins on les retrouve dans le livret qui accompagne l’album.
Un homme se retourne sur son passé et regarde la route tracée à pas prudents. Une série de verbes au passé –composé, ce temps idéal pour un bilan, dire l’accompli, énoncer les étapes… « J’ai fait des mains, j’ai fait des pieds »… C’est si dur de se hisser à la hauteur d’un amour… « J’ai bu cent fois la tasse au bout de ton bras… » Et la dessinatrice trace autant de silhouettes humaines, animales, qui parcourent le temps, le cycle des ans… ça va vite, ça tourne, ça éclabousse parfois, ça rayonne aussi… C’est joyeux quand on « [gonfle] des ballons pleins de soleil » mais ça s’embrouille quand on fait le con… Quelle émouvante conclusion à cette chanson : « J’étais trop p’tit…mais j’étais là ».