Cyril Adda,  L’îlot, 2020 (©Marylène Eytier / Au Bon Déclic)

Cyril Adda – L’îlot, 2020 (© Mary­lène Eytier /​Au Bon Déclic)

11 avril 2021 – De clip en clip

« Tout reprendre à zéro, ce mau­dit rafiot… »

Avec

Cyril Adda, L’îlot, album épo­nyme sor­ti en février 2020, réa­li­sa­tion Flo­rie et Cyril Adda, scé­no­gra­phie Flo­rie Adda

Heren­ger, La ban­quise, album Drea­mer faux rêveur sor­ti en février 2021, réa­li­sa­tion Kevin Bodin Films

Ber­trand Betsch Ain­si soit-il, album Demande à la pous­sière, réa­li­sa­tion B/​B

Didier Sus­trac, Langue de bois, album Mar­cher der­rière, en duo avec Prin­cesse Eri­ka réa­li­sa­tion Syl­vain Pier­rel, tour­né au théâtre de l’Adagio à Thionville


On la connaît bien cette méta­phore du voyage, de la navi­ga­tion… Et cette ques­tion plus que jamais d’actualité à l’heure où un puis­sant virus a mis à l’arrêt des pans entiers de nos vies : chan­ger d’avis ? Chan­ger d’habit, de route ? Enfin tout remettre en ques­tion, quoi… Mettre un grand coup de pied dans nos habi­tudes. Allez, finis­sons- en avec les télé­phones et les tablettes, « des flaques toxiques, /​Des rapides tour­billons, /​Le cou­rant élec­trique », cher­cher au fond de soi la solution…

Et ce n’est pas sans déri­sion que Cyril Adda a vou­lu illus­trer cette pen­sée, dans le titre épo­nyme de son nou­vel album, l’îlot. Voi­ci donc le clip, sur une scé­no­gra­phie pour le moins ori­gi­nale et la co-réa­li­sa­tion de Flo­rie Adda, qui nous embarque dans un voyage, une fuite avec pour toute embar­ca­tion un canot pneu­ma­tique. C’est dire si la tra­ver­sée sera agi­tée… Un sem­blant d’habitant des régions polaires ‑si l’on en croit l’équipement – chas­sé par le dérè­gle­ment cli­ma­tique, affronte les eaux des fleuves et des canaux de notre vieille Europe…Et c’est ain­si qu’apparaissent sur l’écran de la scène où se joue cette ten­ta­tive d’évasion des images de Londres, Bruges, Buda­pest, Lille ou Strasbourg…

Il n’est pas impos­sible aus­si que ce clip, un an après sa sor­tie, puisse illus­trer le pro­jet même de cet album sou­mis aux aléas de cette pan­dé­mie. Pas impos­sible non plus qu’il tra­duise celui de réunir dans un même album les chan­sons d’un pré­cé­dent EP et les six nou­velles chan­sons : des bouts de che­mins de vie, dit Cyril Adda lui-même, des his­toires vraies, qu’il évoque sans détour, comme le tau­lard accu­sé à tord, l’élève vic­time du har­cè­le­ment, ou la femme vic­time des vio­lences conju­gales… En quelque sorte une tra­ver­sée artis­tique dans cette socié­té, dans ses remous, ses tour­billons… Notons au pas­sage que c’est une joie de le retrou­ver accom­pa­gné dans quelques titres par l’ensemble DécOU­VRIR, par son quin­tet à cordes, la cla­ri­nette et le pia­no d’Etienne Cham­pol­lion.

Les len­de­mains mena­cés, voi­là bien aus­si ce qui hante Heren­ger dans son album nour­ri de ses voyages, de ses ren­contres, des sons fami­liers des gui­tares pop rock… Mal­gré les ques­tions et les doutes, il ne sau­rait se dépar­tir de ses rêves. Tel le « gar­dien de phare » qui se demande s’il sau­ra encore aimer de retour sur terre, il écoute « les muses volages … en sil­houettes légères infi­nies », il écoute leurs mur­mures, « des hordes de mots »… et reste fidèle à ce gamin qu’il fut « A tant jouer les plumes en herbe… à tant rêver de la bohème »…Il n’a pas vrai­ment gran­di, se laisse aller à devi­ner des sil­houettes dans les nuages, paréi­do­lie ordi­naire et c’est tant mieux… Son der­nier clip emprunte lui aus­si à La Ban­quise, à ce qui fond, dis­pa­raît len­te­ment et pleure des « larmes de géants »… « Faut-il dire adieu à Venise ? /​Faut-il dire c’était ça la ban­quise ? » Les images en clair obs­cur alternent celles d’un feu de camp, d’un groupe qui échange autour et celle d’une piste de danse où l’alcool coule à flot, où dansent et boivent des visages mas­qués de den­telle, dans l’ivresse et l’oubli des menaces… « Sous l’ombrelle, piquée dans la cerise /​Je l’ai vue /​Je l’ai vue /​La ban­quise. » Les der­niers plans nous confrontent à l’homme debout dans une eau qui pour­rait l’engloutir et sur­tout à ce pia­no aban­don­né sur une plage où déferlent les vagues imperturbables.

Insa­tiable Ber­trand Betsch… Après son album La tra­ver­sée dont la cri­tique n’était pas encore vrai­ment remise, voi­ci qu’il sort un dyp­tique élec­tro-rock en ver­sion numé­rique, Demande à la pous­sière puis Orange bleue amère dont il signe abso­lu­ment tout : paroles, musique, ins­tru­ments, voix, sam­pleur, arran­ge­ments, mixage et réa­li­sa­tion des clips.

Cette pro­lixi­té, cette abon­dance trouve son expli­ca­tion dans le « cha­grin du monde ». « Mes chan­sons oscil­lent sou­vent, dit-il, entre élans de tris­tesse inté­rieure et épi­pha­nies pro­cu­rées par la beau­té du monde (ou du moins ce qu’il en reste). Pour conclure : « L’art est pour moi le moyen d’accéder à une forme de rési­lience ». Bien enten­du, ce qu’il disait là au sujet du clip du titre Bus 51, extrait de Rater sa vie de presque rien, trouve encore son illus­tra­tion dans le clip du titre Demande à la pous­sière, dans ses images funé­raires, son texte « Fais bien toutes tes prières /​Tu chan­te­ras sous terre », son refrain en anglais « Ashes to ashes /​Dust to dust /​No more wishes /​No more lust /​More and more bruises » et cette vision apo­ca­lyp­tique : « Tout est fra­cas­sé /​On aura rien lais­sé /​On aura bien ten­té… »

A cette dys­to­pie, répond le clip de Ain­si soit-il. Le texte est une longue lita­nie de pré­ceptes, d’invitations : « Laisse-toi cha­vi­rer /​Laisse-toi empor­ter /​Apprends à mar­cher /​Apprends les sen­tiers /​Apprends à voler /​Apprends les nuées /​Apprends la patience /​Et comble l’absence » A peine l’homme blond aux yeux d’un bleu per­çant appa­raît-il, visage empreint de gra­vi­té, de tris­tesse que lui suc­cèdent un feu, une pluie en averse. Vont se suc­cé­der des images d’hommes et de femmes dans leur quo­ti­dien, sou­vent hos­tile, des pay­sages aus­si où dominent l’eau vive, le ciel, une route dans une atmo­sphère gelée… L’homme blond réap­pa­raît en gros plan, on voit s’esquisser un très léger sou­rire… Car ce clip est avant tout un chant d’espérance « Apprends à mou­rir /​Apprends à gué­rir /​Apprends à finir /​Pour mieux repar­tir /​Apprends à vivre /​Apprends à vivre… »

Pour refer­mer cette page de doutes, de menaces, on choi­si­ra une bos­sa nova, le clip Langue de bois, qui réunit Didier Sus­trac et Prin­cesse Eri­ka. Bien enten­du on ne man­que­ra pas d’y voir le sou­ci de reve­nir à la danse, à la sen­sua­li­té que dégage Prin­cesse Eri­ka se déhan­chant sur le chant et la gui­tare… Didier Sus­trac est un fami­lier des duos, cer­tains ont même fait date. On l’a vu aux côtés de Chi­co Buarque, Claude Nou­ga­ro, Pierre Barouh… On a même vu cette chan­son même inter­pré­tée avec toute une belle équipe au Bouche à Oreille à Bruxelles l’été der­nier : Odile Bar­lier, Rober­to Di Fer­di­nan­do, Eric Guille­ton et Osman Mar­tins.

On aime cette camé­ra qui tourne autour du duo dans un théâtre vide. On aime voir ces fau­teuils et cette scène qui signent et dénoncent notre manque, notre pri­va­tion de spec­tacles vivants. On aime les gros plans aus­si sur les inter­prètes et leur com­pli­ci­té, leur ten­dresse… Et puis ce texte qui, sous l’innocente danse, dénonce les tra­vers de dis­cours dénués de sub­stance : « Langue de bois, tu dis quoi /​A chan­ter la messe tout bas /​A faire feu de tout bois …Dis ce que tu vou­dras /​Ton bla bla bla c’est du cha­ra­bia /​Moi ma langue de cœur /​c’est tout mes patois ».