7 février 2015 – 14e Détours de Chant
Christian Olivier – Chut
La Cave Poésie René Gouzenne (Toulouse)
Christian Olivier, figure emblématique et tutélaire des Têtes Raides, voix des Têtes Raides, auteur de l’image graphique des Têtes Raides, n’est pas à un défi près. Dans son album « Corps de Mots » en 2013, l’année du Printemps des Poètes qui titre Les voix du poème, c’est à la poésie qu’il s’adonne, à corps et à cris. Et on l’entend rappeler que la poésie « c’est essentiel aujourd’hui… c’est un besoin de respirer, c’est une nourriture ». Lautréamont, Soupault, Desnos, Genet dans Le condamné à mort… un album qui pourrait à lui seul être un étendard pour la poésie mise à l’écart de notre monde d’aujourd’hui.
Sur la scène de la Cave Poésie accoutumée aux lectures, il vient seul en scène lire des textes de chansons, dépouillées de leur accompagnement musical. Il donne chair et vie nouvelle aux mots. L’accompagnement sonore, bande-son qui crachote, bruits confus de voix, de frottements, eau que l’on verse dans un verre (en écho à son geste de boire entre chaque morceau), dit des lambeaux de vie, l’usure du temps. L’interprète, un peu bougon, dans un costume sombre, chapeau sur la tête, derrière une petite table qu’éclaire une lampe de bureau orientée sur son grand cahier où les textes sont collés, ressemble à un commissaire d’un quartier oublié, levant à peine les yeux sur son vis-à-vis. Sur quelle enquête s’est-il penché ?
Lorsqu’il choisit de lire Avec le temps qui ouvre son spectacle, La nuit je mens, Le plat pays, Göttingen (magnifique avec des chants d’oiseaux en fond) voire Les mots bleus ou l’attendrissante Ginette, il a d’emblée notre adhésion. Nous aimons ces textes, certains sont même depuis des décennies l’objet de lectures en classe, ainsi intronisés dans l’univers de la poésie. Les entendre ainsi portés sans emphase, dans le dépouillement – presque la rigidité – d’une diction qui se refuse aux effets lyriques, avec cette voix profonde et grave, c’est retrouver le poids de chaque mot, sa musique. La lecture d’Hexagone (Renaud) est un moment d’une rare intensité. Dans nos consciences d’aujourd’hui, le texte claque comme une gifle.
On est davantage surpris lorsqu’il lit aussi des chansons empruntées à la « variété », pas forcément la plus riche de sens ! C’est peut-être à ce moment-là que le projet prend sa mesure car on leur découvre une dimension nouvelle, que ce soit pour s’émouvoir avec Marcia Baïla ou Je suis venu te dire que je m‘en vais. Ou pour sourire avec Le Téléphon, Daddy cool (irrésistible !) et pour finir – sur un accompagnement maladroit de batterie – Pas de boogy woogy, avec le geste de ses mains martelant l’interdiction du Pape ! Il se retire vite alors de scène, y revient rapidement pour quelques incontournables remerciements.
Il se peut que le spectacle trouve son point d’orgue, triste et nostalgique, dans la seule chanson interprétée en totale acoustique à la guitare, Le cœur a sa mémoire, chanson des Têtes Raides de la fin des années 80 : « Ne laissons pas les mots /Transformer en lambeaux /Tout ce qui fut la vie /De ceux qui sont partis /Sur les routes d’exil /Dans les parfums d’avril. »
Cette chronique, c’est aussi l’opportunité de dire que c’est au cours du festival Alors Chante de Montauban, précieux découvreur de talents, que l’équipe de Détours de Chant avait découvert ce spectacle.