Enzo Enzo & Laurent Viel, Chacun sa famille, 2021 (©Droits réservés)

Enzo Enzo & Laurent Viel, Cha­cun sa famille, 2021 (©Droits réservés)

20 octobre 2021, Enzo Enzo & Laurent Viel 

Cha­cun sa famille

Avec

Enzo Enzo (chant) Laurent Viel  (Chant) Thier­ry Gar­cia  (Arran­ge­ments, gui­tares, chœurs) Textes de Pas­cal Mathieu, musiques de Romain Didier, sauf Notre Amour, Kent (titre figu­rant dans le der­nier album d’Enzo Enzo, Eau CalmeOn leur dira, Allain Leprest /​Lio­nel Suarez 


Théâtre Jean Mar­mi­gnon – Saint-Gau­dens  (Haute-Garonne)

« Ain­si va la famille comme va la brindille

[…] dans le fil du courant…

Par­fois l’eau est profonde

Ou d’humeur vaga­bonde on va contre le vent

On des­cend la rivière sau­vage et singulière

Qui mène au jour suivant

La famille… ! Vaste sujet dont se sont empa­rés deux amis, en-chan­teurs de leur état, Enzo Enzo et Laurent Viel, avec la com­pli­ci­té de l’auteur Pas­cal Mathieu et du com­po­si­teur Romain Didier, et l’accompagnement des gui­tares sub­tiles de Thier­ry Gar­cia.

Ils nous donnent à rire, à nous émou­voir, à nous ima­gi­ner à leur place, inévi­ta­ble­ment… C’est là leur force ! Tour à tour, ils sont – nous sommes ! – frère et sœur, père et fille, mère et fils, cou­sins, cou­sines, amoureux…

Ils sont de tous les âges et même avant que d’être, « sper­ma­to­zoïde X ren­contre ovule Y » – Enfant amou­reux ou /​et chou­chou de sa maman, ado­les­cent « Notre ado le matin entre midi et 16h », celui qui « regarde la pluie en écri­vant quelques mots tristes »… Parents éga­rés au milieu des consignes contra­dic­toires « Faut faire ci faut faire ça en fait on fait ce qu’on peut »… Frères ou sœurs en com­pé­ti­tion, comme Les soeurs William… Pleu­rant le départ d’un ancien – ou pas… Déli­cate et émou­vante chan­son que celle qui évoque les sen­sa­tions d’un enfant, tenant la main de sa mère, rete­nant pudi­que­ment ses larmes « les fleurs qui embaument / Les cime­tières /​C’est l’haleine des fan­tômes qui sort des pierres… ». Avant bien sûr que d’être vieux « Qu’ils sont vieux /​Les vieux de mon âge /​Qu’ils sont vieux les vieux ! » …

On s’amuse de cette étrange tra­ver­sée d’une heure dans la course des âges, dans les rela­tions fami­liales, on s’amuse de ce qu’elle nous révèle des autres et sur­tout de nous-mêmes… Sur scène et dans nos têtes on s’aime et se déteste comme il se doit. Alors, vous l’aurez com­pris, ce spec­tacle créé à Avi­gnon en 2018, remis en chan­tier aujourd’hui avec une mise en scène au cor­deau, sera tou­jours d’actualité. Il ne craint pas, assu­ré­ment, de prendre une ride.

Une scé­no­gra­phie mini­ma­liste laisse toute la place au jeu du duo de chan­teurs, comé­diens, dan­seurs auquel Gérard Morel a mis son grain de sel … Un banc est en fond de scène côté jar­din, lieu de par­tages intimes ou d’affrontements, c’est selon. En devant de scène deux chaises, celles de la com­pli­ci­té ou bien de la dua­li­té. Le gui­ta­riste se tient en retrait, dis­cret et effi­cace dans son accom­pa­gne­ment ins­tru­men­tal, côté cour, avant qu’il ne soit pro­je­té au plus près du spec­ta­teur, sou­dai­ne­ment objet de quelque vin­dicte, « C’est la honte la honte la honte à la famille »…

On entre dans l’action avec une empoi­gnade soi­gnée, titrée Tor­tures chi­noises… « Ce n’est pas que je l’aie mau­vaise /​Au point d’en faire une jau­nisse /​Mais j’aimerais te cuire à la braise /​Ou à feu vif petite sau­cisse… » On pense alors à la confi­dence d’Enzo Enzo sur Face­Book évo­quant un « cra­quage en public », une engueu­lade mémo­rable dans une rue d’Avignon avec celui qu’elle nomme ten­dre­ment « son petit frère de cœur »… Chaque année, dit-elle, on célèbre l’évènement en s’insultant avec jubilation !

Bien enten­du, on l’aura devi­né, rien ne dure… Dès la deuxième chan­son le ton change ; on vire à la ten­dresse, à celle qui guide et ras­sure dans les yeux ou la voix d’un fran­gin ou d’une fran­gine de lutte, « Les repères et cur­seurs à jamais néces­saires »…

Dans ce grand débal­lage de sen­ti­ments contra­dic­toires où la parole se libère furieu­se­ment – on s’invective sans peine, et c’est jubi­la­toire ! – la famille est certes un nœud de vipères, un repère par­fois de nocifs, d’aigris, de véné­neux … Mais c’est aus­si là que l’on se dit qu’on s’aime avec tel­le­ment d’élégance, de rete­nue. Nous retien­drons quelques jolis moments : Enzo Enzo inter­pré­tant en front de scène, dans un halo de lumière, la chan­son superbe de Kent, Notre amour,  qui figure dans son der­nier album et dont elle vient de publier le clip, un hom­mage à l’amour qui dure, qui a su dépas­ser les orages. Nous aime­rons aus­si a contra­rio la chan­son de la sépa­ra­tion, tel­le­ment pudique, signée Allain Leprest … « On dira que dimanche on par­tait au mar­ché /​Ache­ter des oranges et qu’on s’est éga­rés /​Dans le rayon des doutes… ». On retien­dra le tendre tête à tête père –fille « Aujourd’hui je redoute que toi ma for­te­resse /​Toi mon fort inté­rieur un jour tu dis­pa­raisses »… Et sur­tout, sur­tout, on se sou­vien­dra, le cœur lourd, d’Elsa Hei­mer… « Elle a ce drôle de regard /​Qu’ont les gens sur le quai des gares … »

Pour conclure, on se sau­rait trop vous recom­man­der d’aller voir ce spec­tacle qui nous confronte, avec autant d’humour que de ten­dresse, à une réa­li­té à laquelle on n’échappe pas. Emprun­tons à Laurent Viel ces mots cités par Gérard Magnet dans la revue Hexa­gone en date du 10 sep­tembre 2019 :

« Qu’on l’aime ou qu’on la fuie, la famille nous construit, c’est quelque chose qu’on ne peut pas balayer comme ça… »