B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Il était un pia­no noir, lec­ture musi­cale  (© René Pagès)

10 et 13 décembre 2016 –Il était un piano noir, lecture musicale de morceaux choisis des Mémoires interrompus de BARBARA

avec Claude Fèvre  (lec­ture) et Dora Mars (pia­no, thé­ré­mine, mélo­di­ca, voix)

Le Café Plùm – Lautrec (Tarn) & Le Bijou (Toulouse)

Mais que suis-je venue faire dans cette galère… ? C’est l’heure où l’on sou­hai­te­rait que quelque chose sur­vienne pour vous arra­cher à ce qui se passe là, dans notre corps qui sup­plie que cesse cette tor­ture. Elle a pour nom trac, stress, frousse, trouille. La peur ! L’heure du silence, l’heure où cha­cune des minutes qui passe paraît une éter­ni­té. L’heure fati­dique de l’attente d’entrer en scène.

Citons Bar­ba­ra – qui mieux qu’elle a pu en par­ler ? « Un fluide indé­fi­nis­sable cir­cule dans mon corps, dans tout mon être. Je res­sens une énorme ten­sion, une joie et une peur gla­cée. Repliée sur moi-même, enfer­mée, je me concentre, j’accumule et retiens l’énergie dont je vais avoir besoin pour le spectacle. »

Nous sommes deux dans les cou­lisses à ne plus dire mot.

L’instant d’avant, au moment des balances, on a échan­gé mal­adroi­te­ment, mi amu­sées, mi aga­cées par un rien, pour du pas grand-chose. On sent qu’il fau­drait si peu pour que l’on se mettre en colère, contre cet(te) autre, fidèle, qui nous fait escorte. Les tech­ni­ciens s’activent, ner­veux, pré­cis. « Ils se déplacent, écrit Bar­ba­ra, avec une rapi­di­té et une sou­plesse d’acrobate ; c’est magni­fique. » Colin, Cédric au Plùm, Dorian, Lau­ra au Bijou, vous êtes si pré­cieux pour nous… Car nous sommes si fra­giles sou­dain. Avec nos caprices d’enfants gâtés avec les­quels vous vous effor­cez de composer !

Nous voi­ci parées, pré­pa­rées. Dora et moi avons revê­tu notre habit, avons soi­gné bijoux, che­veux, maquillage. On y a pen­sé des mois à l’avance. On a chan­gé d’avis mille fois dans la glace ! Il s’agit d’être à la hau­teur de cette « exhi­bi­tion de soi ». Encore une expres­sion de Bar­ba­ra. Car il en faut de l’impudeur, de l’indécence pour faire ce métier ! Ne nous a‑t-on pas appris, enfants, que nous devions ces­ser de faire l’intéressant(e)… Sur­tout nous, les filles ? Nous avons bien conscience que nous fran­chis­sons un inter­dit et c’est ça qui tord le ventre. Quelle main va s’abattre sur nous. Quel pied aux fesses ?

Au Bijou, à Tou­louse, les murs sont tapis­sés d’inscriptions – ves­tiges gra­phiques des pas­sages d’une cohorte bigar­rée d’artistes, musi­ciens, chan­teurs. Bien­tôt trente ans que ça grif­fonne sec sur les murs ! Ils suintent de toutes ces ten­sions, ces joies, ces peurs mêlées. On se dit que l’on pour­rait faire nous aus­si notre petit des­sin mais non, sur­tout pas maintenant !

C’est quand arrive le maître ou la maî­tresse des lieux qui fait office de pré­sen­ta­teur que le top départ est don­né. Le coup de pis­to­let du sprin­ter ? C’est amu­sant, je pense à mes départs pied gauche bien calé dans le star­ting block, regard fixé sur l’horizon des cent mètres à par­cou­rir…! C’était il y a cin­quante ans. Est-ce pos­sible ? Cette fois, c’est plu­tôt de l’endurance que l’on attend de nous… Une bonne heure à res­ti­tuer ce que l’on a mis des heures à répé­ter, à grands coups de doutes, de retours en arrière, d’espoirs… On a ima­gi­né cette ren­contre avec le public mille fois.

Sou­dain, ça y est, on entend sa propre voix qui s’élève – bizarre comme elle résonne… « C’est ma voix et ce n’est pas ma voix » dit Bar­ba­ra. Devant nous quelques visages tendus…plus loin le noir abys­sal des pré­sences silen­cieuses. Ô le bruit que fait ce silence ! Un silence char­gé de l’histoire de cha­cun, des heures qui ont pré­cé­dé, des émo­tions qui vont faire fris­son­ner, faire pleu­rer cer­tains. On sau­ra un peu, tout petit peu, de tout ce flot après. Quand tout sera fini. Cer­tains écri­ront sur le livre d’or qu’on leur tend, des mots, comme autant de caresses qui feront leur petit che­min jusqu’à notre cœur qui doute encore.

Revient alors le bruit de la vie ordi­naire. Vient le temps de l’atterrissage, du retour à la nor­mal. On se sent épui­sés, vidés. Et pour­tant les tech­ni­ciens sont déjà à la tâche, ils débranchent, rangent, enroulent métho­di­que­ment les câbles… Pen­dant le spec­tacle, on a vu leur sil­houette dans un halo de lumière, là-bas au loin, à leur console. On s’y est par ins­tants accro­chée comme à une bouée de sau­ve­tage en mer. Car ça tangue, ça gite par­fois sur la scène qui « porte à leur paroxysme toutes les émo­tions. Tout est mul­ti­plié, élec­tri­sé, tu es seule à assu­mer tes erreurs et celles des autres, tout est ultra­ra­pide, intense, tu es hors de toi, « sor­tie de toi ». Alors, on range ce livre blanc des Mémoires inter­rom­pus de Bar­ba­ra, pré­cieux témoi­gnage d’une vie de femme et d’artiste dont la lec­ture nous grandit.

On découvre que les exem­plaires du Livre de Poche dépo­sés à l’intention du spec­ta­teur à la sor­tie sont presque tous ven­dus. Ins­tant de bon­heur, de fierté.