Un été 44 – Comédia Paris 2017 (© droits réservés)
19 février 2017 – Un été 44
sur une idée originale de Sylvain Lebel, produit par Valery Zeitoun, mis en scène par Anthony Souchet. Direction musicale : Erick Benzi – Lumières : Jacques Rouveyrollis assisté de Jessica Duclos
Avec les auteurs-compositeurs : Jean-Jacques Goldman, Alain Chamfort, Charles Aznavour, Maxime Le Forestier, Yves Duteil, Nérac, Erick Benzi, François Bernheim, Florent Lebel, Christian Loigerot, Christian Vié, Claude Lemesle, Guy Lachella, Michel Amsellem, Joëlle Kopf, Jean Fauque, Sylvain Lebel, Jean-Pierre Marellesi
Avec les comédiens – chanteurs – danseurs : Philippe Krier (Hans Bauer), Barbara Pravi (Solange Duhamel), Tomislav Matosin (William O’Brien /Willy), Alice Raucoules (Yvonne Gauthier), Nicolas Roland (Petit René), Sarah-Lane Roberts (Rose-Marie)
Théâtre Comédia – Paris Xe
C’est un grand, très grand spectacle qui nous a bouleversés, émus au plus profond. Et c’est aussi une comédie musicale avec tout ce que nous en aimons : la chanson, la musique interprétée en scène, la danse, de belles voix, des lumières, de la féérie pour nous émouvoir et nous faire rêver, même quand elle dit la douleur et le drame d’une guerre encore dans nos mémoires. Cette guerre, celle qui a fracassé la jeunesse de nos parents. Eux aussi, comme le personnage de Solange le chante, auraient sûrement voulu reprendre leur enfance là où ils l’avaient laissée…. Tout au long de nos jeunes années, la guerre est restée là, tapie, sournoise, toujours prête à renaitre dans les conversations. Elle a tissé sa toile, tapissé nos cerveaux de ses récits de peur, de chagrin, d’angoisse et de révolte … Alors, bien sûr, on a pleuré.
On peut certifier que tout ce qui est chanté, dit dans ce spectacle, tout ce qui s’attache aux sentiments des sans –grade, des anonymes embarqués dans une tragédie qui les dépasse est empreint d’authenticité, de vérité. Le projet conçu par Sylvain Lebel, normand né sur ces plages du débarquement ne pouvait pas échapper à cette profondeur. La chanson Seulement connu de Dieu, signée Claude Lemesle pour le texte et Charles Aznavour pour la musique résume tout.
Au-delà de cette authenticité, le spectacle a bien d’autres atouts. La scénographie use de projections en fond de scène où apparaissent éléments naturels ou visage de celle par qui tout commence : un récit qui structure l’histoire et renvoie au passé, celui de ses parents. Le décor découpe deux espaces distincts, à jardin la cave où l’on se réfugie pendant les bombardements et qui devient malgré tout un véritable lieu de vie, un escalier qui mène à un palier d’où l’on peut deviner ce qui se passe au loin, dehors. Du côté de la Grande Histoire ! A cour les musiciens sur deux niveaux : clavier, batterie, guitare, accordéon, basse et contrebasse selon les moments. Au centre se joueront les scènes les plus fortes en émotions, combat contre les flots, la mitraille, chagrin, douleur, séparation mais aussi joie de la liberté retrouvée, danse, swing, jazz, cigarettes, whisky, bas nylon, et ces 2436 pianos débarqués en France !
Quant aux personnages, on s’y attache. On ne saurait trop se réjouir que trois jeunes filles soient au tout premier plan. Ces filles que l’Histoire oublie quasi inexorablement. Celles qui attendent souvent un père, un mari, un frère soustrait à leur affection. « J’attendrai le jour et la nuit, j’attendrai toujours ton retour », chantent-elles en chœur… Elles ont à peine vingt ans, un peu plus, un peu moins et leurs échanges se nourrissent aussi de la légèreté de leur âge avant que la destruction de leur abri ne les pousse sur les routes. Ce voyage, quasi initiatique fera d’elles des femmes. Un pont traverse alors la scène de jardin à cour, du paradis perdu de leur enfance à leur avenir. « On est entre nulle part et ailleurs ». On évoquera aussi d’autres combats, celui des suffragettes, mais surtout celui des « Rochambelles », infirmières engagées volontaires, actrices d’une guerre au féminin. La chanson est signée Yves Dutheil /Alain Chamfort.
On verra aussi Petit René, jeune garçon de 17 ans, que l’on ne prend pas au sérieux, même quand il voudrait entrer dans le combat clandestin. Au cours du spectacle il gagne en maturité et finit par arborer fièrement l’inscription FFI sur la manche. On verra le beau personnage du GI, Willy, entraîné dans les commandos Kieffer, avouer sa peur au moment de débarquer, s’interroger sur son destin au milieu d’un roncier dans le bocage normand… Puis devenir le libérateur et ce séduisant jeune homme dont la modeste et sage Yvonne tombera amoureuse. On soulignera le jeu efficace, élégant de Tomislav Matosin, le seul que nous connaissions dans cette distribution. Voilà de quoi nourrir son imaginaire et sa créativité pour bien des années… Mais pour l’heure ce rôle est un cadeau pour celui qui rêvait de grands espaces américains et qui s’est nourri de leur musique. Pour celui qui chantait « J’me raconte des histoires d’Amérique /Dans les rues, les ruelles /Dans les briques de la 13ème avenue »…
Enfin on soulignera le rôle de l’allemand, le personnage du soldat de la Wehrmacht, Hans Bauer, dont le scénario fait un homme sensible et cultivé qui subit, qui n’a pas demandé à être là. Il vit une histoire d’amour, condamnée par avance, avec la jeune et tourbillonnante Rose-Marie. En assistant à l’échange difficile entre les jeunes filles au sujet de cet amour interdit, en entendant sa chanson à la fin du spectacle « Vous voyez bien que j’aurais pu être votre ami » on pense inévitablement au superbe récit de Vercors, Le silence de la mer.
La conclusion, c’est une chanson de Jean-Jacques Goldman au style reconnaissable qui la donne. Un bel hommage à tous ces anonymes qui ont traversé une tragédie, les oubliés de l’Histoire : On tombe, on se relève mais On n’oublie pas.
Les représentations parisiennes sont prolongées jusqu’en juin avant que le spectacle ne parte en tournée. On ne saurait trop conseiller d’aller voir Un été 44 où se conjuguent musique, danse, chanson, théâtre, où la réalité historique n’est jamais trahie, où les personnages sont plus vraies que nature, où le message enfin est celui de la tolérance et de la fraternité.