Jean-Baptiste Soulard –Le silence et l’eau– 2020 (©Frank Loriou)
28 février 2020, sortie de l’album de Jean-Baptiste Soulard, librement inspiré par le récit autobiographique de Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie.
Le Silence et l’eau
Avec
Jean-Baptiste Soulard (guitare, banjo, claviers additionnels, piano, arrangements de cordes et cuivres), Florent Chevallier (violoncelle), Julien Paris (batterie) Tom Caudel ( Tuba et saxhorn) la participation de Achille, Bessa, Blick Bassy, Jacinthe, Luciole, , JP Nataf et l’acteur Raphaël Personnaz (acteur qui a incarné le rôle de Sylvain Tesson dans le film éponyme de Safi Nebbou en 2016)
L’album de Jean-Baptiste Soulard, Le silence et l’eau est à proprement parlé romantique, très loin des attentes du monde musical, fût-ce celui de la Chanson, habituée pourtant des parcours buissonniers. Pour ainsi le qualifier, on pense en effet au mot allemand « wanderer », (randonneur : surnom attribué en son temps à Goethe), que Sylvain Tesson emploie pour désigner ses routes en solitaire dont il fait la matière même de sa vie et de son œuvre.
Ce projet trouvera sans aucun doute son accomplissement en scène, le 9 avril 2020, au café de la danse où s’accomplira la symbiose de la musique (avec le violoncelliste Florent Chevallier) de la vidéo (création de Carine Gérard) et de la danse (Lisa Robert, danseuse de la compagnie DCA Decouflé). La mise en scène est assurée par Christophe Gendreau, fidèle des chantiers des Francos à La Rochelle. Heureux les spectateurs de cette soirée !
En attendant ce printemps, nous découvrons l’album inspiré par le récit largement plébiscité de Sylvain Tesson en 2011, Dans les forêts de Sibérie. Il s’est vu prolongé par un film éponyme de Safi Nebbou en 2016, puis par une bande dessinée de Virgile Dureuil, publiée récemment aux éditions Casterman… C’est dire si l’expérience physique, mentale de l’homme qui vécut en ermite – ou quasiment – pendant six mois, de février à juillet 2010, dans une cabane sur la côte nord-ouest du lac Baïkal en Sibérie, suscite la création. Ici, Jean- Baptiste Soulard, entreprend de mêler ses mots à ceux de Sylvain Tesson, de lui emprunter des sensations pour les fondre dans celles que lui inspire sa lecture. Il ne s’agit pas tant de raconter que de transcrire des émotions.
Le visuel de l’album présente une photographie où se fondent le ciel, les arbres et l’eau. Des tons d’hiver, beige, bleu-vert, gris et blanc, surtout du blanc. Des lettres capitales Le silence et l’eau vous invitent à la solitude, au recueillement. Le nom de l’artiste apparaît en très petits caractères en bas de la couverture et son portrait, assis en solitaire sur un rocher en forêt, figure sous le disque. Tout fait sens… On devine qu’il a souhaité s’effacer et la quatrième de couverture décline les onze titres où figurent, pour huit d’entre eux, les voix invitées : Blick Bassy, Luciole, Bessa, JP Nataf et le comédien Raphaël Personnaz.
L’album s’ouvre sur un duo avec Bessa, Sois le dernier, dans une atmosphère feutrée, une guitare à peine présente accompagne un préambule, une invitation à se laisser conter des histoires « d’ailleurs et de pitié », « loin de l’enfer, loin de nos doutes ». Il suffit de se laisser faire, se laisser porter au « chant des sirènes allongées », comme celui des « fées aux cheveux verts » qu’écouta jadis Guillaume Apollinaire… Le voyage commence avec le choix de la destination : ce sera le lac Baïkal. Le projet se dessine alors sur la profondeur d’un violoncelle en osmose avec la guitare « Il me faudra, tout en comptant / observer la nature, et parfois, /observer les ombres, puis cueillir la sève, /pour battre l’hiver, et les morsures, /de ces eaux glacées ». Arrivé à destination, voilà que soudain se lève un chant venu d’ailleurs, celui du musicien camerounais Blick Bassy, en dioula, pour évoquer l’isba, cette cabane de bois, 9 m² d’asile dans le froid. L’aventure humaine – parlons de l’aventure intérieure – n’a donc pas de frontière.
C’est la voix et la diction superbe du comédien Raphaël Personnaz qui restitue ensuite celle de Sylvain Tesson parti loin de la ville pour « tirer sur les discours le rideau des forêts. » La cabane est ce refuge, ce point d’ancrage de tous les rêves, « un champ expérimental où s’inventer une vie au ralenti » ; elle est comme la grotte où se glisse Robinson, couché en position fœtale dans Vendredi ou les limbes du pacifique de Michel Tournier… Tout est prêt pour un nouveau rapport au temps, à la vie, même au point de se sentir devenir « un pieu fiché dans le sol, où tout [son] être s’enracine. »
Dans cette vie là, on apprend sans cesse à l’écoute de la nature qui sert de guide, montre la voie, comme le fit l’omble chevalier, ce poisson qui vit dans les eaux froides du lac. On pressent des épreuves, des défis, on entend le long lamento du violoncelle dans Fer rouge, ou le piano dans l’instrumental Débâcle ; on fait face aux « vents contraires » et l’on devient « Cerbère de ces eaux glacées » « juste loup esseulé ».
Arrive la fin du voyage, et c’est ainsi que l’anaphore « j’ai vu » énonce le bilan : « J’ai vu le diable me fatiguer /J’ai bu le sable pour m’étouffer / J’ai vu mes jambes accélérer /J’ai vu mon ombre s’effacer… »
Quel était donc le but de ce voyage, de ce séjour face à soi même et à ses limites ? Le dernier titre de l’album nous donne l’essentiel de la réponse dont il serait bon de se souvenir :
« Parvenir à respirer sans forcer le combat, ralentir… /Parvenir à décoller sans écarter les bras, réussir »