JePh et  Laurent Berger, seuls en scène et frères de plume

JePh & Laurent Ber­ger (© droits réservés)

29 & 30 jan­vier 2020 – 19e Détours de Chant

Seuls en scène

Avec
JePh /​Jean-Phi­lippe Vau­thier (gui­tare, voix), Mon pays – Laurent Ber­ger (gui­tare, voix), Chan­sons de l’instant


Le Bijou – Salle du Séné­chal (Tou­louse)

JePh et Laurent Ber­ger, deux noms que le café Plùm à Lau­trec (Tarn) a réunis, dans le sillage du fes­ti­val Détours de Chant, ce même 30 jan­vier. Le titre que le second s’est choi­si pour­rait bien leur offrir une appel­la­tion com­mune : Chan­sons de l’instant. Chan­sons de l’éphémère, de ce temps sus­pen­du quand elles vous cueillent et vous rendent sou­dain plus légers, plus sen­sibles, oublieux des aspé­ri­tés de la vie. L’un et l’autre, avec leur seule gui­tare, nous ont ain­si entraî­nés à leur suite, sur la vague de leurs émo­tions, dans l’empreinte de leurs mots. Plus d’une heure durant nous avons échap­pé à la pesanteur.

On ne dira jamais assez com­bien un concert a de pou­voir sur nos âmes. Esseu­lées, endeuillées, meur­tries, ou sim­ple­ment lasses, elles peuvent, y retrou­ver vigueur et vie. Le vaste choix du fes­ti­val Détours de Chant avec ses 40 artistes dans 24 salles de Tou­louse et sa métro­pole est autant d’occasions de venir le vérifier.

JePh n’est pas vrai­ment un débu­tant, si l’on songe aux quinze années pas­sées avec son groupe de rock Tour­née Géné­rale, si l’on se sou­vient de son duo de reprises, Rouge Gorge avec son frère accor­déo­niste. Il a eu le temps d’apprivoiser la scène, d’aiguiser sa plume au contact de Leprest, Fer­rat, Debron­kart, Nou­ga­ro… Et pour­tant ce soir nous le sen­tons fébrile, ému sur son fil de funam­bule… Seul en scène, ce n’est pas rien et, qui plus est, sur cette scène convoi­tée du Bijou à Tou­louse ! Qu’il se ras­sure, cette fra­gi­li­té même, cette émo­tion à fleur de mots et de notes, ce cœur qui s’affole par­fois, c’est aus­si ce que nous venons cher­cher dans un concert.

Du rock il garde cette envie d’en découdre, une incon­tes­table rage, mais tou­jours dans la joie… Car il aborde son public avec un sou­rire et une géné­ro­si­té impa­rables. Et c’est ain­si qu’il débute son concert, et le ter­mine : le corps et la voix sont de mèche pour prendre à bras le corps cer­tains thèmes qui lui sont chers. Le monde est à refaire, nous le savons bien, et il le chante, le dit, « parce que le nerf de [sa] guerre est à vif » ! JePh garde en lui, pro­fon­dé­ment ancrée, la cer­ti­tude qu’« une bonne révo­lu­tion nous remet­trait dans le bons sens. » Lorsqu’il dit son texte hors micro, se rap­pro­chant du public pour mieux l’interpeller, il aurait quelque chose des chan­son­niers du siècle pas­sé. Mais une grande par­tie de son concert se fera beau­coup plus intime et c’est dans ce registre qu’il nous touche le plus. Quand il chante des amours enfuis – l’amour, on le fait, on le défait aus­si quand « tout se taille sous nos yeux »… – des ins­tants dis­pa­rus, quand les mots se font l’écho d’une indé­niable fra­gi­li­té, d’une immense ten­dresse, comme pour cette fille dont on aper­çoit la sil­houette se pro­me­nant « en culotte entre la chambre et la cui­sine »… Ten­dresse encore quand il dédie un texte à un amour immense, s’offrant alors le lyrisme appuyé d’un Ennio Mor­ri­cone, quand il rend hom­mage à l’amitié pour son « frère de plume », « fier écuyer de lune », un cer­tain Gau­vain Sers… Ten­dresse enfin pour « un pays qui se bat tou­jours et que je porte dans [ses] entrailles », « des mil­lions de cœur à l’ouvrage » dont il évoque avec émo­tion l’Histoire qui est aus­si la sienne, 81 et des poussières.

Laurent Ber­ger, lui, fait face, en plein midi, aux quelque 250 spec­ta­teurs de la Pause musi­cale, que son orga­ni­sa­teur Joël Sau­rin, évo­quait ain­si, à la nais­sance du pro­jet « Il s’a­git de sor­tir les pié­tons du tumulte du centre-ville pour les mener vers un espace inat­ten­du, un ins­tant plus léger, une paren­thèse musi­cale ». Plus que jamais, il s’agit d’offrir une éva­sion… Nous savons par avance que le pari sera tenu par cet artiste dont nous connais­sons la voix pro­fonde, au grain si sin­gu­lier, la sobrié­té et la sim­pli­ci­té dans ses échanges avec le public et sur­tout les textes qui récon­ci­lient avec la plus exi­geante poé­sie, celle qui s’adresse à l’essentiel comme dans cette chan­son de fin concert. Chan­son inédite où la méta­phore de l’arbre nous invite à la confiance : « J’ai besoin de racines et de vents dans les branches /​J’ai besoin d’une liane pour nouer à mes hanches ». Ou comme dans le rêve sur lequel il nous laisse, s’il ces­sait un jour de faire des chan­sons : « Har­di, je serai palu­dier » pour trou­ver, entre ciel et mer, une alliance inté­rieure, « ne pas confondre tout ce qui brille… Obser­ver le temps qui court… ».

Il ne fau­drait pour­tant pas croire que ces chan­sons de l’intime – on atteint une dimen­sion rare dans l’évocation de l’ultime départ « Je vais sans le moindre bagage /​Je ne demande qu’une grâce /​Soyez légers de mon amour » – font fi du monde autour. Elles rendent grâce à la beau­té, comme dans cette mira­cu­leuse « librai­rie du Pas Pres­sé » et son éloge de la len­teur, de la paresse, dans ce texte déli­cieu­se­ment coquin Ton cul sur la com­mode – un temps fort du concert – ou dans « Val­pa­rai­so la vieille », sou­ve­nir de voyage que l’écriture sauve de l’oubli… Elles disent la dou­leur silen­cieuse de celle qui attend l’amour, le sort de l’artiste, Sous un pont, avec cette déli­cate allu­sion à Jacques Brel aux Mar­quises, et ce souffle du vent… La tra­gé­die de ceux pous­sés au départ mor­ti­fère par la voie des mers « Pour­quoi tu me tues dit l’enfant à la vague.. » C’est à Jacques Brel encore qu’il emprunte une chan­son des années 50. Elle dit tout de l’enfer sur Terre avec le dis­cours du diable ponc­tuant sa des­crip­tion de « ça va »…

Le charme de Laurent Ber­ger c’est de nous lais­ser croire que nous, spec­ta­teurs, sommes tous un peu poètes et que nous pou­vons finir son rêve :

« Rien n’est plus beau qu’une phrase inachevée 

Rien n’est plus beau qu’un vers que rien n’achève

Qui dit à l’autre je n’ai rien fait qu’essayer

Qui dit à l’autre vas‑y finis mon rêve »