Le Banquet invite Nicolas Jules - Le Bijou – mai 2022  (©Claude Fèvre)

Le Ban­quet invite Nico­las Jules – Le Bijou – mai 2022  (©Claude Fèvre)

4 au 5 mai 2022 – Le Ban­quet invite Nico­las Jules – nou­veau pro­jet d’Alice Bénar

Le Bijou et ses gourmandises sonores

Avec,

Clé­ment Jani­net (vio­lon) Clé­ment Petit (vio­lon­celle) accom­pa­gnant Nico­las Jules (voix, texte)

Alice Bénar (textes, musiques, voix) Quen­tin Daniel (gui­tare, uku­lé­lé, basse) Aina Tulier (nyckel­har­pa, bodhran)


Le Bijou  (Tou­louse)

Sau­ra –t- on jamais le prix d’une pro­gram­ma­tion qui s’écarte des sen­tiers trop fré­quen­tés, qui prend le risque de l’insolite, de la nou­veau­té, de la sur­prise ? Sau­ra-t-on jamais la chance d’assister aux pas de côté que sus­cite la créa­tion chez cer­tains artistes, ceux qui ne se satis­font jamais de leurs acquis quand bien même le spec­ta­teur les y encouragerait ?

Voi­là que, dans une même semaine, la salle du Bijou nous pousse à la décou­verte… Et pour­quoi ne pas oser dire à l’étrange ?

Filons la méta­phore puisque le qua­tuor à cordes Le Ban­quet nous y invite. « Plu­riel et sans fron­tière …Comme un écho à ce que fut la musique de table qui accom­pa­gnait fêtes et ban­quets » lais­sons nous conduire « à sa table pour une douce orgie acous­tique »… Voi­là qui doit mettre l’eau à la bouche des musi­ciens, par­ti­cu­liè­re­ment des musi­ciens de jazz. Mais ce n’est pas tout, puisqu’ici, ce soir, deux d’entre eux – vio­lon et vio­lon­celle- vont rele­ver le défi d’accompagner à l’identique ou presque, leur pro­jet avec Nico­las Jules, poète et chan­teur. Nul n’ignore son verbe affran­chi de toute règle, toute conven­tion, dérou­tant, baroque, sub­ver­sif sou­vent, non sans humour et auto­dé­ri­sion … Un siècle plus tôt il aurait pu rejoindre les dadaïstes.

C’est un défi que d’essayer de rendre compte de cet objet non seule­ment sonore, mais aus­si visuel, d’une heure envi­ron. Car c’est un spec­tacle d’abord de voir ces deux musi­ciens et leur gestes pré­cis sur le bois, les cordes de leurs ins­tru­ments dont ils tirent des sono­ri­tés impro­bables, méca­niques, métal­liques, lyriques aus­si bien sûr… Impos­sible de savoir s’ils ont sui­vi le texte ou si c’est le texte qui les a sui­vis dans leurs improvisations…

C’est un spec­tacle aus­si de décou­vrir Nico­las Jules, que nous connais­sons tru­blion impré­vi­sible face aux spec­ta­teurs, ici dans une tenue impec­cable – très chic ce noir ! – une ges­tuelle maî­tri­sée, une écoute sans failles, corps et regard ten­dus le plus sou­vent vers ses accom­pa­gna­teurs. Le texte est dit dans une dic­tion par­faite, alliant dou­ceur et vio­lence… C’est un peu comme si nous assis­tions à l’émergence des mots dans sa gorge, par­fois des cris, mais vite rete­nus, à leur irrup­tion à la table d’un café où il serait venu trom­per la dou­leur de la rup­ture. Car, disons-le, il s’agit bien de lais­ser venir les pen­sées, les émo­tions et les sen­sa­tions d’un amour fini. « Tes yeux ont la petite lumière rouge de quand c’est occu­pé ». Il s’agit d’une errance qui com­mence dans la ville « La danse jaune des tram­ways, le petit jour sur le Canal… la ville en réseau et moi qui marche sur le réel avec des pieds d’oiseau… » Et ce constat « La tour de contrôle ne contrôle plus grand-chose » qui fait que l’errance se pour­suit une heure durant jusqu’à ce que le cœur devienne cette chose san­gui­no­lente posée sur une planche à décou­per en petits dés… Jusqu’à ce que la peur gagne, la peur d’être dans le viseur d’un révol­ver dans le dos… Et tou­jours, tou­jours mar­cher, « aller voir ailleurs si j’y suis… ». Ten­ter vai­ne­ment d’échapper aux « mots tirés à bout por­tant, mots froids et durs, » se sen­tir « à l’amende quelque part dans la galaxie. » Seul dans « la ville d’impasses, la ville de bar­rières, la ville de chan­tiers, la ville de détours… »

Et voi­là que le ven­dre­di le Bijou invite Alice Bénar, en com­pa­gnie de deux musi­ciens qui, avec elle et pour elle – leurs regards ne la quittent pas ! – des­sinent un tout autre monde, très loin, très loin des rumeurs de la ville… On vous invite à ima­gi­ner. A jar­din c’est Aina Tulier avec sa harpe d’origine sué­doise, la nyckel­har­pa (« vièle à cla­vier ») ins­tru­ment dont le son nous trans­porte loin dans le temps, celui des cathé­drales… mais aus­si avec son bodh­ran, petit tam­bour irlan­dais qui vien­dra faire écho au tam­bour qu’Alice fixe à sa taille… A cour c’est Quen­tin Daniel qui l’accompagne de la gui­tare, de l’ukulélé ou de la basse… Alice, elle, presque gra­cile, sobre­ment vêtue de noir, une grappe de feuilles vertes fixée dans sa che­ve­lure, a près d’elle un pupitre qui lui offre de mul­ti­plier sa voix, ce qu’elle fait, sou­li­gnons –le, avec une déli­ca­tesse infi­nie. Avec Alice, on entend même cra­quer les feuilles…

Nous la connais­sons, Alice, nous connais­sons ses ins­tants ténus de créa­tion, den­telles de mots et de sons comme celui qu’elle nous offert à Noël der­nier. Un haï­ku sonore dépo­sé dans un lieu d’art contem­po­rain où les œuvres de her­man de vries emprun­taient à la terre, la pierre, le bois et les végé­taux du pays où il expo­sait. Si nous nous remé­mo­rons cette créa­tion c’est qu’elle fait écho par­fai­te­ment au spec­tacle qu’offre le trio ce soir.

Ecou­tez, « ça com­mence comme ça, un désert »… Alice nous invite à pous­ser les murs, à agran­dir le ter­ri­toire, à se lais­ser conter des his­toires par les oiseaux… Qui peut résis­ter à une telle invi­ta­tion ? Nous en témoi­gnons : le trio vien­dra effec­ti­ve­ment mettre un bout de lumière dans ce désert… Une pluie d’images et de sons… La vie en somme. Car on se lais­se­ra hap­per par la sym­biose, la fusion des lan­gages, celui des voix, celui des ins­tru­ments, mais aus­si celui des corps. Les mains d’Alice vous des­sinent des ara­besques, son visage est un pay­sage et par­fois elle danse…

Très vite nous avons le sen­ti­ment d’assister à une célé­bra­tion. On se pro­met d’y reve­nir pour y pui­ser encore cette grâce et cette beau­té, pour oublier une heure durant les choses qui bloquent, dit Alice, « les grèves de train, les pan­dé­mies et les his­toires d’amour impos­sible »… Alors oui, on reviendra…

On atten­dant, on gar­de­ra en mémoire quelques ins­tants de beau­té sus­pen­dus : la tra­ver­sée au-delà de l’Océan paci­fique pour quelques minutes au Japon où « les vagues s’esclaffent et le ciel se pâme », la pro­me­nade dans les bois où basse et tam­bours, hibou « du haut de son grand chêne » et inévi­table cou­cou nous font escortent en terre d’enfance, la sta­tue de terre et ses efforts pour s’arracher à son immo­bi­li­té et « cou­rir en robe légère », la chan­son où la neige se dépose par­tout, par­tout, le bord de scène a capel­la qui nous emmène en hiver, au coin du feu, et sur­tout ce duo d’une déli­ca­tesse infi­nie, avec Quen­tin et son uku­lé­lé où Alice parle de son grand-père qu’elle n’a jamais connu avec les yeux de sa grand-mère… Tant d’amour et de ten­dresse dans un rond de lumière. Pour finir c’est dans sa cabane qu’on se laisse invi­ter… une cabane comme on en bâtit en enfance et en rêve… Pas éton­nant, les murs sont en papier de riz.