Dora Mars en vol libre (Ⓒ droits réservés)

Dora Mars (© droits réservés)

19 février 2016 – Dessine-moi un avion

San­dra Bour­guet en solo. Accom­pa­gne­ment artis­tique : Éric Saint Anto­nin. Mise en scène : Fabrice Gué­rin

Sortie de résidence, Centre culturel Alban Minville (Toulouse)

Avouons qu’elle est bien ins­pi­rée San­dra Bour­guet de s’offrir un si joli nom ins­pi­ré par une autre Dora Mars, née sous la plume de l’auteur tou­lou­sain Franck Giroud et le des­sin de Cyril Bonin. Aven­tu­reuse, roman­tique, le per­son­nage a de quoi ouvrir grand les portes de l’imaginaire.

Cette fois San­dra ose le vol libre et soli­taire en scène. On com­prend pour­tant assez vite qu’elle a toute une équipe sin­gu­liè­re­ment créa­trice autour d’elle. Car si elle appa­raît effec­ti­ve­ment seule en scène, avec tout ce que cette nou­velle réa­li­té lui impose d’évidente fra­gi­li­té, elle offre un spec­tacle métis­sé. Encore nos­tal­gique du foi­son­ne­ment créa­tif de l’ère Jack Lang, nous avouons notre attrait pour ces audaces-là, au prix d’une mise en dan­ger. Nous aimons en effet que la chan­son s’en aille flir­ter avec d’autres formes d’expression.

Ici, il s’agit de la créa­tion d’images de Nico­las Mary, tech­ni­cien lumières de cette rési­dence. On ne peut que se sen­tir hap­pé par la vidéo qui défile en toile de fond des chan­sons. L’atmosphère en est réso­lu­ment « vin­tage ». Elle super­pose des images impres­sion­nistes, dans des tons de sépia, pas­tel… sui­vant en cela l’Art poé­tique de Ver­laine, « Plus vague et plus soluble dans l’air /​sans rien en lui qui pèse ou qui pose ».

La pre­mière image offerte au spec­ta­teur est celle d’un ceri­sier en fleurs, avec, dans l’angle droit de l’écran, le bat­te­ment de cils d’une branche agi­tée par le vent. Ce détail savou­reux suf­fit à impo­ser quelque chose de tendre, de déli­cat et sub­til… trois adjec­tifs qui peuvent carac­té­ri­ser les chan­sons de Dora Mars. Alors quand San­dra depuis les cou­lisses fait son annonce d’une voix d’hôtesse de l’air de la « com­pa­gnie Dora Mars », puis s’installe au cla­vier, vêtue de bleu et de gris, coif­fée d’une cas­quette de pilote, on regret­te­rait presque qu’elle rompe ain­si le charme.

Au-delà de son cla­vier aux sons infi­nis, on la retrouve debout der­rière le micro accom­pa­gnée par l’enregistrement de l’accordéon de son fidèle coéqui­pier, Thier­ry Roques. Elle s’accompagne aus­si du magique « Thé­ré­mine », qui a la par­ti­cu­la­ri­té de pro­duire de la musique sans être tou­ché par l’instrumentiste. Elle esquisse à plu­sieurs reprises des pas aériens de danse. Cette éva­sion cho­ré­gra­phiée dans des terres volup­tueuses pour­rait légi­ti­me­ment prendre de l’ampleur, sur­tout lorsqu’il s’agit du tan­go dont on devine sur l’écran la ciné­ma­to­gra­phie du siècle passé.

Dora Mars en appelle à l’imaginaire : Des­sine-moi un avion. Elle a des « envies d’évasion », d’envol, des dési­rs de « tête dans les nuages » à décou­vrir des pay­sages nou­veaux — pay­sages inté­rieurs bien enten­du. Car ce vol est une invi­ta­tion à visi­ter des émo­tions, celles de sa car­to­gra­phie intime d’amoureuse, celle de sa carte de Tendre toute per­son­nelle. Même si l’on sait bien que « s’aimer c’est pas la peine, pas la pana­cée », même si l’on a com­pris que cette aven­ture-là ne tourne jamais vrai­ment bien rond, on ne résiste pas à se prendre pour un Funam­bule, à se don­ner des airs de mont­gol­fière qui « oscille au-des­sus du vide », sous la caresse du vent… Et tant qu’à prendre des risques, autant les prendre en espé­rant tom­ber… Sur lui ? Sur elle ?

Bien sûr, on apprend à domp­ter ses peurs du loup, ce méchant loup de l’enfance des récits de grand-mère. Par­fois on rede­vient enfant, on a quatre ans et demi, on s’avoue La mala­die infan­tile. Par­fois au contraire on devient Louve ou tigresse, une « emmer­deuse, des cris, des psy­cho­drames ». On fait face au silence qui fait mal, Le caillou dans la chaus­sure. Fina­le­ment il en faut bien du talent pour affron­ter toutes les ren­contres, tous les spé­ci­mens, « un che­va­lier dans son armure », ou plus dan­ge­reux encore, Le pyro­mane, celui qui met le feu aux poudres, comme le per­son­nage d’Alessandro Bar­ri­co dans Océan Mer : « Le plus petit bout de peau est un voyage, une décou­verte, un retour ».

Faut bien l’avouer « qu’est ce qu’on est con quand on est amou­reux », pas fichu d’en finir avec les Conten­tieux. On se prend à rêver que l’on pour­rait échap­per au « joli prince d’opérette », au « péplum à la noix », s’offrir d’autres Bouts d’essai, être « légère, futile » enfin vivre l’amour de Jacques Pré­vert, Simple comme bon­jour.

À moins qu’il suf­fise de s’évader dans des chan­sons, dans les textes de Franck Giroud, si beau cadeau de l’amitié fait à Dora Mars. Faire comme lui son Tour de terre puis s’arrêter, regar­der s’agiter au vent léger les fleurs du ceri­sier et pen­ser : Je sais juste qu’Avril fai­sait des cabrioles…

His­toire de Dora Mars : L’amour fou et la trahison

Dora Mars est une artiste de caba­ret pro­met­teuse, envoyée à Pav­los en 1916, par le Théâtre aux armées. Si elle accepte de se rendre dans cette base per­due des Bal­kans, c’est pour retrou­ver Armel Fla­mant, le che­va­lier du ciel qui lui a ravi son cœur au cours d’une folle nuit à Paris. Mais elle déchante très vite : Armel l’a déjà rem­pla­cée, par Clé­mence Dor­val, une belle pilote de chasse. Dora la roman­tique empoigne alors le manche de pilo­tage et montre plus de talent que sa seule voix d’or pou­vait le lais­ser supposer…

Faite pri­son­nière par les Alle­mands avec Armel Fla­mant, Elias Cohen et Alban Méric, cet évé­ne­ment mar­que­ra sa vie et celle de ses com­pa­gnons de façon tragique.

Le pre­mier mou­ve­ment d’une par­ti­tion étonnante.

Dans ce petit monde replié sur lui-même, les rela­tions humaines sont ten­dues, les ten­sions s’exacerbent. Frank Giroud ouvre sa par­ti­tion avec l’interprétation très be-bop de Cyril Bonin, au des­sin expres­sif, sub­til, habi­té. Un pre­mier set très romantique.

Édi­tions Dupuis — Quin­tett, Tome 1 — Tome 1/​5