Leïla Huissoud – Auguste 2018 (© David Farge)
9 Novembre 2018, sortie du 2ème album
Auguste
Avec
Leïla Huissoud (chant) – Nicolas Vivier (direction artistique) – Simon Mary (arrangements – contrebasse). Loïc Molineri (guitares, banjo), Anne Quillier et Thibaud Saby (piano), Jean Joly (batterie), Jules Boittin (trombone), Lilain Mille (trompette), Quatuor Wassily : Marine Faup-Pelot et Antoine Brun (violons), Dominik Baranowski (alto) Quentin Rebuffet (violoncelle), Mihai Trestian (cymbalum). Invité : Mathias Malzieu/Dyonisos
[…] « Faire ce métier comme j’entendais le faire : en désobéissant, en refusant tous les archétypes, en ayant un instinct de préservation qui m’a toujours empêchée de me perdre dans le compromis, la confusion. » (Barbara, ll était un piano noir, Fayard).
Que l’on nous pardonne une nouvelle référence à cette dame dont la force exemplaire nous hante. Mais c’est avec elle que nous aimerions commencer cette chronique du nouvel album de Leïla Huissoud qui affiche en toute occasion une franchise, une détermination à ne pas se laisser manger crue par un système. On pourra lire avec profit les pages qui lui sont consacrées dans le récent numéro de la revue Hexagone dont elle fait la couverture, droite comme un i, visage fermé, aux côtés d’Alexis HK…
Sur la pochette de l’album le A de son prénom se confond avec l’initiale du titre, Auguste… Tout un langage assurément. Comme ce rouge qui recouvre son buste, sa gorge. Comme l’absence de son visage sur la pochette. Juste pour nous dire : « Stop ! Cesse de me jauger à l’aune de ma silhouette, de mon visage de fille. Écoute – moi plutôt ! »
Le rouge. Auguste. Le cirque ! Encore un lien avec Barbara, qui adolescente, découvre sa voie, son rêve à travers ses souvenirs d’enfant : « ça m’avait plu, les acrobates, les écuyères, l’odeur de sciure, les halos de lumière, les coups de cymbales, les clowns ! »
Ce n’est pas rien Auguste… ! Et la chanson du même nom n’a pas manqué de nous interpeler en la voyant en scène en janvier dernier, au festival Détours de Chant. Elle nous semblait déjà donner du sens à son univers et nous avions titré : « On m’a fait clown et puis voilà… » La formulation est assez explicite… La jeune chanteuse fait rire son public, même quand elle hurle, se révolte, se fait méchante, grinçante… Alors, comment faire avec ce nez de clown dont on ne peut se débarrasser ? Comment faire avec ce corps de fille, et ce visage qui compliquent encore la donne ? Comme Brigitte Fontaine – et comme chaque être humain – elle pourrait dire que le corps est la pire des prisons…
C’est donc avec toutes ces réflexions en filigrane que l’on écoute les chansons de l’album. Un album remarquablement réalisé, dans le souci de l’authenticité de l’acoustique, avec une douzaine de musiciens qui donnent sa couleur à chaque titre ainsi sublimé.
C’est ainsi que Leïla Huissoud joue avec nos nerfs, nous tire à hue et à dia… Musicalement on passe de la plus énergique fanfare à l’intimité d’un piano, d’une guitare, ou des cordes du quatuor. On s’amuse du banjo enjoué, on balance au rythme de la guitare manouche… Et sur toutes ces atmosphères, sa voix se promène du ton de la tendresse, de la confidence, à la plus virulente colère, une rage à trois temps, « quand tu t’énerves c’est rigolo, et quand tu pleures, c’est émouvant ». Pour l’heure Leïla n’en finit pas d’interroger son statut d’artiste, son choix – avec pas mal de dérision et d’objectivité… Après tout « Ce n’est qu’un tour de chant ». Ce qui est sûr c’est que « chanter, ça change rien du tout »… Une certitude pourtant, elle est bien décidée à « traîner sa gueule sans la cacher »…
Alors, on se laisse prendre à cette voix qui tout aussi bien murmure des confidences (Caracole, merveilleuse Lettre à la suisse qui nous émeut tant quand elle est en scène, Jolies frangines, fenêtre délicatement ouverte sur cette part l’enfance qui nous quitte à reculons…) ou à coups de cuivres, manifeste ses refus, ses révoltes de « chianteuse… sensible et révoltée » pour mieux répondre « aux chieurs et aux salauds »… On gardera une préférence pour Auguste bien sûr, l’une de ces « gueules qui font marrer et ont les joues mouillées »… Mais plus encore pour En fermant les yeux, délicate et rare occasion d’entendre des mots posés sur le plaisir féminin, sur l’empreinte laissée par les caresses d’un amour enfui : « Je retiens l’odeur de ses mots qui venaient s’échouer sur ma peau… Je suis doucement le chemin que m’ont tracé ses doigts… »
En suivant le parcours de Leïla Huissoud, on garde l’image d’un équilibre fragile, sans cesse à rétablir, mais parfaitement conscient et consenti :
« Si j’vise pas les étoiles c’est qu’je suis foutue comme un mobile, une structure où le bancal est au service de l’équilibre » (Les tours de rond-point).