Mateo Langlois – Le relais de Poche, 2017 (© Florent Hodel)
5 janvier 2018 – Sortie de résidence : « La mouette libre », Concert solo de Matéo Langlois
Lauréat du Prix d’écriture Claude Nougaro 2016 catégorie Chanson
Avec
Mateo Langlois (voix, piano, Rhodes, beat box, sax et pédales d’effets)
Le Relais de Poche – Verniolle (Ariège)
Ce soir nous assistons à une naissance, enfin presque… Celle d’un jeune artiste repéré au Prix d’Ecriture Claude Nougaro en 2016. Matéo Langlois vient de se consacrer pendant quelques jours à ce qu’il est convenu d’appeler une « Résidence ». Il a profité d’une scène, d’un plateau technique, et de l’accueil chaleureux et gastronomique ( !) du Relais de Poche à Verniolle (09). Sous le regard d’intervenants bienveillants et sensibles à son projet. La Chanson c’est tout un réseau de professionnels, peut-être ne le sait-on pas suffisamment, tant l’image de l’artiste, seul face à sa création et à ses défis, habite encore notre imaginaire. Ainsi la région Occitanie, son Réseau Musiques Actuelles Midi-Pyrénées Avant-Mardi s’est dotée d’une équipe d’intervenants scéniques, eux-mêmes artistes confirmés, qui apportent « une approche technique de la voix, du texte, de la musique et du son », en s’appuyant sur un savoir en psychopédagogie. C’est avec Georges Veyres que Matéo Langlois a peaufiné ce que nous allons découvrir après avoir déjà bénéficié de l’approche scénique d’Eric Lareine en octobre dernier.
Quoi de plus exaltant que d’être là quand vient aux yeux des premiers spectateurs l’univers qui s’est créé peu à peu, s’est heurté à mille et une questions aussi bien proprement artistiques que techniques. Aujourd’hui, nous le savons, le spectateur est exigeant, longuement sensibilisé à toutes sortes de procédés et pourtant il faudra le surprendre, le dé-router, l’emporter.
Disons d’emblée que, ce soir, la magie a opéré. Oui, un spectacle vivant c’est toujours de l’illusion, du merveilleux. Il est vrai que l’atmosphère avait été installée par un lever de rideau. Excellente idée ! Deux comédiens amateurs de la Lof compagnie qui a posé ses valises dans ce lieu, ont curieusement assemblé un extrait de L’homme que l’on prenait pour un autre de Joël Egloff à des textes de Matéo que l’on ne tardera pas à reconnaître.
Donc voici Matéo Langlois qui s’empare de la scène avec douceur, à pas feutrés. Quelques touches sur son clavier, des notes métalliques s’élèvent puis son beat box. Il s’assoit et, sur cette rythmique nous emmène dans une cité … Il est une ville… Bien entendu on pense immédiatement à un certain Claude Nougaro. Au cours de ce concert on trouvera d’ailleurs des échos à bien d’autres : Charlélie Couture, Michel Jonasz, William Sheller… C’est dire que nous nous sentons en bonne compagnie même si ce jeune musicien –chanteur – auteur rivalise d’ingéniosité et d’imagination pour construire son monde sonore, vocal et littéraire… Oui, tout à la fois, et c’est bien ce qui fait de la Chanson, de ces chansons là, un Art.
Dans une ville si peu douce à l’homme seul qui « sucre son café avec de l’amertume – tiens, irruption soudaine dans notre mémoire des mots de Jacques Prévert – la faucheuse est à nue… La musique est hypnotique, une sirène s’élève hurlante – celle d’un kazoo – et cet avertissement : « Si tu restes ici le goudron va finir par salir ta poésie ». Mais c’est dans cette même ville qu’apparaît l’impossible, une femme… « Le genre de fleur que l’on ne peut cueillir, on ne peut que la respirer, se souvenir de son parfum », nous avertit le chanteur au piano… Des mots nous touchent, percutent notre sensibilité romantique … « Elle tient dans le creux de sa paume la faiblesse des hommes… » Voilà qu’en deux chansons Matéo Langlois, lui, nous tient dans la sienne.
Viendra le saxophone, un solo dans un univers très jazz pour accompagner une métaphore efficace. Dans la vie il ne faut pas avoir peur des fautes d’orthographe, des ratures… « Vivre si c’était comme un livre ? » Bien entendu on aimera réentendre, voir la silhouette de La Mouette libre, dans son décor originel normand, et cette plume qu’elle dépose dans le sable en prenant son envol. Elle rompt enfin les questions obsédantes, la tempête intérieure du poète venu « [soumettre] ses doutes aux forces naturelles ». Un peu plus tard le public scandera en frappant dans ses mains ce prêche un peu fou lancé à la foule a capella « Laissez crier l’enfant du fond de votre adulte ». Les mots s’entrechoquent « Des cordes et des cases », le temps file… Et cette affirmation de « toujours garder son horizon » dans un monde dont il énumère longuement les réalités, dont il chante la course des siècles, « On aura tout fait, pourtant on jette les mêmes yeux perdus… Les réponses restent secrètes, on aura cherché »… Le pied scande sa détermination. Lui, le poète, reste « prisonnier volontaire » de cette vie.
On gardera pour la fin l’évocation d’une chanson toute fraîche, encore mal assurée peut-être mais on s’en moque bien. Une histoire de chameau, un prince du désert « sur le flanc d’or d’une dune », où la lune pose l’étrangeté de sa lumière. Temps suspendu de grâce et de beauté.
Encore des mots, une atmosphère qui nous tirent par la manche vers l’univers de Claude Nogaro qui nous est si cher*. A moins qu’en entendant Matéo prendre congé du public aussi doucement qu’il est entré, en répétant le mot « tranquillement », on ne songe à Page d’écriture de Jacques Prévert : « Les murs de la classe /s’écroulent tranquillement ».
L’oiseau-lyre est passé dans notre ciel.
*Claude NOUGARO
PEAU-AIME 3 extrait d’un texte manuscrit – Exposition « Et me Voici » Octobre 2006 à Foix
Les mots m’ont pris pour une caravane, je devais avoir des airs de désert.
Ah ! Les mots, quels dromadaires, il suffit d’un stylo, un révolver à encre, pour s’enfouir ou se détacher :
Cracher sa clarté
Au lieu des ténèbres
Cracher du limpide
Du limpide !!
Vous vous rendez compte !
Fini les comptes d’apothicaire
Le conte de fée vrai arrive
Si le plus faible décide d’être le plus fort.
A suivre …