Michèle Bernard & Frédéric Bobin–Chantons sous les Toits –2019 – (© Claude Fèvre)

Michèle Ber­nard & Fré­dé­ric Bobin – Chan­tons sous les Toits, 2019 (© Claude Fèvre)

16 février 2019 – Chan­son tra­ver­sière en Occi­ta­nie - concert de Michèle Ber­nard & Fré­dé­ric Bobin

Balades croi­sées

Avec

En pré­am­bule, expo­si­tion de Natha­lie Andrieu (sculp­tures de fil de fer et papier) – Cie le Geste et la Note (impro­vi­sa­tion musique, chant et danse )

Michèle Ber­nard (accor­déon et chant) & Fré­dé­ric Bobin (gui­tares, chant)


Le domaine Arti­cole – Cada­len (Tarn)

Ima­gi­nez-vous un ins­tant rou­ler dans la nuit, sur une petite route dépar­te­men­tale du Tarn où les 80 km/​h seraient sûre­ment un excès de vitesse, tra­ver­ser le petit vil­lage de Cada­len et arri­ver dans un lieu conçu, à coup sûr, par un rêveur, un enchan­teur… Car vous pous­sez une grosse porte rus­tique, vous entrez dans une vaste pièce qui fut autre­fois une étable et là, des sculp­tures fili­formes – membres de fil de fer et tête en papier – échap­pées d’une bande des­si­née, ou d’un film de Tati, vous attendent : un vieux sage très chic, une voya­geuse avec sa petite valise au bout du bras, une vio­lo­niste, un couple de dan­seurs, une chan­teuse, une dan­seuse, des cyclistes… Tous tra­duisent un monde colo­ré, en mou­ve­ment. La vie en somme.

Dans un moment une dan­seuse vient cap­ter l’attention des spec­ta­teurs qui ont enva­hi peu à peu l’espace. Sa cho­ré­gra­phie s’inspire du mou­ve­ment d’une sculp­ture… Quelques minutes plus tard, dans un autre coin de la pièce, elle se mue en vio­lon­cel­liste… Puis c’est au tour d’une jeune altiste que l’on ver­ra aus­si aban­don­ner son ins­tru­ment pour dan­ser à son tour… Un air de trom­bone s’élève de l’autre côté… La voix séra­phique d’une chan­teuse lyrique dis­tille son invi­ta­tion à arrê­ter le temps… Inso­lite et magique lever de rideau.

En pré­am­bule au concert cette ren­contre artis­tique nous arrache, en quelques minutes de grâce, de jeu­nesse et de beau­té, à l’afflux de lai­deurs et de gros­siè­re­tés dont nous abreuve une navrante actualité.

C’est dire si nous sommes alors tout dis­po­sés à entrer dans l’univers de Michèle Ber­nard et Fré­dé­ric Bobin réunis ce soir en un unique concert. Voi­là que cette ren­contre nom­mée « Balades croi­sées », ori­gi­nel­le­ment née pour être éphé­mère, sur la sol­li­ci­ta­tion du maga­zine Hexa­gone, va pro­lon­ger cette sen­sa­tion d’être trans­por­té dans un ailleurs. Loin du bruit et de la fureur.

Ce que l’on retient avant tout du par­tage de ces deux artistes, de leurs « Balades croi­sées » c’est l’humanisme, la part d’authentique huma­ni­té qui les carac­té­rise, unis par une ami­tié, un res­pect et une admi­ra­tion réciproques.

En deux chan­sons qui ouvrent leur concert, Michèle Ber­nard a don­né la cou­leur, Les vieux, les enfants et Maria Suzan­na accom­pa­gnée par la gui­tare folk de Fré­dé­ric. Qu’il est émou­vant le chant manouche qui pro­longe cette chan­son essen­tielle, véri­table hymne à la tolé­rance. La chan­son de Fré­dé­ric, Tatia­na, vient tout natu­rel­le­ment lui faire écho. Ce sera ain­si tout au long du concert. Les deux voix, les ins­tru­ments, gui­tares et accor­déon, les thèmes vont se répondre, s’unir pour dire notre part d’hommes et de femmes liés par un même des­tin. Tant qu’il y aura des hommes chante Fré­dé­ric, quand Michèle refuse, elle aus­si, le fata­lisme et répond « Demain on s’ra vieux /​Demain on s’ra morts /​Serre-moi plus fort ». Quand Fré­dé­ric dénonce la cruau­té et l’injustice du sort des villes ouvrières, Michèle oppose « la fabrique à Céles­tin » à « l’usine à cha­grin » et pro­pose plus tard sa méta­phore puis­sante de la condi­tion humaine exploi­tée, asser­vie au tra­vail, dans quatre – vingts beaux che­vaux : « Les hommes vont tou­jours /​Où la vie les pousse /​Contre tous les cou­rants /​Plus loin, plus avant /​Sur leurs traces par­fois /​Plus rien ne repousse /​L’avenir les secoue /​Ils baissent le cou ». Pour dire l’amour, leurs chan­sons se répondent aussi…Au magni­fique Je t’aime de Michèle – excep­tion­nel aveu, plein de fan­tai­sie et de pro­fon­deur qui n’exclut même pas la pen­sée de la mort – répondent les mots de Fré­dé­ric se retour­nant sur son pas­sé de jeune amou­reux « Il faut pas regret­ter quoi qu’il arrive, la vie qu’on aurait pu vivre… »

A plu­sieurs reprises Fré­dé­ric et Michèle chan­te­ront en duo et la salle entière offri­ra volon­tiers ses chœurs. Moments rares de com­mu­nion et d’harmonie. Quand les deux artistes en auront fini avec la scène, ova­tion­nés comme il se doit, après une reprise a capel­la de leur maître à tous deux, Georges Bras­sens – une ver­sion unique de Saturne – on avoueon aura bien du mal à s’arracher à ce lieu, à cet ins­tant… A reprendre la petite route dépar­te­men­tale pour reve­nir, en une heure de route, dans la fureur et le bruit.

Alors, il res­te­ra à fre­don­ner dans les moments de fai­blesse ou de doute L’autoradio de mon père ou Super 8 ou bien encore Madame Anne… A gar­der bien au chaud ces chan­sons qui vous aident à « mettre du bleu sur l’horizon ».