Stéphane Corbin - Nos années parallèles – LamaO Editions (©Sébastien Angel / LamaO Editions)

Sté­phane Cor­bin - Nos années paral­lèles – LamaO Edi­tions (© Sébas­tien Angel /​LamaO Editions)

Publi­ca­tion du récit de Sté­phane Cor­bin, Nos années parallèles

Chez LamaO Editions
En librai­rie le 7 novembre 2017


D’abord vous rap­pe­ler que Sté­phane Cor­bin fait de son propre che­min de vie, plus qu’aucun autre d’auteur-compositeur – inter­prète, le point de départ de ses pro­jets, entre Chan­son et théâtre musi­cal. En 2013, le col­lec­tif Les Funam­bules réunit autour de lui plus de 200 artistes pour répondre aux mani­fes­ta­tions contre le mariage pour tous, pour répondre à leurs outrances homo­phobes. Un album est né de cet élan. Des concerts aus­si. Les béné­fices vont à des asso­cia­tions de lutte contre l’homophobie.

« Dans ce monde où les obs­cu­ran­tismes ne se cachent plus et tentent de s’a­che­ter une res­pec­ta­bi­li­té, nous allons conti­nuer à vivre, à chan­ter, à nous battre pour les droits que nous n’a­vons pas encore. »

Il est fort, déter­mi­né, debout, Sté­phane. Comme ELLE

ELLE ? Sa mère, par­tie bien avant l’heure …

Ce récit, intime, pro­fon­dé­ment bou­le­ver­sant, dont on ne peut s’arracher dès qu’on a lu les pre­mières pages, s’appelle Nos années paral­lèles. Paral­lèles ? Dans l’impossibilité de se ren­con­trer alors ? Et pour­tant, l’image de cou­ver­ture nous offre le des­sin par­che­mi­né de deux visages confon­dus. N’est ce pas là le dilemme de tout amour ? Être à la fois unis et sépa­rés, cha­cun dans son infran­chis­sable uni­ci­té, comme ces deux –là : LUI et ELLE.

« Je te vois qui t’en vas

Je détourne le regard 

Tu ne vas pas me lais­ser là

Je ne suis pas prêt pour ton départ. » 

Avec ce pré­am­bule – une chan­son écrite par Pierre Cor­bin, le père de Sté­phane – on entre de plain pied dans le drame. Tout est dit. La tra­gé­die d’un fils confron­té à une mort qui res­te­ra pour lui contre nature.

Com­mence alors une his­toire bicé­phale, un récit ima­gi­naire à quatre mains. Deux voix se font entendre en alter­nance, LUIELLE, jusqu’à l’épilogue fatal et même au-delà. On sait par avance vers quel dénoue­ment on s’achemine. Comme une tra­gé­die antique.

Ce qui unit ces deux êtres, c’est leur com­bat. LUI, il lutte pour trou­ver sa voie, pour exis­ter à ses propres yeux, pour échap­per au sen­ti­ment de n’être « rien du tout ». Il mène sa quête iden­ti­taire aux prises avec des épi­sodes dou­lou­reux, par­fois drôles, selon le regard que son écri­ture leur accorde. ELLE aus­si lutte ; elle lutte contre le mal qui la ronge, un can­cer des ovaires qui lui laisse si peu de chances de s’en sor­tir. 1 % disent les statistiques.

Cha­cun de son côté va devoir affron­ter ce corps, cette chair qui fait mal et l’auteur ne s’épargne, ne nous épargne, rien. Ce corps, la plus ter­rible des pri­sons. Page après page, dans une langue épu­rée de tout manié­risme, fami­lière comme une voix du fond de soi qui ne s’interdit rien, on remonte le temps. Par­fois tout se mélange un peu, pré­sent, passé…

On s’arrête à l’enfance bien sûr. À l’adolescence.

LUI, « triste dedans », et ce fou­tu pan­ta­lon jaune du temps de l’école, du temps des pre­mières atti­rances sur les­quelles on ne met pas de nom… Et puis, plus tard, ce putain de slip bleu « à peine rem­pli »…

Des pré­noms alors se mettent à défi­ler et pour long­temps, sur fond d’aventures musi­cales. Epi­sode punk, « punk du nord de la France » puis pop indé. « On fai­sait de la musique tristeen anglais, des phrases qui vou­laient rien direparce que le monde était moche ». … Mickaël et puis Hugues, le blond, très con… L’humiliation… LUI alors se sent « minable, petit, sans couilles »… Plus tard, l’année du bac, il y aura Angé­lique, his­toire d’amour qui ras­sure… « J’étais pas un pédé » et puis Denis avec ses dix ten­ta­tives de sui­cide ins­crites sur ses bras … Et tout ce qu’il lui balance à la gueule pour le tuer, un soir de beu­ve­rie… Et cette auto­dé­ri­sion alors : « C’est ce jour là que j’ai inven­té le ralen­ti à la Matrix. Pour évi­ter le fer à repas­ser. » Fabien, schi­zo- mytho­mane, puis Nathan, le coup de foudre, beau­coup trop jeune et sur­tout toxi­co­mane… Enfin Alex, le « vol­ti­geur », et ses rêves tota­le­ment incom­pris de ses parents… « Les années les plus mer­veilleuses de ma vie »… C’est aus­si le temps de l’amitié avec Hen­riette, la meilleure amie… « Elle a un pré­nom de merde. Mais elle est jolie ». A trop vou­loir vol­ti­ger, il finit par tom­ber Alex… Et LUI avec. Mais LUI s’est rele­vé.

ELLE, une enfance d’après guerre : « la sen­sa­tion de flotter…éveillée et endor­mie »…Son père, la dou­ceur … Sa mère, « c‘était un roc maman, indes­truc­tible ! » Et son inter­dic­tion sans appel de lire. Alors, la lec­ture en cachette à s’en user les yeux… Et plus tard une vie consa­crée aux livres. Comme une évi­dente réparation.

Et l’adolescence, l’envie de voyage, d’aventure… La révolte contre tout … L’après 68, la Sor­bonne, le Quar­tier Latin, et l’amour qui vous vient, comme ça, sans crier gare … « Il fai­sait un expo­sé sur un poème d’Alfred de Vigny, La colère de Sam­son »… J’ai su que c’était lui… »

« Et puis les enfants, et puis le tra­vail si pre­nant… » Et main­te­nant cette lutte : « On y croit, on n’y croit plus, on y recroit, on n’y croit plus du tout… »

Ce que l’on apprend très vite c’est que ces deux êtres, ELLELUI, s’aiment. Sans vrai­ment savoir se le dire. C’est son petit et c’est avec lui qu’elle aime faire les bou­tiques. Il est dif­fé­rent. C’est son « coach cou­ture ». Quand elle va aux concerts l’écouter, elle ne le lui dit pas. Pudeur imbé­cile ! Elle sait ce qu’il lui faut : « Mon fils, il lui faut un vol­ti­geur. Quelqu’un qui vole au-des­sus du réel. Quel­qu’ un qui trans­forme le plomb en or. »

LUI, devra, pour ELLE, avec ELLE, se confron­ter à la phase ultime de la mala­die. Au bout de cinq ans il devra affron­ter son échec, mal­gré le men­tal de bat­tante de cette mère qui « n’est pas n’importe qui »… et mal­gré sa « check list » de guerrière.

Point n° 1 : « Ne pas mou­rir »…

C’est là qu’il com­mence à com­prendre ce qu’est l’amour. L’amour, plus fort que tout. Un amour comme celui de son père pour ELLE. « Est-ce qu’un jour quelqu’un m’aimera comme ça ? »

Un amour plus fort que la mort. Car ELLE mono­logue encore dans ces pages post­humes, savou­reuses à pleu­rer ! Et LUI, au terme de ce voyage ini­tia­tique, peut enfin écrire : « Main­te­nant je suis un pédé. Et je suis un homme aus­si. J’ai aimé, vrai­ment. J’ai trente ans et des pous­sières et j’ai aimé vrai­ment. »

Ce récit c’est une révé­la­tion, celle de l’amour. C’est son long appren­tis­sage. Une ini­tia­tion. Trou­ver en soi la force d’aimer. C’est son cadeau à ELLE, capable de sou­hai­ter dis­pa­raître pour lais­ser les autres vivre, capable de com­prendre l’aveu de son fils sans qu’il ait besoin d’y mettre des mots : « Quoi ! Qu’est ce qu’il ya ? Tu veux me dire que t’es homo ? Wou­houuu quelle sur­prise ! Tu veux man­ger quoi ? »

Une mère faite du même bois que sa propre mère… Une « force de vivre bien au-delà du sup­por­table, de la mala­die ou de la dou­leur ».

Une mère qui fait si bien la blan­quette de veau… et qui vous lègue sa force !

Et cette conclu­sion magnifique :

] « Je suis là. Je suis fort. Je suis comme elle. »

S’aimer pour de bon cette fois. S’aimer soi. Aimer l’autre.