Lucien la Movaiz Graine, Le Tor­rent 2020 (© Lucien Mal­herbe & Vir­gi­nie Leclercq)

6 sep­tembre 2020 – trois albums de ren­trée  

« Si tu t’appelles mélancolie » 

Avec

Le Tor­rent, Lucien la Movaiz graineDeb­bie et moi, Tho­mas Cou­sinLe décembre ita­lien, Jéré­mie Bossone


« Si tu t’appelles mélan­co­lie, on est fait pour l’oublier ensemble » chante encore à notre mémoire Joe Das­sin dans une adap­ta­tion de Claude Lemesle et Pierre Dela­noë.

Mélan­co­lie, un mot qui fait écho à Sep­tembre, ce mois de ren­trée… Sep­tembre, le retour à la vie artis­tique et cultu­relle. Cette année, mal­gré les doutes et les peurs dus à l’épidémie qui sévit encore, l’attente est immense.

Sep­tembre, l’été finis­sant, une lumière sin­gu­lière qui, chaque année, habille de tons mor­do­rés la ville, la nature, les êtres… Une atmo­sphère qui pré­dis­pose à la mélan­co­lie, à ce spleen indé­fi­nis­sable dont les poètes s’emparent… Et l’on aime à s’y plaire, s’y com­plaire comme dans ces trois albums ici réunis autour de ce gra­phisme illus­trant l’album Le Tor­rent de Lucien la Movaiz Graine. La ville au loin, la vie, les guerres, l’eau tumul­tueuse au pre­mier plan, l’eau dans laquelle il fau­dra coûte que coûte ten­ter de ne pas som­brer, où il fau­dra gar­der les pieds fermes, ten­ter d’échapper au sort des errants, des fantômes…

Lucien la Movaiz Graine/​Lucien Mal­herbe s’est fait « guer­rier trou­ba­dour » pour « ravi­ver la flamme per­due ». Armé de ses chan­sons, il part au com­bat puisque déci­dé­ment on ne sau­ra jamais répondre : « Qu’est-ce qu’on vit ici et main­te­nant, sous le grand fir­ma­ment, sous le ciel étoi­lé… » Avec ses trois com­plices qui ont habillé ses chan­sons – Mathieu Laciak au cla­vier, Nico­las Caillot à la contre­basse et Julien Tre­fel aux per­cus­sions – en réponse à Jacques Pré­vert, il pro­clame son rêves de voir le soleil briller pour tout le monde. Cet album ne fait pas fi de la marée qui monte, des ques­tions lan­ci­nantes face à la folie des hommes, aux souf­frances, face à notre des­ti­née mais il dis­tille l’espoir et la fra­ter­ni­té : « Mais je suis ton frère bien plus que tu ne le crois ». Par-des­sus tout il chante la confiance dans l’armée des airs, l’armée des artistes qui sèment leurs « graines d’amour et de velours » : « Pas une goutte de sang ver­sé, juste des notes à la volée. »

Tho­mas Cou­sin, lui, s’arme de son amour pour échap­per à la mélan­co­lie, à l’overdose de béton, bitume, en réa­li­sant seul son album Deb­bie et moi. Il affiche d’emblée la cou­leur sur la cou­ver­ture : une pho­to­gra­phie d’un bai­ser qui se perd dans la che­ve­lure d’une femme com­blée. Il a mis huit ans à le réa­li­ser, à oser nous invi­ter dans son pay­sage inté­rieur, dans sa tête… « Dans ma tête, y a un funam­bule qui court sur un fil vers la lune »… En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, on avoue bien volon­tiers qu’on le suit sur son fil, gui­dé par sa voix de vieux loup de mer, avec « le feu de vivre, le feu sacré … la rage au ventre les poings ser­rés »… On aime cette éner­gie que portent les gui­tares qui font rage mais se font tendres aus­si… On aime les sou­ve­nirs qui taraudent, l’enfance à La Plan­tade, la chaise vide du dis­pa­ru. On aime la colère le jour où « la rue a pas­sé l’arme à droite », l’amour qui s’offre, géné­reux, pour sa com­pagne, pour son enfant. On pour­rait même pré­dire l’émergence d’un grand suc­cès popu­laire avec la chan­son J’crame tout, son clin d’œil au hip-hop, la voix de son com­plice Aron Cohen, et son refrain irré­sis­tible : « Demain j’crame tout, j’recommence j’mets les pen­dules à l’heure… »

Pour finir, avec Le décembre ita­lien des frères Bos­sone, Jéré­mie et Ben­ja­min, on saute à pieds joints dans la mélan­co­lie, dans le roman­tisme qui se plaît, se com­plaît dans la souf­france amou­reuse, « le spleen au cœur ». C’est un voyage qui nous est offert, un voyage en Ita­lie, sur le fil de la voix, recon­nais­sable entre toutes, de Jéré­mie. Il sait chan­ter comme per­sonne la dou­leur, la déchi­rure et la révolte, et c’est ce qui nous attache à lui depuis une bonne décen­nie. Sous sa plume baroque, naît un monde où émergent par­tout les sou­ve­nirs lit­té­raires, artis­tiques qui ont tis­sé leur toile dans sa mémoire. Et cette fois nous sommes ser­vis ! Au fil de sou­ve­nirs amou­reux où se confondent la beau­té des moments heu­reux et la souf­france de la tra­hi­son, de la perte, nous allons de Tos­cane en Cam­pa­nie, de Flo­rence la belle à Naples et Pom­péi, en pas­sant par Rome bien sûr. En toile de fond, en décor, les rues, les musées et leurs pié­tas, leurs « toiles dorées », leurs sculp­tures, jar­dins, ponts et fon­taines… Impos­sible aus­si de ne pas ima­gi­ner ce voyage en noir et blanc, comme dans les films ita­liens des années soixante, d’autant plus que Jéré­mie fait une incur­sion dans la chan­son ita­lienne avec Paese mio, la chan­son du film Roc­co et ses frères de Luchi­no Vis­con­ti – dis­cret hom­mage à celle qu’il admire tant, Annie Girar­dot. Il va jusqu’à emprun­ter son titre, via le poète Goethe, La Pri­ma notte di quiete au réa­li­sa­teur Vale­rio Zur­li­ni. Et c’est alors seule­ment que la cou­ver­ture noir et blanc de l’album prend tout son sens… Jéré­mie, visage sous la neige, le regard per­du au loin, guet­tant la quié­tude, l’apaisement… « C’est déjà si loin l’Italie… Mar­cher dans la neige avec toi ».