Le Relais de Poche, hors les murs, été 2020 (© Claude Fèvre)

Du 4 juillet au 29 août 2020 – Le Relais de Poche en Ariège

« Fes­ti­val d’été 2020, Hors les murs »

Avec le pro­gramme suivant

4 juillet : Les étran­gers fami­liers (cinq musi­ciens autour de Eric Lareine et Loïc Lan­toine) pré­cé­dés de Myth’r – 11 juillet : MESS (Mélo­die En Sous Sol) & Maïa – 18 juillet : Eva Glo­rianClaire Gimatt – 25 juillet : du Rock, du blues, de la soul avec Cross RoadsCross Road pro­ject – 1er août : Lucien La Movaiz Graine en quar­tet pré­cé­dé de Drôle de drame – 8 août : Samuel Cajal pré­cé­dé de la lec­ture chan­tée La Chan­son, une vie (Claude Juliette FèvreJulien Mal­herbe) – 29 août : Du vent dans les BronchesJules Nec­tar en trio 


Petit jar­din de la mai­rie – Ver­niolle (Ariège)

Quand tant et tant de fes­ti­vals – les grands et même les petits qui ont espé­ré long­temps pou­voir résis­ter – quand les dates de concerts depuis le mois de mars, quand les salles, quel que soit leur sta­tut, ont été contraints d’annuler leur pro­gram­ma­tion, un petit lieu d’Occitanie, au Sud de Tou­louse, le Relais de Poche au sta­tut si sin­gu­lier de « Librai­rie- tar­ti­ne­rie – salle de concert », vient d’achever son pre­mier festival.

Bien enten­du, on ima­gine faci­le­ment que cet impromp­tu a pu voir le jour avec quelques appuis et prin­ci­pa­le­ment celui de la muni­ci­pa­li­té du vil­lage, Ver­niolle, dont il faut saluer l’écoute. Car signa­lons aus­si­tôt que cet évé­ne­ment a dû prendre l’air… Il a quit­té la petite salle de la rue de la Répu­blique pour s’installer dans un jar­din clos, ombra­gé, acco­lé à la vieille bâtisse de la mai­rie, dont les amé­na­ge­ments récents ont offert tout ce qu’il faut de confort pour accueillir public et artistes. Même une entrée et une sor­tie sépa­rées, comme l’exigeaient les mesures sani­taires ! Le Comi­té des fêtes du vil­lage se décla­rait par­te­naire pour tenir une buvette, un camion de « food truck » déli­cieu­se­ment nom­mé « 2 gour­mands disent » s’installait sur la petite place à proxi­mi­té, offrant des plats de qua­li­té à empor­ter… et tout se trou­vait alors réuni pour que le public puisse venir à ces ren­dez-vous en toute séré­ni­té, gui­dé par la diver­si­té des propositions.

Domi­nique Mour­lane qui endosse alter­na­ti­ve­ment (et sou­vent conjoin­te­ment !) les fonc­tions de libraire, cui­si­nier, pro­gram­ma­teur, sou­te­nu par son équipe, n’a ces­sé de sou­li­gner sa volon­té de venir en aide aux artistes et tech­ni­ciens… C’est aujourd’hui chose faite ! Sou­hai­tons –lui d’avoir tous les sou­tiens finan­ciers pour que cette géné­reuse ini­tia­tive ne mette pas à mal sa petite entre­prise, qu’il puisse enton­ner devant ses four­neaux, quand il nous pré­pare l’une de ces soupes dont il a le secret : « Ma petite entre­prise /​Connaît pas la crise /​Épa­nouie elle exhibe /​Des tré­sors sati­nés /​Dorés à souhait »…

La pro­gram­ma­tion s’ouvrait le 4 juillet sur une soi­rée en fan­fare qui vit le petit jar­din de la mai­rie faire le plein de spec­ta­teurs. Com­ment résis­ter en effet à l’envie d’écouter à nou­veau les chan­sons de Georges Bras­sens, déci­dé­ment le maître incon­tes­té, sur­tout lorsqu’elles sont revi­si­tées par des musi­ciens de cette trempe ? Sur ces « Etran­gers fami­liers » pro­gram­més au fes­ti­val Détours de Chant en 2019 nous écri­vions : « De jazz en reg­gae, de folk en valse nos oreilles perdent tout repère et c’est une fête où les chan­sons de Bras­sens cara­colent, à peine mas­quées, maquillées de toutes les cou­leurs du car­na­val. Oui, un car­na­val qui ren­verse les codes, met tête bêche ces chan­sons qui sont pour­tant ancrées dans nos mémoires avec la voix, la mous­tache, le pied sur la chaise, la gui­tare de Georges… Comme sta­tu­fiées, pas dis­po­sées à céder la place. Hé bien, ce soir, tout vole en éclats de rire et d’ardeur musi­cale. » C’était incon­tes­ta­ble­ment un magis­tral lan­ce­ment de festival !

Le petit jar­din fit aus­si le plein avec un autre concert, celui du quar­tet de Lucien la Movaiz Graine autour de Julien Mal­herbe, venu, ce soir là, don­ner son der­nier concert. On ne sau­rait oublier qu’un groupe de musi­ciens a sa durée d’existence, comme toute autre rela­tion humaine. C’est avec une éner­gie, une joie que ces quatre là fêtaient donc la fin de leur his­toire com­mune. Il y avait une émo­tion sin­gu­lière, une fra­gi­li­té aus­si. Le public des fidèles ne s’y était pas trom­pé. Il était là aus­si pour applau­dir encore une fois, Yvette, ce per­son­nage de tra­ves­ti qu’endosse le chan­teur. Elle était par­ti­cu­liè­re­ment émou­vante ce soir là,Yvette… On sou­li­gne­ra aus­si qu’était enfin dis­po­nible – iro­nie des aléas d’une créa­tion – leur der­nier album, titré Le tor­rent, livret fine­ment illus­tré de des­sins de l’auteur. L’histoire peut donc se pro­lon­ger avec un album qui rend un superbe hom­mage à la Chan­son, – « Une chan­son… comme une racine, un repère… – à ceux qui s’y consacrent, « les guer­riers trou­ba­dours /​armés de souffles, de cordes, de peaux, de fers, de bois et sans dra­peau. »

La pro­gram­ma­tion de ce fes­ti­val veillait à offrir une diver­si­té de styles, d’origine – il n’a pas man­qué de sou­te­nir les artistes locaux – de res­pec­ter une cer­taine pari­té. Une soi­rée se fit ain­si très fémi­nine avec deux fées, ou plu­tôt deux sor­cières… Une brune, Eva Glo­rian, une blonde, Claire Gimatt. Toutes deux ont des belles voix très sin­gu­lières, toutes deux ont un lien pri­vi­lé­gié avec le pia­no, toutes deux ont un réper­toire oni­rique, peu­plé de chi­mères… Eva nous emmène dans une tour de Babel dont elle recrée le mythe, Claire se fait « baronne déchue », « avia­trice » qui de là –haut des­sine un monde, des formes, des cou­leurs, puis saute dans un tableau de Dali, part à la chasse au monstre ou marche en che­mise de nuit blanche dans la nuit…

Une autre sor­cière était atten­due sur cette scène mais un same­di de chas­sé –croi­sé du mois d’août en a déci­dé autre­ment… Nous n’avons en effet pas pu entendre, K ! /​Kari­na Duha­mel, celle que nous avions qua­li­fiée de « dia­blesse dou­blée d’une rockeue, atten­due dans un « méli mélo » avec Samuel Cajal à la gui­tare. C’est donc lui qui a tenu seul la scène de sa pré­sence féline, avec sa gui­tare élec­trique, pro­lon­ge­ment de son chant sou­vent déchi­rant, dans son réper­toire sombre et beau comme peuvent l’être ceux de Dimo­né, Nico­las Jules ou Nev­ché

Un fes­ti­val com­porte néces­sai­re­ment ses contra­rié­tés, ses décon­ve­nues, et celui – là n’en a pas man­qué comme cette annu­la­tion de concert, ou comme cette longue panne d’électricité qui fit attendre une heure le deuxième concert du 1er août. Qu’à cela ne tienne, le public n’a pas bou­gé et sur la scène de joyeux impromp­tus se sont suc­cé­dé. C’est d’ailleurs l’une de ses contra­rié­tés qui a contraint le fes­ti­val au repli en salle – et donc au refus d’un cer­tain nombre de spec­ta­teurs – pour la soi­rée de clô­ture. La météo capri­cieuse en avait ain­si décidé.

Ce fes­ti­val s’était ouvert sur une soi­rée flam­boyante, on peut en dire autant de celle d’hier soir. Elle com­mence avec le duo fan­tai­siste – mais pas seule­ment ! – Du vent dans les bronches. Cha­kib Cadi Tazi à la gui­tare et au chant et Jean-Chris­tophe Pla­nès au haut­bois et au saxo­phone ne manquent pas de sur­prendre, enchaî­nant des titres volon­tiers mili­tants, des reprises – La prin­cesse et le croque-notes, savou­reux accom­pa­gne­ment du saxo – des paro­dies – un Radi­ca­li­sez-moi qui a ravi le public. Ensuite vint le trio, Jules Nec­tar, Milu Mil­pop et Clé­ment Fois­seau, dans la ver­sion acous­tique de leur réper­toire. Nous avons sou­vent dit com­bien c’était doux et atta­chant. On se sur­prend à chan­ter avec eux ces chan­sons qui nous sont deve­nues fami­lières. Force est de consta­ter que leur trio affiche dans cet exer­cice une conni­vence, une joie, un par­tage fami­lier propres à séduire le public.

C’est d’autant plus intri­gant, cap­ti­vant de les décou­vrir ensuite dans deux chan­sons de leur pro­jet tout neuf, à peine sor­ti de l’œuf, un cer­tain « Biceps »… Milu et Jules, cha­cun der­rière un cla­vier, der­rière leurs micros qui jouent sur la « réverb », don­nant par ins­tants de l’écho à leur voix, Clé­ment tou­jours à la gui­tare élec­trique, nous emportent cette fois aux anti­podes de leur trio acous­tique, dans un uni­vers électro…L’ordinateur en ayant déci­dé, s’étant mis à n’en faire qu’à sa tête (!!) c’est en acous­tique qu’ils ont dû chan­ter leur troi­sième titre, rap­pe­lant, s’il est besoin, la com­plexi­té de ces nou­velles expres­sions musi­cales… Il fau­dra donc patien­ter, attendre le 13 novembre au Metro­num à Tou­louse, une soi­rée du Bijou hors les murs, pour en décou­vrir davan­tage… Mais, disons-le, ces pre­miers pas nous ont mis en appétit !

L’été prend fin.

La ren­trée sco­laire s’annonce avec son cor­tège de ques­tions dans ces temps si troublés.

Le Relais de Poche pour­sui­vra sa pro­gram­ma­tion déjà en place, après cette paren­thèse inat­ten­due, ce fes­ti­val né de l’interruption du prin­temps. Connaî­tra –t‑il une suite dans ce petit jar­din de la mai­rie de Ver­niolle ? Pour­ra-t-il alors trou­ver sa place dans la mul­ti­pli­ca­tion des pro­po­si­tions esti­vales du dépar­te­ment ? Dif­fi­cile de répondre mais ren­dons grâce, une nou­velle fois, à l’inventivité de ces petits lieux qui, en milieu rural, garde vivante la culture dont nous avons tel­le­ment besoin.