Troyes Chante, avril 2022 – Sarclo & Patrice Mercier (© droits réservés)
1er et 2 avril 2022 – Comme l’insolence est belle*
Concerts de Sarclo & Patrice Mercier dans ses Mélodies chroniques, spectacle de goguettes
Avec
Sarclo (guitares, voix)
Patrice Mercier (textes, voix) accompagné au piano par Missone
Le Théâtre Le Quai - Troyes (Aube)
Retour sur nos terres ancestrales et joie de retrouver, comme en décembre, ces instants de partages préparés par l’association Troyes Chante qui tente, vaille que vaille, de diffuser la chanson, celle qui lutte et se bat pour se faire entendre loin des grands circuits médiatiques… « C’est trois fois rien une chanson /C’est du champagne un frisson /… C’est peu de choses une chanson /Mais dis-moi c’que nous ferions /S’il n’y avait plus de chansons … » S’il n’y avait plus cette chanson-là, dites-moi, que ferions-nous ? En tout cas, de ces paroles de Charles Dumont nous retiendrons le Champagne, car ici, dans l’Aube c’est avec lui que nous commençons inévitablement la soirée. Et ça pétille d’emblée… Surtout que ce soir, l’artiste attendu, Sarclo, propose une virée dans ses chansons, des anciennes aux plus récentes, dont il nous dira qu’elles ont été choisies par Fred Castel, programmateur « de la chanson de qualité », en l’occurrence, de qualité suisse ! Il se fera un point d’honneur à n’en oublier aucune.
Il s’installe en scène comme s’il nous recevait dans son salon. Ses guitares sont plantées dans de grosses poubelles, détail qui donne le ton. C’est lorsque qu’il ponctue la présentation de ses chansons de cette interrogation « Des questions ? » ‑sans attendre évidemment de réponse- que l’on comprend très vite sa malice : une parole délivrée de toute précaution ou fioriture et des chansons qui s’enchaînent sans reprendre souffle, ou à peine… Près d’une trentaine ! Il glisse très vite un hommage à Bob Dylan, propose sa traduction de Mama You’ve been On my mind, non sans rappeler que la meilleure reprise est signée Georges Harrison. Quand il entame sa chanson sur la Gauche « ça nous fait cinquante nuances de Gauche et direct une droite dans ta Gauche… » qu’il enchaîne avec « Voyez-vous les riches sont des cons, je peux vous le dire, je suis de la maison », qu’il s’en prend aux marques – « que revendiquer quand on est Suisse ? » – « Je veux plus rien marqué quelque part », avant de s’en prendre à la vieillesse, la nôtre, la sienne… « Les vieilles dames font désordre dans mon décor ». Nous sommes au fait : il est là, sur scène, « avec ses sarcasmes, ses incongruités, ses chansons citoyennes ». C’est en ces termes que France Culture nous présente son concert. Mais ce n’est pas tout car, peu à peu, il nous révèle aussi son immense tendresse. Il faut dire que, dans ce registre, il est irrésistible. Qu’il rende hommage à la guitare d’un copain parti avant lui, qu’il évoque la lutte contre le cancer « ça peut servir d’avoir du cran, du temps, quelques amis sincères… » Surtout, surtout l’amour… Écoutez ça : « Je t’aime à fond les manettes /A la va comme j’te pousse /à la tire larigot… » sans omettre la sexualité « tu t’souviens comme on s’aimait /On a fait ça comme des champions… » ou bien « Le cul… c’est la plus belle histoire de cœur… » Son astuce pour lutter contre le cafard ? La voici : « J’aime la vie, je fais des bébés… ». Il évoque aussi l’émotion devant la beauté féminine « Encore une fille qui passe /Et c’est mon cœur qui casse… » les copains avec qui on se promène et rigole, au bord du canal St Martin, l’amour d’un père quand hurle une sirène d’ambulance « Je venais pour le voir guérir… »… Bref, un profond et savoureux amour de la vie ! Et ce message-là, le public l’a reçu, cinq sur cinq si l’on en juge par les commentaires enthousiastes du lendemain.
De l’humour, de la satire rien de mieux par ces temps difficiles, pris au piège comme nous le sommes, entre une campagne électorale démoralisante et la guerre aux portes d’une Europe menacée par un tyran d’un autre âge. Ce 2 avril qui a pris des airs d’hiver rigoureux, le théâtre Le Quai accueille les Mélodies chroniques du duo de Patrice Mercier, savant auteur de goguettes et autres facéties (il excelle aussi en vidéos, en saynètes) et de son accompagnatrice Missone à son piano virevoltant, douée aussi d’une voix délicieuse qui lui donnerait tous les atouts pour chanter Michel Legrand. Au fil du spectacle, s’éloignent les thèmes sociétaux, plutôt larges, voire intemporels pour se rapprocher de l’actualité brûlante. Sur des airs connus, – toute la saveur est là ! – Patrice Mercier pose ses textes humoristiques, ne reculant devant aucune audace, ainsi que le prouve la deuxième chanson sur l’euthanasie : la fameuse chanson de Francis Cabrel, Je l’aime à mourir, devient alors Je l’aide à mourir… « On lui propose de faire la belle au bois dormant… ». Je vous laisse découvrir les différents scenarii. Il enchaîne sur les vegans… Il faut alors l’avoir entendu faire le cri du cochon qu’on égorge ! Boby Lapointe et sa célèbre chanson Ta Katie t’a quitté lui inspirent « Est-ce que t’es cas contact ? » et Le zizi de Pierre Perret une chanson sur nos beaux jours technologiques… Bref, vous avez compris… On rit de bon cœur de ce monde absurde. On rit de nous pour tout dire.
Plongeant résolument dans l’actualité politique qu’il égratigne avec jouissance, il nous lit des lettres de Macron et chante « On s’était dit rendez-vous dans cinq ans »… Inutile de vous rappeler le nom du chanteur qui l’inspire alors, pas plus que dans « Je vous ai apporté des Bombombes »… Quant à la guerre, il la contourne à peine pour s’en prendre à un autre dictateur, Xi Jinping, sur l’air de Comic Strip de Serge Gainsbourg. Inattendu et irrésistible ! Quand, en rappel, il s’en vient chanter Je voudrais mourir comme Félix Faure, on sait qu’il s’adresse à un public définitivement conquis.
Dans deux mois, les 10 et 11 juin, c’est un plateau résolument féminin qui attend le public de Troyes : Léonor Bolcatto et Hélène Piris. On ne saurait trop vous conseiller de venir soutenir la belle initiative de Troyes Chante.
*L’expression « comme l’insolence est belle » est empruntée à Claude Lemesle parlant de Patrice Mercier en ces termes : « Un jeu de massacre jubilatoire et sans tabou. Courez applaudir Patrice Mercier : vous verrez comme l’insolence est belle lorsqu’elle est affûtée au talent. »