Zédrine, Éric Cartier et Louis-Noël Bobey – Lève ton vers (© Claude Fèvre )
12 avril 2017 – 6ème journée du Festival Lève ton vers
avec Zédrine (Ex membre d’Enterré sous X, machines, voix), Eric Cartier (Membre du groupe électro Vibrion, « facteur de sons » guitare, voix) et Louis-Noël Bobey (piano, guitare, voix)
Le Bijou (Toulouse)
Ce soir au Bijou les mots dansent, balancent. Les mots tanguent, se trémoussent. Ils palpitent dans l’air qui vibre de leur force.
Ils se font chair, se faufilent dans notre imaginaire et dessinent des arabesques.
Ils sont arc-en-ciel.
Au pays de Claude Nougaro on entend « Les mots bruissant, comme des rameaux /Les mots ciselés, comme des émaux »…
On voudrait s’arrêter à cet impressionnisme, à ce sentiment vague, imprécis de beauté. Ne rien chambouler de ce plaisir. On aurait même aimé de ne pas entendre d’applaudissements qui rompent le charme, l’envoûtement. Celui qui nous arrache au sombre quotidien. Laisser des silences… du silence. Celui que l’on redoute en scène comme si toujours il y avait urgence de le rompre, comme si l’on avait peur de perdre le fil qui nous lie aux spectateurs dans l’ombre.
Les mots sont comme le temps qui file et que l’on voudrait arrêter. Juste un instant. Un instant seulement.
Les mots sont dans les voix, dans le grain de chacune, comme une signature de leur monde intérieur. On notera combien la diction est précise, combien le « flow » s’attache à les assembler comme les notes sur une portée. Les mots dits, chantés, sont vibrants sous la peau de trois artistes : Zédrine à ses machines, mais debout face à nous aussi, Louis-Noël Bobey dans son authenticité – il est en scène comme il est dans la vie, sans fard, à fleur d’émotions – et entre eux Eric Cartier, comme un grand frère protecteur, délicieusement inventif avec ses instruments.
Ces trois là se découvrent et nous font vivre une création toute fragile encore de ses questionnements. C’est la grande réussite de ce premier « Lève ton vers » de la salle du Bijou de nous avoir invités ainsi à des soirées qui ont la beauté éphémère des premières fois.
On sent les artistes désireux de ne pas manquer ce rendez-vous qu’ils ont peaufiné pendant deux jours, alors qu’ils venaient à ce festival simplement pour offrir au public un morceau de leur concert. On perçoit leur souci d’être au plus près de ce qu’ils ont partagé en amont : leur rencontre vivante, palpitante de sa fragilité vraie.
Dans un premier temps, on observe la lenteur de leurs déplacements. Pas de bavardages, pas de plaisanterie pour s’assurer que le public est bien là. Et nous avons aimé singulièrement ce moment. L’aboutissement de cette rencontre pourrait être ainsi une heure à tendre l’oreille, à s’émouvoir, à sourire, à s’immerger dans les mots et les sons qui les portent. A n’en rien dire. Juste les accueillir.
Que disent les mots ? Le premier texte entendu dit à peu près tout, dans la voix de Zédrine : « Libérez le verbe et laissez-le couler ». L.N Bobey le suit avec « un premier jour d’été, un lever du jour… comme si tout était à renaître »… Eric Cartier et Zédrine l’accompagnent alors seulement de la guimbarde vibrante dans leur bouche… Vient alors un troisième texte d’Eric Cartier, un chant si touchant accompagné à la guitare et à l’harmonica de L.N Bobey. Il scande ce refrain : « Dis c’est pour bientôt l’échappée bulle ? »
Il sera beaucoup question de départ, de voyage. « Il est où le pays d’où je viens /Il est où le pays où je vais » questionne Zédrine… Le voyage se fait au plus près comme L.N Bobey dans son bus des quartiers nord de Marseille – un texte superbe que l’on ne se lasse pas t’entendre – comme au plus loin « C’est dur de partir de là, c’est dur » chante Eric Cartier. A moins qu’il ne soit plutôt question du voyage sous un crâne, du voyage intérieur. Le plus périlleux sans doute, celui qui nous confronte à nos certitudes, nos vérités : « Combien de temps ça prend d’écrire un sort comme le mien ? » s’interroge Zédrine. L.N Bobey s’est alors installé au piano dans une improvisation qui serpente entre les lignes… Ce piano, les sons électro de Zédrine, Eric et sa boîte en fer, sa guitare rudimentaire, rejoignent ces interrogations existentielles « c’est la guerre à tous les étages »… et les cages qui nous enferment ne règlent rien, inévitablement « Chaque cœur se brise… ».
D’où nous viendront donc l’espoir, la douceur… ? De la rencontre de l’Autre, bien entendu. Une rencontre qui prend mille et une formes : « On est bien, on est des amoureux » chante Eric Cartier. Zédrine, lui, lance cet appel qui décline à l’envi la force vive de la lettre initiale « V » : « Viens, vis, vois… Les continents sont trop petits… Viens valser ! » Oui, décidément, la vie est un voyage, Eric Cartier nous fera reprendre en chœur : « Passer au pas »… On ne fait que passer. « Et toujours un bateau qui arrive /Un bateau qui part ».
Mais une certitude pourtant : « Les musiciens ne fatigueront jamais ». Jamais ne fatigueront ces histrions, ces bateleurs de mots.