Festival des voix, Émily Loizeau (© Claude Fèvre)

Fes­ti­val des voix, Émi­ly Loi­zeau (© Claude Fèvre)

24 juin 2016 – Festival des Voix 2016 – Émily Loizeau

avec Émi­ly Loi­zeau (pia­no, pro­phet, chant), Oli­vier Koun­dou­no (basse, vio­lon­celle, chœur),
Csa­ba Palo­taï (gui­tares, chœur), Clé­ment Oury (vio­lon, tuba bary­ton, chœur), Sophie Ber­na­do (bas­son, chœur), Emma­nuel Marée (bat­te­rie, chœur).

Hall de Paris – Moissac (Tarn & Garonne)

Dans le pay­sage de la chan­son Émi­ly Loi­zeau a cette par­ti­cu­la­ri­té d’être à la croi­sée de deux mondes musi­caux : le monde anglo saxon, ses bal­lades, son folk, son blues et la chan­son fran­çaise où elle s’illustre avec élé­gance et fra­gi­li­té der­rière son pia­no. Son qua­trième album, Mona, le spec­tacle qui l’a pré­cé­dé, le concert d’aujourd’hui en est la conti­nui­té. Dans un équi­libre presque par­fait elle alterne des chan­sons dans les deux langues. On avoue­ra que, piètre anglo­phone, ce détail nous prive d’appréhender toute la richesse de sa créa­tion. On ajou­te­ra que le volume sonore en scène a contra­rié sou­vent notre aspi­ra­tion à nous impré­gner de ses textes, à en sai­sir toute la quintessence.

Pour­tant ce concert a ravi et l’âme et le cœur. Disons-le vite, don­nons place au bon­heur res­sen­ti, par­ta­gé de toute évi­dence par la salle entière qui se tient debout pour applau­dir à la fin.

Un écran pour toile de fond offre des pro­jec­tions d’images qui sont autant d’appels à la beau­té, à la mélan­co­lie. Le motif qui domine, c’est l’eau… Ondes… « Je vou­drais être le fond de l’eau /​Là où se couchent les bateaux ». L’eau des pro­fon­deurs marines, « Mêlée de voiles et de coraux » celle de notre vie ori­gi­nelle, celle des flots bleus qui portent les navires vers l’ailleurs mais les englou­tit par­fois aus­si et les hommes avec eux… L’eau, la pluie, celle qui joue avec les jours d’ennui, les jours de peur et d’oubli… l’eau de la pis­cine, celle où l’on se noie de plai­sir ou de déses­poir. L’eau qui dégou­line sur les vitres, « Toi l’eau qui tombe /​Qui coule sur ma fenêtre /​Qu’as-tu vu du monde ? » L’eau qui brouille les pay­sages, les fûts des forêts comme piliers d’une cathé­drale englou­tie, et les visages comme celui de Sombre prin­temps… qui pour­tant s’accroche à son rêve d’atteindre l’autre rive.

La for­ma­tion musi­cale offre autour d’Émily un savant mélange d’instants fra­giles avec les cordes, vio­lon­celle et vio­lon, le tuba bary­ton, le bas­son sou­li­gnant toute la pro­fon­deur des émo­tions et puis les cris par­fois, les déchi­rures de la gui­tare élec­trique quand bat­te­rie et basse lui font écho… sans oublier bien sûr ce pia­no étran­ge­ment dému­ni de tout son habillage de bois, le met­tant à nu, comme les émo­tions qui naissent de ses notes frap­pées. Émi­ly en joue debout le plus sou­vent, petite sil­houette blanche de bal­le­rine, presque enfan­tine — robe courte, pieds nus, frange sur le front, che­veux ramas­sés en queue-de-che­val. Elle res­semble à une demoi­selle de Roche­fort, à Fran­çoise Dor­léac, la brune bien sûr… Coïn­ci­dence ? Demain dimanche elle fête à Paris, au Wan­der­lust ce ciné­ma de Jacques Demy

Elle joue et chante dans l’énergie et la dou­ceur à la fois, nous pro­me­nant à son gré dans ses larmes comme dans ses aspi­ra­tions à la lumière. Quand elle n’est plus amar­rée au pia­no ses bras dansent et des­sinent des ara­besques autour de sa tête. Des larmes il y en eut dans sa vie en 2015. Dans la nôtre aus­si… Sur un pla­teau télé­vi­sé elle exprime la poro­si­té évi­dente entre l’actualité et l’écriture de ses chan­sons : vio­lence, déses­pé­rance, entre images d’attentats et celles de migrants échoués, aban­don­nés. Peut-être est-ce là tout ce qui ins­pire la nais­sance absurde de Mona, un enfant vieux, hors de toute nor­ma­li­té mais aus­si des titres comme Psy­cho­tique ou Je ne sais pas choi­sir qu’elle aborde avec humour cette fois ?

Ce spec­tacle accède à un niveau d’exécution excep­tion­nel où la tech­nique aus­si a gran­de­ment sa part (son, vidéo, lumières). Il nous a menés À l’autre bout du monde, dans ce temps sus­pen­du où l’on fait de l’or avec la dou­leur de nos vies, avec les eaux sombres.

« L’amour nous empor­te­ra un jour /​Peut-être ce soir… Love will take us all somew­here /​Someday/​Some­day, we’ll try ».