Lise Martin – Persona– 2019  (© Paul Rousteau)

Lise Mar­tin – Per­so­na– 2019 (© Paul Rousteau)

18 avril 2019, Concert de sor­tie d’album de Lise Martin 

Per­so­na

Avec

En scène ce soir :  Lise Mar­tin (chant, uku­lé­lé), Simon Chouf (gui­tares) et  Eugé­nie Ursch (vio­lon­celle)

Sur l’album : Lise Mar­tin (chant, uku­lé­lé textes sauf Je rebon­dis de Rémo Gary, et musiques), Daniel Miz­ra­hi (gui­tares, Man­do­lines, Rhodes, Cla­viers, xylo­phone) Mar­ti­na Rodri­guez (vio­lon­celle) Antoine Rei­nin­ger (contre­basse, basse élec­trique dans Mon oiseau) Mat­thieu Penot (bat­te­rie, per­cus­sions) Liz­zie (voix et chœurs dans Son of the rain)


Le Bijou (Tou­louse)

Avec Lise Mar­tin en concert, avec les chan­sons de Per­so­na, son nou­vel album tout en nuances de jaune ten­dant vers le vert, nous entrons dans un uni­vers qui nous arrache à notre tem­po­ra­li­té. Ce jaune vif, ce vert tendre nous habitent comme une lumière inté­rieure toute neuve, celle d’un prin­temps nais­sant. A moins qu’il ne s’agisse de la sen­sa­tion presque aérienne, pal­pi­tante qu’une future mère connaît bien, celle que le texte de Rémo Gary, Je rebon­dis -, pre­mière chan­son de l’album ! – a si mer­veilleu­se­ment décrit : « C’est un souffle d’alizé/ Tout le contraire d’un coup bas /​Un tendre coup de tabac »…

Les mots, les mélo­dies empreintes des accents de la musique folk, la voix pro­fonde et grave sont des appels à la dou­ceur, avec un zeste de mélan­co­lie, celle où l’on aime s’égarer, le temps d’oublier les astreintes et les contraintes d’une bru­tale réa­li­té. Nous pou­vons lui don­ner rai­son quand elle dit en scène que chan­ter c’est faire sa part d’oiseau, c’est « dépo­ser sa goutte d’eau /​Sur un feu de paille »… Sou­dai­ne­ment, dans cette salle fami­lière du Bijou, « Un souffle de vent d’avril /​Balaie cendres et pous­sières. »

Nous l’avons vérifié.

Nous avons empor­té dans la nuit, dans « la ville aux grands murs de pierre » le désir de res­ter pour quelques heures encore « amar­rée à [nos] rêves blancs d’écume ».

Com­ment donc une telle magie peut-elle s’opérer quand on est tiraillé par des vents contraires ? Quand tout s’agite autour de nous et nous prive de la néces­saire halte consolatrice.

Sans doute faut-il rendre hom­mage aux deux musi­ciens qui l’accompagnent ce soir, en pré­ci­sion, déli­ca­tesse : Eugé­nie Ursch au vio­lon­celle et Simon Chouf aux gui­tares. A plu­sieurs reprises on s’est lais­sé char­mer, empor­ter par les arran­ge­ments… A l’ouverture du concert, les sons filés du vio­lon­celle, rejoints par quelques notes sub­tiles de gui­tare, l’introduction de la gui­tare élec­trique pour Lignes cica­trices, le vio­lon­celle et la gui­tare acous­tique dans Si quelque chose craque, la gui­tare seule, si déli­cate pour Barge… Toutes sen­sa­tions que l’on renou­vel­le­ra à l’envi en écou­tant l’album. Peut-être aus­si faut-il accor­der leur part à la sil­houette de la chan­teuse, habillée de blanc, à sa posi­tion presque hié­ra­tique par­fois der­rière le micro, à sa che­ve­lure brune mi-longue sur les épaules et sa courte frange lui prê­tant quelque chose de la grande Juliette Gre­co

Lise Mar­tin sait très bien tra­duire l’état dans lequel nous cueille le concert ce « bruit effrayant » ce tumulte inté­rieur d’un cœur ouvert, « trop avide … Je ne sais pas si quelque chose craque /​Je ne sais pas si ce bruit sourd est dans ma tête. » Car, disons-le, ses chan­sons ne sont pas des bluettes sans consis­tance. Elle le démontre d’ailleurs brillam­ment en emprun­tant au réper­toire qu’elle affec­tionne – tout comme Bar­ba­ra, notons-le – celui des chan­teuses réa­listes, Damia, Fré­hel, Marianne Oswald et Piaf bien sûr. Elle a la voix, le tem­pé­ra­ment, la force d’interprétation pour nous convaincre avec Jeu de mas­sacre et ces mots qui résonnent aujourd’hui étran­ge­ment « C’est le mas­sacre des pan­tins inno­cents /​Ah ! Visez bien leur pauvre gueule /​Puisque vous êtes tous trop veules /​Pour taper sur les puis­sants ». Puis, seule­ment accom­pa­gnée par le vio­lon­celle, Tout fout l’camp,  et son émou­vant refrain « Et là-haut les oiseaux /​Qui nous voient tout petit, si petits /​Tournent, tournent sur nous /​Et crient : Au fou ! Au fou ! »

Au-delà de ces états inté­rieurs qui sont les nôtres, au-delà de l’état intem­po­rel du monde – ses chan­sons ne cèdent pas à la ten­ta­tion de l’illustration de cir­cons­tance – Lise Mar­tin sait appe­ler au renou­veau – à ce vert, à ce jaune lumi­neux- à « Se défaire /​de ce qui pèse trop lourd… à Démon­ter le décor /​Jouer un nou­veau rôle… ». Voi­là que nous appa­raît le sens don­né à l’emprunt du mot latin Per­so­na, nom don­né aux masques dans le théâtre antique. Sans doute peut-on aus­si y voir le goût de l’Autre, celui que l’on croise, être de fic­tion ou de réa­li­té. Un cer­tain nombre de per­son­nages habitent ces nou­velles chan­sons, outre l’être aimé bien sûr avec lequel elle dia­logue sans cesse, comme Sacha – superbe chan­son d’amour, dépouillée et effi­cace ! – ou bien le des­ti­na­taire de la der­nière chan­son du concert, « Quand ton regard me nau­frage /​Je pour­rais cha­vi­rer » (Barge)

C’est avec un « ange noir au visage pâle comme la lune », méta­phore de l’inspiration, que s’ouvre le concert. Il n’est pas sans nous évo­quer, ce double, ce frère avec lequel dia­logue Alfred de Mus­set dans Les Nuits. Puis ce sera Ophé­lie, celle qui ins­pi­ra Arthur Rim­baud, la mal­heu­reuse héroïne de Sha­kes­peare dont les peintres nous laissent l’image du corps flot­tant « comme un grand lys » au milieu des fleurs dont elle essayait de faire des guir­landes. Lise Mar­tin nous laisse, elle aus­si, une image pré­gnante à laquelle s’ajoutent les notes de son uku­lé­lé « Il neige des pétales de fleurs ». On n’oubliera pas non plus de si tôt ce vieux mon­sieur qu’elle accom­pa­gna pen­dant dix ans et qui lui vaut ces mots « Et quand je suis venue /​Don­ner ce que j’avais /​En retour j’ai reçu /​La force des forêts… » Enfin, c’est peut-être la chan­son hom­mage au folk anglo –saxon, qu’elle inter­prète avec Liz­zie sur l’album, qui donne la note exacte en fian­çant le fils triste de la pluie « Sad son of the rain » à la fille du soleil « The daugh­ter of the sun ». 

Lise Mar­tin affec­tionne les images, les méta­phores. En cela, elle marque la dis­tance avec l’hyper réa­li­té qui nous abreuve de sa vio­lence et de sa vul­ga­ri­té. En cela elle rejoint la poé­sie qu’elle honore en dif­fu­sant le recueil des textes de ses chan­sons. Un cadeau à offrir, à s’offrir. On peut y choi­sir à loi­sir l’image qui, à l’instant de notre lec­ture, nous paraît lais­ser son empreinte exacte. Aujourd’hui, nous nous arrê­te­rons plus lon­gue­ment au coli­bri qui fait sa part, mal­gré tout, contre vents et marées : « Mon oiseau /​Mon frère de bataille, /​Goutte d’eau /​Sur un feu de paille /​Chante encore, chante encore ». 

Lise Mar­tin, chante encore !