Pause Guitare 2018 – Prix Magyd Cherfi (©Ulysse Maison d’Artistes)

Pause Gui­tare 2018 – Prix Magyd Cher­fi (© Ulysse Mai­son d’Artistes)

6 juillet 2018 – 22e Fes­ti­val Pause Gui­tare, Prix Magyd Gerfi

Trem­plin Décou­verte Chanson

Avec, par ordre de passage :
Govrache (Manche ‑Nor­man­die), Ivan Tir­tiaux (Wal­lo­nie- Bruxelles), Les Poules à Colin (Qué­bec), San­dor (Suisse), Connie & Blyde (Prin­ti­val – Péze­nas), Michel & Yvette (Réseau Chan­son Occi­ta­nie), Dani Ter­reur (Pic d’Argent – Tarbes), Mal Armé (Séma­phore en Chan­son – Cébazat)


L’Athanor – Albi (Tarn)

8 groupes issus de toute la fran­co­pho­nie, jouent durant 25 minutes cha­cun. L’ordre de pas­sage est éta­bli par tirage au sort. 3 jurys votent ensuite : les pro­fes­sion­nels, le public et le jury La Dépêche du Midi. A l’issue de ces déli­bé­ra­tions, chaque jury déli­vre­ra sa propre récom­pense : une date de concert de la part des pro­fes­sion­nels, un sou­tien en com­mu­ni­ca­tion de la Dépêche du Midi et 1000€ offert par La Poste pour le vote du public.

Depuis le lan­ce­ment du trem­plin Décou­verte Chan­son, en 2007, (aujourd’hui nom­mé Prix Magyd Cher­fi) 13 artistes ont reçu des récom­penses :

L’Herbe Folle2007Manu Galure2008Garance2009Pauvre Mar­tin – 2010Sarah Oli­vier2011 /​Oli­vier Gil2012Gilles et Auguste 2013JeserS2014K2015Denis K2015 /​Bar­ba­ra Wel­dens 2015Emi­lie Marsh 2016Zob’ 2016 /​Dal­ton Tele­gramme2017

2018 : GOVRACHE Prix du public et des pro­fes­sion­nels  /​Les poules à Colin prix de La Dépêche du Midi

Pause Gui­tare, Prix Magyd Cherfi

Govrache /​David Hébert, pre­mier can­di­dat témé­raire de la jour­née – pas moins de trois heures trente d’écoute attendent jurys et spec­ta­teurs, en deux par­ties. Il s’octroie de lan­cer un défi, celui de dire ses textes sans aucun apport musi­cal. Déjà tour­né vers son pro­chain spec­tacle, c’est en sla­meur donc qu’il se pré­sente. Seul, sur une scène char­gée d’instruments pour les can­di­dats sui­vants, on ne peut l’être davan­tage que lui ce matin là.

Dans les pre­mières secondes les lumières des­sinent sa sil­houette habillée judi­cieu­se­ment de blanc. Che­veux ramas­sés sur la nuque en cato­gan, main gauche posée à la taille, la main droite raconte… La voix est claire, découpe tous les mots qui mènent leur danse… Le texte où vire­voltent asso­nances et alli­té­ra­tions se fait musique, cadence. Et quel texte ! Le pre­mier dénonce le scan­dale de l’Homme trot­toir, le second défend l’ivresse, celle qui fait de lui « un fou rire en été et un singe en hiver ». Puis il déclare sa flamme avec une telle élé­gance et une telle ten­dresse que l’on se dit qu’il riva­lise alors avec Jean Fer­rat. Sous sa plume – et dans son cœur ! – sa môme est « un concen­tré d’anti – prin­cesse… c’est une fée mais en mieux » ! Sur­tout Govrache n’épargne rien, ni per­sonne, sans jamais que le pro­pos ne soit aigre ou gros­sier. C’est un régal de l’écouter racon­ter son trou de mémoire à quinze ans, « à poil au tableau » devant les copains de classe hilares. Ce jour là Rim­baud et son Dor­meur du val lui valent humi­lia­tion et dégoût de la poé­sie. Mais sans doute est-ce sur­tout comme pour­fen­deur des maux de notre condi­tion, de nos socié­tés qu’il excelle. Qu’il assi­mile les citoyens à des pigeons, qu’il rap­pelle le corps dou­lou­reux de l’ouvrier enchaî­né à sa tâche, et sur­tout « au béné­fice et au ren­de­ment », tel Char­lot des Temps modernes, ou qu’il évoque « le bout de la table », celle que l’on réserve au plus vieux de la famille « Il faut une vie pour s’assoir là et accep­ter d’céder sa place… Govrache excelle dans cette mis­sion dif­fi­cile et ris­qué de l’engagement. De toute évi­dence il n’est pas en scène seule­ment « pour pas­ser le temps » et de toute évi­dence ces prix qu’il a rem­por­tés, récom­pensent son talent d’auteur en même temps que cette dimen­sion citoyenne.

Ce n’est pas tout, car j’étais prête moi-même à consi­dé­rer que David avait pris le risque de se dis­qua­li­fier en fai­sant le choix de ne pas du tout chan­ter accom­pa­gné de sa gui­tare. Lui-même s’est cru éli­mi­né en atten­dant la remar­quable pres­ta­tion de Dani Ter­reur… Seul lui aus­si, jon­glant non seule­ment avec les mots mais aus­si avec sa gui­tare élec­trique, avec sa main gauche au cla­vier et sa droite au syn­thé et à la pro­gram­ma­tion… Com­ment en effet pri­vi­lé­gier Govrache face aux autres groupes qui défen­daient leurs uni­vers musi­caux en plus de leurs textes ?

Car il ne serait pas juste d’oublier l’incroyable richesse de l’ensemble des pres­ta­tions. Une éva­sion éclec­tique dans cet uni­vers foi­son­nant de la Chan­son francophone.

Il y eut le trio d’Yvan Tir­tiaux , chan­sons inti­mistes où j’ai cha­vi­ré à l’évocation du grand-père qui inven­tait des roses, et sur­tout à l’accompagnement savou­reux du per­cus­sion­niste (un spec­tacle à lui seul !). Il y eut l’escapade au Qué­bec du groupe Les poules à Colin, puis San­dor et son pro­jet rock, sombre, voire gla­cé, qui ne s’arrache guère aux méandres des sen­ti­ments amou­reux. Il y eut la beau­té et la puis­sance émo­tion­nelle du vio­lon­celle de Bru­no Ducret dans le duo Connie & Blyde, chan­sons à fris­sons sous la voix de Caro­line Sen­tis, capable de tous les effets. Et comme pour lui don­ner la réplique, en contre­point fan­tai­siste, déca­lé et effi­cace, il y eut aus­si le couple dans tous ses états, le duo de Michel et Yvette, éga­rés quelque part dans un décor des années cin­quante. Enfin, j’accorderais volon­tiers une men­tion spé­ciale à la for­ma­tion rock de Mal armé, pré­sen­té par le Séma­phore en Chan­son de Céba­zat, où la gui­tare élec­trique peut se faire lan­gou­reuse ou très rock, selon la déam­bu­la­tion de textes qui peuvent être dits ou chan­tés. Je retien­drai quelques mots qui peuvent don­ner envie de se lais­ser empor­ter plus loin, plus long­temps « Il se pour­rait que le sel des larmes débouche sur le large… »

Pour finir le jury de pro­fes­sion­nels et le public ont tran­ché. Sans la moindre ambigüi­té. Simple addi­tion. Chaque votant choi­sit son trio gagnant en attri­buant 5 points, 3 points et 1 point

Govrache l’a empor­té. Autre­ment dit, avec lui, le Verbe, les mots. Encore les mots, tou­jours les mots. Comme un clin d’œil au fla­mand deve­nu occi­tan, Dick Anne­garn, grand défen­seur de ce qu’il appelle l’« ora­li­tude » et à sa « Ver­bo­thèque », lieu de col­lecte de la lit­té­ra­ture orale à Saint-Mar­to­ry, à moins d’une heure de Toulouse.