Exposition Barbara – Philharmonie de Paris - 2017 (©Colombe Barsacq )

Expo­si­tion Bar­ba­ra – Phil­har­mo­nie de Paris – 2017 (©Colombe Barsacq )

29 août 2018, Pas­cale Anglès (poé­tesse et roman­cière) chronique

Bar­ba­ra par Héran /​Claude Juliette Fèvre /​Laurent Viel – pré­face de Calo­gé­ro) Col­lec­tion Plume & Pinceau


Rien d’étonnant à ce que Claude Juliette Févre se soit glis­sée dans les chan­sons de Bar­ba­ra pour nous les don­ner à dégus­ter. Elle aime mâcher les mots, et c’est avec sa plume élé­gante qu’elle nous donne à redé­cou­vrir les chan­sons de Bar­ba­ra. Le pin­ceau de Jean-Marc Héran fait l’unité de cette col­lec­tion Plume & Pin­ceau, et ce ne sont pas des bio­gra­phies mais des regards dif­fé­rents sur chaque chan­son. Quant à Laurent Viel, ses ren­contres avec Claude Juliette lui ont per­mis de sen­tir pal­pi­ter l’âme de Bar­ba­ra de manière dif­fé­rente. La longue dame brune fait du noir une cou­leur à la façon du peintre Sou­lages et la pré­face de Calo­ge­ro nous le confirme : « Celle que l’on appelle « La dame en noir » est pour moi un puis­sant soleil. C’est lumi­neux le noir, c’est ma cou­leur préférée. »

Le lien qui unit Claude Juliette à la chan­teuse est très pro­fond, il s’enracine dans sa chan­son Le mal de vivre ! Á dix-neuf ans, l’étudiante en lettres est sub­ju­guée par la mélan­co­lie et le ravis­se­ment mys­tique de Bar­ba­ra. Cet éblouis­se­ment va irri­guer sa vie et elle ne ces­se­ra de lire les textes de Bar­ba­ra. Durant les Esti­vades Poé­tiques de Taras­con-sur- Ariège orga­ni­sés par Flo­rence Cor­tès j’ai pu échan­ger d’âme à âme avec Claude Juliette. Elle m’a dit n’avoir pu com­prendre son désir de sou­te­nir la créa­tion de chan­sons qu’assez tard. En fait il est ancré dans un rêve mater­nel non exau­cé. L’émotion fut immense car nous sommes ani­més par de mys­té­rieuses pas­sions dont nous ne connais­sons pas tou­jours la source. Son che­min s’est tra­cé peu à peu comme une évi­dence. Après une pré­sence dis­crète et atten­tive dans le public, la voi­ci dans la lumière des pro­jec­teurs. Nul doute que cet ouvrage fut une étape pour que s’incarne par sa voix mélo­dieuse la poé­sie de ceux qu’elle admire.

En décou­vrant ce magni­fique livre aux illus­tra­tions incroyables, l’on dirait que Bar­ba­ra va sor­tir des pages et l’on croit entendre sa voix nous livrer de tendres et dou­lou­reux secrets, comme ce cha­grin d’amour dans Dis-quand revien­dras-tu ? com­po­sé pour son amou­reux Huber Bal­lay qui lui avait fait la pro­messe de reve­nir au prin­temps mais qui, l’automne arri­vé, n’était tou­jours pas là !

Et que dire de L’aigle noir  qui est mar­qué du sceau du mys­tère. Cet oiseau à la figure qua­si mytho­lo­gique et qui porte au front le dia­mant de l’enfance ce para­dis per­du où elle seule sait le secret enfoui dans le puits de sa mémoire. C’est là que Claude Juliette, avec pudeur et élé­gance, laisse à l’interprète le droit de gar­der le secret du lien qui l’unissait à son père.

Moi qui, ado­les­cente, pleu­rait aus­si en écou­tant « Il pleut sur Nantes… » je viens de décou­vrir que mon amie, chro­ni­queuse sen­sible des chan­sons des autres, pos­sède une plume nour­rie de toute cette mélan­co­lie… Je com­prends la magie des mots qu’elle lance comme des balles. Claude Juliette s’est nour­rie de Bar­ba­ra jusqu’à l’ivresse, et elle a com­plè­te­ment absor­bé, comme un buvard sen­sible, tout son uni­vers. C’est pour cela qu’elle lit en scène ses Mémoires inter­rom­pus, Il était un pia­no noir, avec Dora Mars à l’accompagnement musi­cal. Elle pos­sède une telle grâce dans ses lec­tures, comme elle nous l’a mon­tré sur les Esti­vades, lisant la poé­sie d’Andrée Che­did et Mar­gue­rite Duras accom­pa­gnée de son amie Syl­vie Ena au violoncelle.

Bar­ba­ra, comme Claude Juliette a croi­sé d’autres écor­chés, Brel, Depar­dieu… Elle trou­vait en eux cette bles­sure si pro­fonde qu’il fal­lait tout l’amour du public pour qu’elle puisse se refer­mer. Quand la beau­té des textes conti­nue à tou­cher même après la dis­pa­ri­tion de leurs inter­prètes c’est que leurs sources d’inspirations étaient très ancrées dans la mémoire col­lec­tive. Et Claude Juliette nous guide dans la géo­gra­phie sen­ti­men­tale de Bar­ba­ra par le biais de qua­rante trois chan­sons, et nous abor­dons des îlots dont les noms sont : soli­tudes, angoisses, vic­toires, colères, cou­rages… Mais aus­si sa pas­sion pour les hommes :

« Ils se sont faits sen­ti­nelles, /​Mes hommes /​Ils pour­raient être cruels, /​Mes hommes /​Ils me veillent, comme moi je les veille quel­que­fois /​Moi pour eux et eux pour moi, /​Mes hommes »

Je vou­drais recom­man­der ce livre Bar­ba­ra de Claude Fèvre et Laurent Viel dans la col­lec­tion de Jean-Marc Héran, Plume & Pin­ceau, car pour les amou­reux de la dame en noir, ce sera un voyage poé­tique. Ils pour­ront sou­le­ver un à un les voiles der­rière les­quels se dis­si­mu­lait son âme. Claude Juliette Fèvre a su poser sur les épaules de la chan­teuse se pro­me­nant dans son jar­din de Pré­cy, un châle tis­sé de ses mots déli­cats. Désor­mais je sais que les chan­sons écou­tées durant notre ado­les­cence nous marquent d’un sceau indé­lé­bile, et nous façonnent comme un vase d’argile. Mon amie incarne la force et la fra­gi­li­té, elle porte en elle un héri­tage fait de sons, d’insomnies, et de soli­tude bue jusqu’au lever du jour.

Claude Juliette, et si nous allions toutes les deux à Drouot récu­pé­rer un pia­no pour le plan­ter dans les étoiles où son père pour­rait lui jouer une petite can­tate juste pour ber­cer l’enfant inconsolée….

Mer­ci de m’avoir aidée à com­prendre pour­quoi les âmes bles­sées aiment le soleil de la scène…. Pas­cale Anglès à La Magnane