Barjac m’en Chante 2017 – B. comme Fontaine (© Claude Fèvre)

Bar­jac m’en Chante 2017 – B. comme Fon­taine (© Claude Fèvre)

31 juillet 2017 – Fes­ti­val Bar­jac m’en Chante 2017

B. comme Fon­taine & Véro­nique Pes­tel en trio

Avec Her­vé Suhu­biette (chant), Lucas Lemauff (chant, pia­no), Eugé­nie Ursch (chant, violoncelle)

Véro­nique Pes­tel (pia­no, voix), Clé­ment Wurm (vio­lon), Clé­lia Bres­sat-Blum (pia­no, per­cus­sions, machines)


Cour du châ­teau – Bar­jac (Gard)

Il arrive qu’un spec­tacle, qu’un concert, voire deux nous trans­portent très au-delà du diver­tis­se­ment. Les concerts de ce soir sont de ceux-là. De ceux qui donnent un sens à la vie, à ses para­doxes. À son ombre, à sa lumière.

Les artistes sont nos miroirs et nos lan­ternes. Sans eux où irions-nous, misé­rables funam­bules sur le fil de nos exis­tences ? « Fra­giles et debout » chante une jeune Julie…

On le sait tous, l’homme est fou, écrit Claude Nou­ga­ro au bout de sa vie mou­ve­men­tée, « une vie de vertes et de pas mûres »… Com­ment faire alors ? Com­ment pour­suivre sa route, atteindre ce jar­din « d’odeurs comme en avaient les fleurs /​Que l’on avait cru dis­pa­rues »… Com­ment gagner l’espérance pour demain ?

Aus­si éloi­gnés que peuvent paraître les uni­vers de Bri­gitte Fon­taine et de Véro­nique Pes­tel, ils affrontent pour­tant ce même dilemme exis­ten­tiel. D’ailleurs ce soir c’est avec Jacques Pré­vert, avec le poème enre­gis­tré par Her­vé Suhu­biette et Lucas Lemauff que tout commence.

Ten­ta­tive de des­crip­tion d’un dîner de têtes à Paris-France. Extrait de ce cor­tège sur­réa­liste, plus sûre­ment violent pam­phlet… Ceux qui chantent en mesure /​Ceux qui brossent à reluire /​Ceux qui ont du ventre /​Ceux qui baissent les yeux /​Ceux qui savent décou­per le pou­let /​Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête…

Ce n’est pas autre chose l’univers des chan­sons de Bri­gitte Fon­taine que cette per­cep­tion d’un monde fou, frap­pa­dingue, absurde, violent. Rien ne semble aller droit. Tout va de tra­vers, les choses et les êtres. La nuit est une femme à barbe /​Venue d’Ispahan ou de Tarbes… Nous sommes des nids de pous­sière /​De lune et d’étoile polaire /​Nous sommes les fils du Phé­nix /​Égares dans la série X… C’est ce que le trio illustre avec un assem­blage de musiques, de sons qui frappent, grincent, avec des voix en chœur ou car­ré­ment déca­lées, avec cette radio, ves­tige d’une époque révo­lue, d’où sort la voix de Bri­gitte Fontaine.

« Mon mari a été exé­cu­té ce matin, j’ai pris ça très mal. Qu’est deve­nu mon sens de l’humour ? » Voi­là c’est du Bri­gitte Fon­taine. Monde à l’envers, rêve ou cau­che­mar ? Comme cette Lettre à mon­sieur le chef de gare de La Tour de Carol.

Tout ce bas­tringue donne envie de res­ter au lit. Suf­fit d’écouter toutes ces mau­vaises nou­velles du monde à la radio… Il fait froid dans le monde

Envie de res­ter cet enfant buté qui répète « Jamais » au grand qui le ques­tionne « Quand revien­dras-tu ? ». Et si Dieu existe c’est un « grand mal poli ». L’amour ? « C’est du pipeau ! » Alors où poser son regard… Sur « le tout petit brin d’herbe oublié » nous chante Bri­gitte Fon­taine qui ne ces­se­ra pas de dire sa peur et de gar­der pour­tant la soif de vivre intensément.

La vie, la vie. Un dilemme, une énigme…

Écou­tons main­te­nant Véro­nique Pes­tel dévi­der len­te­ment, au gré de ses chan­sons, sa per­cep­tion des choses de la vie. Comme tous elle s’inquiète, comme pour tous son che­min va l’amble. Par­fois l’envie de des­cendre, par­fois même devant l’immensité du cha­grin, le sen­ti­ment que l’on a éteint la lumière. Erreur de per­cep­tion ! On n’a pas éteint la lumière, elle est juste allée éclai­rer un autre, une autre. « C’est la lumière qui voyage »… Pas de rai­son de s’inquiéter, elle ne tar­de­ra pas à repas­ser par chez nous. Suf­fit de regar­der refleu­rir les roses.

Au fond, chante Véro­nique Pes­tel si déli­cieu­se­ment por­tée par les notes de son pia­no, par les arran­ge­ments de ses deux jeunes ins­tru­men­tistes, « C’est bête comme chou, cette his­toire de nous »… C’est le corps, notre corps qui sert de repère, « qui sait juste quand il est prêt ». Pour mieux nous appe­ler à cette sim­pli­ci­té, à cette confiance, la scène s’est parée de gros bou­quets de lumière bleue. Avec Véro­nique Pes­tel, on se sent capable sou­dain de dire et de chan­ter « Vaille que vaille /​Au jour le jour /​La vie m’ira ».

Il ne fau­drait sur­tout pas croire qu’elle ignore pour autant les com­bats à mener, ceux du mas­cu­lin et du fémi­nin notam­ment. Que cer­tains défaillent, sont ten­tés par des voix qui ne sont plus celles du vivant, et que le plus sou­vent c’est l’homme qui est le pire des ani­maux. C’est pour­quoi en clô­ture de cette soi­rée, elle invite en scène Her­vé Suhu­biette pour chan­ter Claude Nou­ga­ro, pour qu’on emporte en nous son cri :

Mais voi­ci que dans le silence
S’élève encore l’immense cri
Déli­vrez vous de vos démences
Crie l’éléphant, crie le cri-cri,
Crient le sel, le cris­tal, le riz,
Crient les forêts, le colibri,
Les clé­ma­tites et les pensées,
Le chien jeté dans le fossé,
La colombe cadenassée…
Enten­dez-le ce cri immense,
Ce cri, ce rejet, cette transe
Expa­triez votre souffrance
Crient les sépulcres et les nids
Assez ! Assez !
Fini.