Benoît Doremus, Hexagone 2015 (©David Desreumaux)

Benoît Doré­mus, Hexa­gone 2015 (© David Desreumaux)

6 décembre 2016 – Concert Benoît Dorémus en solo

avec Benoît Doré­mus, gui­tare – chant

Le Bijou (Toulouse)

Quand on ren­contre Benoît Doré­mus, on ima­gine tout de suite ce qui a dû plaire à Renaud pour qu’il devienne son pro­duc­teur. Une spon­ta­néi­té, un émer­veille­ment, une inno­cence accom­pagnent une gouaille dont on se demande s’il faut qu’elle soit échau­dée par la vie, ses rup­tures et dépres­sions, pour gagner en force. A 27 ans, Benoît Doré­mus, avant-der­nier d’une famille de cinq enfants, pos­sède cette chose éton­nante d’a­voir si peu lu et écou­té de musique pour savoir autant trous­ser des chan­sons. Un sens de la nar­ra­tion, de l’i­mage et de la rime sur trois accords qui font dire à cer­tains de ses aînés : on don­ne­rait tout pour avoir ton âge. Ludo­vic Per­rin pour Libé­ra­tion 23 octobre 2007

La prime « Jeu­nesse » de Benoît Dorémus 

Des ren­contres ines­pé­rées, des sou­tiens, des accé­lé­ra­teurs de car­rière comme on n’oserait même pas les ima­gi­ner en rêve, on peut dire qu’il en a Benoît Doré­mus. Chaque article qui parle de lui nous rap­pelle en effet qu’il a croi­sé sur sa route Sar­clo, Renaud qui devient même son pro­duc­teur pour quelques temps, qui va – ren­dez vous compte – jusqu’à reprendre l’une de ses chan­sons (Rien à te mettreRenan Luce et Alexis HK avec les­quels il par­tage la scène, plus récem­ment Fran­cis Cabrel… Des noms aus­si mythiques que Tara­ra­ta, Zénith, Olym­pia figurent dans sa bio­gra­phie. Et c’est pour­tant avec un finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif, cou­vert il est vrai en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, qu’il auto pro­duit son der­nier album En Tachy­car­die en début d’année… De quoi abon­der les sem­pi­ter­nels com­men­taires sur l’état du disque et de la Chanson.

Et le voi­ci ce soir seul sur la scène du Bijou un peu comme dans une soi­rée chez soi, entre potes, un peu comme lorsqu’il chante chez lui pour son « chat indul­gent » … Il en sou­rit dans ces termes là, à peine arri­vé sur la scène. Il répé­te­ra tout au long de la soi­rée ce geste, presqu’en enfan­tin, de celui qui nous signi­fie de la main que nous en fai­sons trop avec nos applau­dis­se­ments, notre joie, notre enthou­siasme, nos pieds qui frappent le plan­cher en cadence… C’est à ces gestes insi­gni­fiants que l’on s’attache – ou pas – à un artiste en scène. Ce soir, il faut le dire, nous nous sen­tons en ren­dez-vous fra­ter­nel, ami­cal avec un public sen­si­ble­ment rajeu­ni. Un public en joie qui, on le pressent, entend dans ces chan­sons là un peu de sa propre vie, de ses émo­tions et qui les consi­dère avec un brin de déri­sion. C’est là sans aucun doute la clef de ce suc­cès : des chan­sons qui par leurs sono­ri­tés, leur inter­pré­ta­tion entre pop, folk, hip-hop aus­si, leurs thèmes et leur voca­bu­laire parlent à une géné­ra­tion, est en vibra­tion avec elle… Un exis­ten­tiel résu­me­rait assez bien la sen­sa­tion d’être désac­cor­dé, la ten­ta­tion de la culpa­bi­li­té, celle des anxio­ly­tiques (Vingt mil­li­grammes)…

« Des chan­sons d’amoureux tran­si » encore, comme en 2008, quand il fut déjà pro­gram­mé au Bijou. Un prince en exil qui, dans cette vie là, peine à trou­ver sa prin­cesse, celle qui est « à perte vue », la femme de sa vie : « Je la cherche depuis tout petit /​Mais je suis presque vieux… ». Quand elle est là, à por­tée de cœur et de corps impa­tients, encore fau­drait-il qu’elle freine, qu’elle marque le stop. On est bien près d’acquiescer à son bilan : « Je ne m’y fais pas, c’est fati­guant les sen­ti­ments »… Et le plus sou­vent ils peuvent se réduire à des ono­ma­to­pées : « Aïe, ouille, oups »…Mais cha­cun de nous le sait : C’est bien pire sans… Alors on attend. On attend comme dans cette véri­table say­nète, ce dia­logue avec un pépé dans un tro­quet. Lui aus­si fixe le seuil, attend… Mais quoi ?… Alors est-ce dans les amours clan­des­tines, « blot­ti dans le noir » que l’on per­ce­vrait un goût de bon­heur (Ton petit adul­tère ) ? Ou bien dans cette offrande « Je t’offre ma peau… je suis sûr de t’aller pas mal… » quand la belle en proie au doute devant sa garde robe joue, séduc­trice, la grande scène des « hési­ta­tions tex­tiles »… déli­cieuse chan­son dont on com­prend aisé­ment le suc­cès auprès de Renaud !

Sur­tout c’est à hau­teur d’enfance qu’il chante comme s’il ne pou­vait pas s’extraire vrai­ment de ce monde per­du où il s’égare encore sou­vent, dès que des pho­to­gra­phies, des retours en famille, des sou­ve­nirs l’y ramènent inévi­ta­ble­ment. Et c’est sans doute pour une part impor­tante de son suc­cès, par­ti­cu­liè­re­ment auprès de ses pairs, Renaud le pre­mier. Il en reste des tour­nures de phrases, un voca­bu­laire, même quand il est ques­tion du maître Bras­sens dont le buste reçoit le tir rageur de boules de neige « en pleine poire »… Il faut pas­ser sa colère, sa dou­leur là même où « l’été d’avant on s’était cou­ché sur les fleurs ». On se recon­naît tous dans des chan­sons comme Je m’en rap­pelle pas, dans les envies ou ten­ta­tives de fugue ado­les­cente, « Je pleure un bon coup parce que je suis tom­bé sur moi »,  ou bien dans Lire aux chiottes. L’air de ne pas y tou­cher, Benoît Dore­mus délivre là un superbe hom­mage à la lec­ture, à la lit­té­ra­ture… même aux haï­kus quand la séance, pan­ta­lon en bas des pieds, s’avère rapide !

En somme, même s’il fait un hymne très per­son­nel de J’é­cris faux, je chante de la main gauche, même s’il se recon­naît dans la cohorte des artistes, Bêtes à cha­grin qui « cherchent tous des trucs qu’ils n’auront jamais »  Benoît Doré­mus dis­tille des chan­sons aux cou­leurs du temps qui est le nôtre, le vôtre, sans for­cer le trait dans la noir­ceur, avec l’élégance d’un style fami­lier. C’est sans nul doute dans la proxi­mi­té d’une petite salle comme Le Bijou, dans cette sim­pli­ci­té et cette authen­ti­ci­té de l’échange, que l’on en prend toute la dimension.