Canal des Mélodies – 2019 (© Claude Fèvre)

Canal des Mélo­dies – 2019 (© Claude Fèvre)

8 jan­vier 2019, Concert soli­daire pour le Canal du Midi orga­ni­sé par le Rota­ry Club de L’Union-Saint-Jean.

Voyage sur les traces de Claude Nougaro

Avec

Archi­pels (Ate­lier vocal des Elé­ments) sous la direc­tion de Claire Suhu­biette, avec Lucas Lemauff (pia­no, voix), Fré­dé­ric Cava­lin (per­cus­sions) Her­vé Suhu­biette (pia­no, voix arrangements)


Audi­to­rium Saint-Pierre-des-Cui­sines (Tou­louse)

L’in­té­gra­li­té des béné­fices sera rever­sée à Voies navi­gables de France dans le cadre du pro­jet de replan­ta­tion du canal du Midi.

« La recons­truc­tion du pay­sage du canal du Midi conti­nue ! Pour rem­pla­cer les pla­tanes du canal du Midi détruits par le chancre colo­ré, Voies Navi­gables de France a déjà replan­té 8 000 arbres sur les berges du canal. Ce sont 2 500 arbres sup­plé­men­taires qui seront replan­tés cet hiver : des chênes che­ve­lus, des tilleuls à grandes feuilles, des mico­cou­liers… De nom­breuses com­munes sont concer­nées le long du canal » Eve­lyne San­chis (Voies Navi­gables de France)- Dépêche du Midi

Canal des Mélodies

C’était une bien jolie soi­rée. L’un de ces ren­dez-vous – presque une tra­di­tion – qui rap­pellent que la chan­son, par­mi ses mille et une fonc­tions dans nos vies, est une pré­cieuse pas­se­relle de fra­ter­ni­té, de soli­da­ri­té. Régu­liè­re­ment, on en appelle à cette fonc­tion- porte voix de com­bats soli­daires- sans le moindre risque d’échec. De Sol en Si en Enfoi­rés, de Chan­teurs sans Fron­tières en Funam­bules, « chan­sons d’amour pour tous »… La voi­ci aujourd’hui convo­quée pour plan­ter des arbres…

A Tou­louse, qui mieux que Claude Nou­ga­ro pou­vait por­ter artis­ti­que­ment, mais aus­si sym­bo­li­que­ment, un tel pro­jet ? Lui dont la Mai­son, le musée-homme, la péniche Sanc­ta­nox, attend sage­ment sur l’eau du Canal du midi que s’achèvent les tra­vaux d’aménagement… Lui qui, en 1975, por­ta dans sa voix unique les mots de la Lettre ouverte de Julos Beau­carne dans son album Femmes et Famines : « Il faut reboi­ser l’âme humaine. Je res­te­rai sur le pont, je res­te­rai un jar­di­nier, je culti­ve­rai mes plantes de lan­gage… » Lui qui aima tant les arbres et chante Langue de Bois… 

Très concrè­te­ment, le Canal du Midi, patri­moine de l’Unesco, est en souf­france… Ses pres­ti­gieux et véné­rables pla­tanes sont malades… Il faut plan­ter, replan­ter… Cet hiver on est à l’œuvre sur ses berges avec des mil­liers de plants.

Pour sou­te­nir ce vaste com­bat qui prend – je le répète – valeur de sym­bole sur cette Terre si mal-menée, Claire Suhu­biette et son cou­sin Her­vé pour les arran­ge­ments mènent avec l’enthousiasme, l’ardeur qu’on leur connaît les cho­ristes du chœur Archi­pels. Quinze chan­sons de Claude Nou­ga­ro, pas tou­jours les plus connues, même si le final sera pour l’immense et incon­tour­nable Tou­louse. Une ver­sion par­ti­cu­liè­re­ment émou­vante, sous les hautes voûtes de St Pierre- des- Cui­sines avec Her­vé Suhu­biette au chant lead. On rap­pel­le­ra au pas­sage qu’avec le groupe Pul­ci­nel­la, il avait jadis offert de remar­quables re-créa­tions de chan­sons de Claude Nou­ga­ro, dont une inédite, Dans les bras de l’ours qu’il reprend avec le chœur ce soir. Un temps fort de ce concert.

On savoure tout au long les poly­pho­nies por­tées par le pia­no alerte, joyeux, dan­sant de Lucas Lemauff et les per­cus­sions sub­tiles de Fré­dé­ric Caval­lin. On aime la diver­si­té des arran­ge­ments, les voix prin­ci­pales de Lucas ou d’Hervé, les formes res­treintes du chœur, par­fois huit a capel­la pour Dan­sez sur moi, ou trois pour une ver­sion douce de Bidon­ville, la musique de Baden Powel inter­pré­tée alors au Hang par un cho­riste… On aime la ver­sion du Coq et la Pen­dule, et la musique de Michel Legrand, celle de L’aspirateur et la musique de Jean-Claude Van­nier,  qui nous rap­pelle le goût de Claude Nou­ga­ro pour les mots dits et son spec­tacle Fables de ma Fon­taine, celle du Cueilleur de Cailloux et la touche appor­tée à ce poème par le facé­tieux jon­gleur de mots, de sons, André Min­vielle. On aime encore l’infinie légè­re­té des balais du per­cus­sion­niste effleu­rant la caisse claire dans la Ber­ceuse à pépé, les deux voix de sopranes dans La danse « Petits chats, petits rats avec nos frêles os /​Nous allions à l’é­cole de danse /​A la barre de chêne se pliaient les roseaux /​De nos corps amou­reux de cadences », la voix d’Hervé dans Mar­tia Mar­tienne, l’hommage de Claude à son orga­niste Eddy Louiss

Au fond, on pour­rait juste dire que ce concert, le chœur Archi­pels, les musi­ciens, nous a offert un savou­reux panel de trou­vailles tex­tuelles et musi­cales à la hau­teur de l’œuvre que nous laisse Claude Nou­ga­ro. Diverse, chan­geante, ouverte sur toutes sortes de col­la­bo­ra­tions, comme autant d’amitiés. Ouverte sur la vie : « Moi, je des­sine sur les murs gris /​C’est ça ma vie, c’est ça ma vie /​Des mots, des monstres, des Jésus-Christ /​C’est ça ma vie, c’est ça ma vie »…

Pour conclure et reve­nir au pro­pos ini­tial, aux arbres du Canal du midi, voi­ci la lettre que Jean Gio­no écri­vit au Conser­va­teur des Eaux et Forêts de Digne, en 1957, au sujet de sa nou­velle L’homme qui plan­tait des arbres

« Cher Mon­sieur,

Navré de vous déce­voir, mais Elzéard Bouf­fier est un per­son­nage inven­té. Le but était de faire aimer l’arbre ou plus exac­te­ment faire aimer à plan­ter des arbres (ce qui est depuis tou­jours une de mes idées les plus chères). Or si j’en juge par le résul­tat, le but a été atteint par ce per­son­nage ima­gi­naire. Le texte que vous avez lu dans Trees and Life a été tra­duit en danois, fin­lan­dais, sué­dois, nor­vé­gien, anglais, alle­mand, russe, tché­co­slo­vaque, hon­grois, espa­gnol, ita­lien, yddisch, polo­nais. J’ai don­né mes droits gra­tui­te­ment pour toutes les repro­duc­tions. Un Amé­ri­cain est venu me voir der­niè­re­ment pour me deman­der l’autorisation de faire tirer ce texte à 100 000 exem­plaires pour les répandre gra­tui­te­ment en Amé­rique (ce que j’ai bien enten­du accep­té). L’Université de Zagreb en fait une tra­duc­tion en you­go­slave. C’est un de mes textes dont je suis le plus fier. Il ne me rap­porte pas un cen­time et c’est pour­quoi il accom­plit ce pour quoi il a été écrit. J’aimerais vous ren­con­trer, s’il vous est pos­sible, pour par­ler pré­ci­sé­ment de l’utilisation pra­tique de ce texte. Je crois qu’il est temps qu’on fasse une « poli­tique de l’arbre » bien que le mot poli­tique semble bien mal adapté.

Très cor­dia­le­ment. » Jean Giono