Dis, Émilie Perrin, pourquoi tu chantes ? (© Claude Fèvre)

Émi­lie Per­rin (© Claude Fèvre)

8 janvier 2016 – Région[S] en scène, rencontre avec Émilie Perrin (La Reine des Aveugles)

Daumazan-sur-Arize (Ariège)

Dans le brou­ha­ha d’une fin de concert, dans le bal­let vibrion­nant des tech­ni­ciens qui rangent, démontent, Émi­lie Per­rin, autre­ment dit La Reine des aveugles, me reçoit dans sa loge. Moment sus­pen­du de conni­vence. L’occasion de retra­cer une bonne dizaine d’années puisque nous nous connais­sons depuis 2003, du temps de la pre­mière édi­tion de Festiv’Art à Foix en Ariège.

En ce temps-là

En duo avec Nico­las Dimier, elle com­mence juste à croire à ce qui devien­dra dix ans durant leur Duo Par­leur. C’était des débuts un peu « potaches », confie Émi­lie qui n’a rien oublié de ce moment-là où le pro­pos était sur­tout de rire. De tout, d’eux, de nous, pauvres humains, dans le sillage de Tachan, Font & Val, Per­ret, tous ceux que Nico­las affec­tion­nait particulièrement.

Émi­lie, elle, aime l’écriture, sur­tout l’écriture, et c’est Allain Leprest qui est alors son repère. Elle est comé­dienne au théâtre Sora­no de Tou­louse, elle sert le texte. Elle se dit « tex­to cen­trée », et l’on peut s’en éton­ner quand on l’entend chan­ter et s’aventurer dans des hau­teurs vertigineuses !

« Chanter ? Vous n’y pensez pas, je chante faux ! »

Du moins c’est ce qu’elle croit dur comme fer Émi­lie avant que Fran­ces­ca Sol­le­ville, bonne fée, ne lui démontre le contraire à l’occasion d’un stage. Et voi­là, c’est là que tout com­mence. Elle dit encore aujourd’hui que son métier c’est comé­dienne. Elle l’exerce tou­jours et notam­ment dans la trans­mis­sion, char­gée de cours au conser­va­toire, à Tou­louse et à Nar­bonne. Elle est émue par les ado­les­cents. En tout cas ils lui ont ins­pi­ré l’une de ses meilleures chan­sons, c’est indé­niable ! Notons que c’est aus­si pour elle le moyen de se déli­vrer des angoisses de l’intermittence, de sa comp­ta­bi­li­té exi­geante et si peu com­pa­tible avec les nobles ver­tus de la création.

Le projet d’Émilie : Je me vois pas

Aujourd’hui, Nico­las et Émi­lie déve­loppent leur pro­jet Chan­son cha­cun de leur côté. Pour Émi­lie c’est La Reine des aveugles qu’elle pré­sente en trio aujourd’hui encou­ra­gée par Phi­lippe Pagès, fidèle d’entre les fidèles à ses côtés. Dans quelques jours, le 29 jan­vier, dans le cadre de Détours de Chant, elle fête­ra la sor­tie de l’album au Cha­peau Rouge. Et la voi­là qui sublime un coup dur de la vie : d’une demi-céci­té, elle crée son per­son­nage, ce per­son­nage qu’elle enri­chit peu à peu d’une réflexion nour­rie de phi­lo­so­phie, de mytho­lo­gie grecque. La voi­là reine qui chante. Elle cherche encore son cos­tume, de plus en plus épu­ré. N’allez sur­tout pas ima­gi­ner que l’on baigne dans la tra­gé­die et la noir­ceur. Point s’en faut ! Émi­lie a le talent de la déri­sion, de la satire, de la chute (libre s’entend !) dans ce qu’elle nous des­sine de la vie pas tou­jours rose. La pirouette des der­niers mots nous dis­pense de trop nous émou­voir. Et même si l’on sent émer­ger ici et là des ques­tions exis­ten­tielles qui font mouche car on s’aime, plus sûre­ment « on sème sur cette terre des bouts de soi, mais ça ne repousse pas ! », la Reine des aveugles nous ramène tou­jours à la scène, au jeu (notre chro­nique en juin 2014). Et nous voi­ci à échan­ger sur son per­son­nage qu’elle ne veut sur­tout pas entraî­ner du côté d’un fémi­nisme étri­qué, ou pire, agres­sif ! Tous ceux qui lui font ce reproche se trompent. Que ce soit dit !

Nous par­lons de Baroque, de cette capa­ci­té à lais­ser libre cours à l’imaginaire, de la poé­tesse aveugle Angèle Van­nier, auteur d’Otages de la nuit dis­pa­rue en 1980, que j’ai eu la chance de ren­con­trer et qui m’a lais­sé le sou­ve­nir de sa lumière inté­rieure. Elle parle de son livre de che­vet du moment, de l’auteur chi­nois, Bi Feiyu, consa­cré aux aveugles… Et nous finis­sons en nous remé­mo­rant ce concert inou­bliable de la comé­dienne Norah Krief, chan­tant les son­nets de Sha­kes­peare. C’est à ce concert-là que j’ai pen­sé en voyant Émi­lie dans son cor­set et dans son jeu de rockeuse et c’est pré­ci­sé­ment ce qu’elle veut faire.

Ren­contre vraiment.

Alors, Émilie, pourquoi tu chantes ?

C’est parce que c’est là son espace de liber­té et de plai­sir, celui d’un enfant mali­cieux en com­pli­ci­té avec le public. Elle rap­pelle l’apport irrem­pla­çable des concerts à domi­cile, ceux de Chan­tons sous les Toits dont on a par­lé récem­ment. C’est ce plai­sir-là qu’il faut par­ve­nir à trans­po­ser sur un pla­teau : un ins­tant de bon­heur à par­ta­ger avec le public. Sans frontières.

Quelques liens -

Le site de la Reine des aveugles, c’est là ; et mes autres articles sur Émi­lie Per­rin sont là !