Jofroi –Habiter la terre - 2018 (©Samuel Fontayne)

Jofroi –Habi­ter la terre – 2018 (©Samuel Fontayne)

26 décembre 2018, Jofroi nou­vel album

Habi­ter la terre 

Avec

Jofroi (paroles et musiques), arran­ge­ments, direc­tion musi­cale Line Adam (pia­no, flûte tra­ver­sière, accor­déon) Yves Bai­bay (bat­te­rie), Alain Rinal­lo (basse), Guy Wer­ner (gui­tares), Alain Meu­le­mans (vio­lon), Lau­re­nece Gene­vois (alto), Pau­line Leblond (trom­pette), Auré­lie Gou­daer (chœurs)


L’homme vous regarde droit dans les yeux avec un très léger sou­rire dans sa barbe gri­son­nante ; il parle avec les mains ; il vous attend, sur le banc, devant sa porte. L’homme regarde la terre, la mer, le ciel, dans sa mémoire aus­si, ceux qui sont par­tis et lui ont lais­sé traces d’amour. Il lui arrive d’en faire des chan­sons. Car l’homme joue de la gui­tare, l’homme chante et raconte… Cet homme c’est Jofroi et c’est cadeau que d’écouter son der­nier opus fait de ten­dresse pour l’humaine condi­tion, d’espérance, de ques­tions aussi.

Alors, tout natu­rel­le­ment on s’installe dans le silence, on écoute, on déguste ces chan­sons qui ras­surent. Car elles font inévi­ta­ble­ment écho à notre monde inté­rieur, à nos secondes sus­pen­dues entre hier et demain. On se sent proche, très proche de ces mots là, choi­sis, qui vous arrivent comme au fil d’une conver­sa­tion bien­veillante avec un « pas­sa­ger ordinaire ».

Le cha­hut du « monde à l’envers » n’est pas loin certes. On sait bien tout ce qui nous sépare du rêve qui ouvre l’album, « Mêler nos prin­temps, nos hivers /​Et nos his­toires sin­gu­lières », mais qu’il est doux et apai­sant d’y son­ger. Sim­ple­ment son­ger à ce « petit royaume /​Sans major­dome /​Chez lui … même si notre his­toire paraît déri­soire » comme le disent les mots de la der­nière chan­son de l’album, signés Julos Beau­carne. Celui qui n’a ces­sé de vou­loir reboi­ser l’âme humaine avec sa poé­sie, même au pire de sa vie.

La gui­tare, fidèle com­pagne de Jofroi, s’est entou­rée d’instruments qui caressent, taquinent, qui cara­colent de valses en rythmes jaz­zy. On note la pré­sence sin­gu­lière de la flûte tra­ver­sière qui s’immisce, joueuse, mutine dans Pique-nique ou La ferme à Gas­ton. On aime aus­si que la musique fasse silence pour lais­ser place au flux et reflux des vagues quand Jofroi raconte « L’homme qui vou­lait peindre la mer », artiste en quête obs­ti­née de verts, et de bleus sur­tout… Jofroi, lui, n’a –t‑il pas choi­si les mots comme matière vivante ain­si qu’il le dit en ouver­ture du livret ? « Cise­ler, affû­ter, aigui­ser comme des lames de cou­teaux, polir, peau­fi­ner comme des bijoux, comme des joyaux, comme des cadeaux… ! » Et sans cesse reprendre la mer pour, de sa barque, sai­sir l’insaisissable…

Car Jofroi dans cet album rend hom­mage à l’éphémère, à l’impalpable, au fugi­tif, à l’indicible, à ce « petit air, Un air qu’on fredonne/​Sans en avoir l’air… » C’est aus­si léger qu’une chan­son. Et ça dure juste le temps de le dire : l’oiseau qui sort de sa coquille, l’enfant qui pousse son pre­mier cri, la pierre qui roule, la vague sur le sable… Le cri rauque des oies sau­vages dans le ciel, l’envol gauche du han­ne­ton, le mimo­sa, le jas­min au jar­din, comme livre ouvert sur le prin­temps naissant…

C’est pour­quoi sans cesse le chan­teur se remet à l’ouvrage, comme le peintre traque sans fin le bleu… Il arrête ain­si le temps – le temps d’une chan­son ! – pour dire la beau­té d’une terre quelque part, ber­ceau de deux vies pai­sibles, où poussent rosiers, lavan­din, lau­riers et gly­cines. Pour chan­ter la vie qui va, celle de nos petites filles en allée, pour ques­tion­ner le ciel qui reste obs­ti­né­ment muet. Pour dire la résis­tance à « la jalou­sie, aux quo­li­bets, la méchan­ce­té » quand on s’appelle « Dries et Tin », dans La ferme à Gas­ton… Pour saluer les mes­sages de bout du monde ou de tout près, les « cour­riers dési­rables »… Une chan­son qui fait rimer aro­base avec « J’ai dans le cœur une petite case »…

Cet album de Jofroi récon­ci­lie la légè­re­té avec la pro­fon­deur, avec les ques­tions essen­tielles, exis­ten­tielles. Le temps qui passe, sa course sans fin, avec l’écriture qui empri­sonne les mots, « Comme des oiseaux malins qui vien­draient battre des ailes sur le bord de nos lèvres » pour en faire des chan­sons, des poèmes.

Bel hom­mage en somme aux poètes, aux fai­seurs de rimes qui défient les « beaux par­leurs, phra­seurs, flat­teurs, prê­cheurs »…

« Heu­reu­se­ment y a des chan­sons et des poèmes qui sim­ple­ment trouvent les mots pour dire Je t’aime. »