Omar Hasan (©Valérie Mazarguil)

Omar Hasan (©Valé­rie Mazarguil)

18 juin 2021, 1ère édi­tion du Grand Maul, J 2

Rug­by, lit­té­ra­ture et autres rebonds artistiques 

Avec,

Jean-Claude Barens (direc­tion artistique) 

Espace Le Grand Maul

La librai­rie Le vent Délire et les édi­tions Pas­si­flore : Librai­rie du rug­by – Jean-Pierre Ber­to­mère : ins­tal­la­tion sonore « Ves­tiaire » – Isa­belle Pica­rel : pho­to­gra­phies – Clau­dine Cop et Jean-Michel Lafon, pein­tures – Musée d’Aquitaine : prêt de l’exposition « Le rug­by c’est un monde »

J2

Dos mun­dos y una bici­cle­ta, docu­men­taire de Chris­tophe Vindis

Café Tan­go,  Omar Hasan(chant), Gré­go­ry Dal­tin (accor­déon, arran­ge­ments), Romain Lapeyre (vio­lon­celle) 


Espace Felix Arnau­din, St-Paul-lès-Dax (Landes)

Pour sa deuxième jour­née, Le Grand Maul pro­pose un voyage loin de nos terres de Gas­cogne. La pro­gram­ma­tion de Jean-Claude Barens nous trans­porte en Argen­tine, au pays des Pumas, équipe natio­nale au maillot rayé bleu et blanc, où le rug­by est popu­laire depuis son intro­duc­tion par les Bri­tan­niques au début des années 1870. Seule­ment voi­là, popu­laire certes, mais réser­vé aux classes aisées de la société.

Le film docu­men­taire de Chris­tophe Vin­dis, Dos mun­dos y una bici­cle­ta, choi­sit de nous tra­cer l’histoire et les com­bats d’un club argen­tin unique, le Vir­reyes Rug­by Social Club qui s’adresse aux gar­çons pauvres de Bue­nos-Aires avec l’espoir de les arra­cher à leur misère. Dès les pre­mières images, un tra­vel­ling nous emmène dans les quar­tiers misé­reux de la capi­tale, dans ses rues aux mai­sons qui tiennent à peine debout, où les enfants jouent au milieu des fer­railles, des voi­tures rouillées, quand ils ne sont pas sou­mis au ramas­sage des déchets des nan­tis, quand ils ne rejoignent pas la cohorte des « Cartoneros » …

Au moment d’accéder au quar­tier rési­den­tiel où réside l’homme, avo­cat de son état, entraî­neur des moins de 17 ans du club, ardent mili­tant des valeurs de soli­da­ri­té, de res­pect, on aper­çoit came­ra de sur­veillance et hommes en armes…

« Dos mun­dos », deux mondes, « ceux qui peuvent, ceux qui ne peuvent pas. Ceux de là-bas, ceux d’ici »…

Et c’est bien cette fron­tière que le pro­jet du club veut par­ve­nir à ébran­ler. Pour le moins amoin­drir la dis­tance. Peu à peu nous péné­trons sur le ter­rain avec ces jeunes et leurs entraî­neurs et nous sommes émus de les voir faire les mêmes gestes que les jeunes rug­by­men de chez nous, d’entendre le même dis­cours des éducateurs.

Y aurait-il donc une por­tée uni­ver­selle dans la pra­tique et l’enseignement du rugby ?

Bien­tôt deux visages d’adolescents vont se déta­cher. D’abord celui d’Emanuel, qui rêve de faire des études de droit pour extraire sa famille à la pau­vre­té, qui a la pas­sion du rug­by qu’il ne connais­sait pas. Il la jus­ti­fie sim­ple­ment avec ces mots : « J’aime la façon dont on me traite ». Plus tard, celui de Mar­co qui, bien qu’appartenant à une classe aisée, a fait le choix de rejoindre les Vir­reyes, dont il est deve­nu capi­taine. C’est son père qui sou­ligne ses qua­li­tés humaines, sa géné­ro­si­té dont il fait preuve en offrant un vélo à son ami et coéqui­pier Ema­nuel, contraint de faire une longue route à pied pour venir au ter­rain : « Dos mun­dos y una bici­cle­ta. »

A cette belle image de leur équi­page sur le vélo, l’un trans­por­tant l’autre sur le gui­don dans les rues de la ville, on pour­rait ajou­ter une série de scènes atta­chantes : le com­bat de Cris­ti­na, mère sans tra­vail puis ramas­sant avec son fils les bou­teilles en plas­tique, au prix de longues marches par­fois vaines, le net­toyage du ter­rain de 13 ha offert par la muni­ci­pa­li­té où siè­ge­ra le « club house », espace essen­tiel à l’éducation d’après match, l’homme qui gonfle les bal­lons et rêve de deve­nir le concierge, les séances de sou­tien sco­laire et les 70 pesos/​mois alloués à chaque gar­çon pour qu’il n’abandonne sur­tout pas ses études, la fête de la fin de sai­son avec 500 gamins, leurs mères expri­mant, par­fois avec des larmes, les pro­grès de leur fils autant à la mai­son qu’en classe et puis, enfin le match de la vic­toire ! « Ici on est en train de réus­sir, on est en train d’arriver à quelque chose… » exprime l’entraîneur.

Après ce film d’espérance, le spec­tacle Café tan­go de l’argentin Omar Hasan, avec ses amis Gré­go­ry Dal­tin à l’accordéon et aux arran­ge­ments et Romain Lapeyre au vio­lon­celle, offre une éton­nante illus­tra­tion de ce que peuvent la rigueur, le tra­vail, la confiance en soi et en son des­tin. Toutes valeurs qu’essaie d’inculquer Vir­reyes Rug­by Social Club.

Omar Hasan, Inter­na­tio­nal de rug­by dans son pays, puis expa­trié comme pilier (Sou­ve­nez-vous ce qu’en disait hier Oli­vier de Robert… un « tendre » donc !) en Nou­velle-Zélande puis en Aus­tra­lie, finit par arri­ver en France, Auch dans le Gers. Très vite il évo­lue­ra au sein de l’équipe d’Agen et enfin de celle de Tou­louse dont on connaît le brillant par­cours en coupe d’Europe comme en cham­pion­nat de France. C’est en 2008 qu’il rac­croche les cram­pons, enfin pas tota­le­ment, puisqu’il devient consul­tant, spé­cia­liste de la mêlée, dans un sou­ci de transmission…

Alors que vient faire le chant ? C’est que l’homme a plu­sieurs pas­sions, le rug­by certes, mais aus­si le chant qu’il pra­tique tôt, et l’agronomie à laquelle il reste éga­le­ment atta­ché. Encore rug­by­man pro­fes­sion­nel, il s’attache à sa for­ma­tion de bary­ton et bien­tôt vou­dra se consa­crer tota­le­ment à sa car­rière artis­tique, d’abord des pièces d’opéra (Pur­cell, Ravel, Rameau, Offen­bach) et main­te­nant dans un registre plus léger, plus proche aus­si sans doute des spec­ta­teurs et de sa propre his­toire, avec son trio Café tan­go… C’est ain­si qu’il renoue avec la culture de son pays : le tan­go, cette musique et ce chant de son enfance.

Ce soir il ne ces­se­ra de dire sa joie d’être reve­nu à la scène ren­dant hom­mage d’abord à Claude Nou­ga­ro avec Vie vio­lence en ouver­ture « La terre et l’eau /​L’air et le feu /​Forment un com­plot /​Ça saute aux yeux ». Superbe entrée à matière où vio­lon­celle et accor­déon trou­ve­raient matière à nous faire dan­ser. Alter­ne­ront le lan­gage de la dou­leur, sur­tout celle d’aimer, la mélan­co­lie et la joie, avec Car­los Gar­del, Astor Piaz­zol­la, Omar Sosa… On ver­ra Omar le Bary­ton se livrer à des inter­pré­ta­tions théâ­tra­li­sées, de tra­gé­die en comé­die. Il lais­se­ra un court moment le tan­go pour la valse avec Que nadie sepa mi sufrir, deve­nu après le suc­cès de la ver­sion fran­çaise (La Foule) Amor de mis amores, com­po­sée en 1936 par Ángel Cabral sur des paroles d’Enrique Dizeo. Il nous offri­ra le célèbre Besame mucho, res­sus­ci­te­ra Luis Maria­no avec Gra­na­da, belle occa­sion de mimer le matador.

Il n’y a pas à dou­ter, Omar jubile dans ce spec­tacle qu’il clôt sur une note comique avec « un tapage venu d’une île sus­cep­tible », le Tan­go corse

On se plaît à ter­mi­ner en tis­sant le lien entre la scène et le rug­by grâce à l’une de ses phrases pro­non­cées pour la quo­ti­dien Le monde, en octobre 2015 : « Là, je suis vrai­ment en pre­mière ligne, expo­sé comme le serait un buteur ou un talon­neur quand il lance le bal­lon lors des touches. »

La boucle est bou­clée : il n’y a donc pas si loin du ter­rain de rug­by à la scène. Jean-Claude Barens avait bien rai­son d’en faire le pari !