Les Coups de Pousses de Détours de Chant, Quand la Chanson tient promesse

Fes­ti­val Détours de Chant 19e Coups de Pousses (© gra­phisme Del­phine Fabro)

1er février 2020 – 19e Détours de Chant, ren­dez-vous découverte

Les Coups de Pousses

Avec, par ordre de pas­sage :
Coren­tin Grel­lier (gui­tare, voix), HYL (rap « Schi­zé­clec­tique »), Soley­nia (gui­tare, harpe, cajon, voix… et danse), Pierre-Antoine (pia­no, voix), Suzanne Léo /​Suzanne Belaubre (cla­viers, pop électro)


Le Bijou (Tou­louse)

La Chan­son n’en finit pas de nous sur­prendre et c’est tant mieux… Elle s’immisce dans tous les espaces que lui pro­posent les mots et les sons. Elle est à l’affût de toutes les modes et se moque bien de nos pré­fé­rences. Bien malin celui qui pré­ten­drait l’enfermer dans des codes et des cases… Les pro­gram­ma­teurs du fes­ti­val Détours de Chant le savent évi­dem­ment et leur col­lec­tif le sou­ligne en orga­ni­sant cette jour­née de décou­vertes éclectiques.

Qua­rante minutes sont offertes à cinq artistes régio­naux et c’est un jury de lycéens de 1ère du Lycée St Ser­nin, accom­pa­gnés de leur pro­fes­seur de musique – et d’une grille d’évaluation rigou­reuse ! – qui désigne l’artiste pro­gram­mé au 20ème Détours de Chant, en 2021. On sou­li­gne­ra tou­te­fois que le véri­table enjeu n’est pas seule­ment là. Cette jour­née ras­semble un bon nombre de dif­fu­seurs de la région et met un éclai­rage impor­tant sur des pro­jets en émergence.

La longue suite de concerts com­mence avec Coren­tin Grel­lier, dont nous sui­vons fidè­le­ment le par­cours. Seul avec sa gui­tare, dans un mini­ma­lisme qu’il est bon de sou­li­gner, il revient nous émou­voir avec des textes déli­ca­te­ment ouvrés, des chan­sons d’errance inté­rieure. Elles ont la saveur et la cou­leur des sen­ti­ments les plus intimes et les plus bou­le­ver­sants. Se des­sine avec lui un vague à l’âme où l’on aime s’attarder, quand bien même la dou­leur, le doute et l’absence res­te­raient en fili­grane… Un pay­sage aux teintes pas­tel… Une plage aban­don­née, plu­tôt une fin d’hiver ou un prin­temps nais­sant, le mou­ve­ment des vagues y berce l’âme… Voi­là, c’est un moment de concert où l’on pour­rait dire avec l’auteur : « Tout se mélange… J’ai mal et si bien… »

Le pro­jet Hyl – qu’il faut pro­non­cer, en épe­lant, H.Y.L. – a tôt fait de vous arra­cher à la beau­té du vague à l’âme de Coren­tin Grel­lier… Hyl, avec sa voix proche de celle de Grand Corps Malade, lau­réat du der­nier Prix d’écriture Claude Nou­ga­ro, a de quoi sur­prendre et séduire. Sa pre­mière appa­ri­tion – son pre­mier per­son­nage, « Excla­ma­tion » – cas­quette à l’envers de rigueur, short et tunique en tis­su baya­dère qui donnent à rire, pro­clame le droit à la bonne humeur dans un rap dont on ne sai­sit que des bribes. Son mou­ve­ment d’essuie –glace sur la petite scène nous donne le tour­nis ! Et sur­tout impos­sible de suivre son débit… Assu­ré­ment nous man­quons d’entraînement mais nous en rions bien volon­tiers. Le deuxième per­son­nage, « Sus­pen­sion », dans un cos­tume sombre et chic, net­te­ment plus calme, se campe droit der­rière le pied de micro. Il ôte même la cas­quette, c’est dire ! C’est à ce moment là qu’il inter­prète le texte inti­tu­lé Bruits qui lui a valu son prix sur cette scène, quelques mois plus tôt et l’on com­prend pour­quoi… Enfin, le troi­sième per­son­nage, « Inter­ro­ga­tion », tout habillé de blanc, capuche sur la tête, est un ner­veux, un agres­sif. Il dit sa rage… et de nou­veau nous per­dons le fil du texte ! Quand s’achève, entre théâtre et rap, la pres­ta­tion, inven­tive et cha­leu­reuse d’un incon­tes­table « per­for­mer », capable de mettre le public debout, on se dit alors que Hyl a de fortes chances de plaire aux jeunes lycéens…

Avec le troi­sième groupe, Soley­nia, c’est un voyage qui nous attend. Au cours du chan­ge­ment de pla­teau nous avons le temps d’observer les tenues his­pa­ni­santes des deux sœurs, leurs ins­tru­ments, cajon, gui­tare et sur­tout harpe cel­tique. Les réfé­rences à l’ailleurs ne man­que­ront pas en effet au cours de leur pres­ta­tion… Et ce n’est pas pour nous déplaire, nous aimons le dépay­se­ment, la fusion des genres. Mais on finit par s’y perdre un peu, comme on se perd aus­si dans leur chant, leur danse, les cho­ré­gra­phies de leurs bras… Par­fois, on aime­rait qu’elles cessent leurs effets… Effets de voix, effets de gestes, d’habillage musi­cal, rajou­tant au texte qui pour­rait por­ter seul l’émotion, comme elles le firent en repre­nant Les gens qui doutent d’Anne Syl­vestre. Leur incon­tes­table talent vocal nous rap­pelle tan­tôt le gos­pel, tan­tôt l’orient, tan­tôt les chan­teuses amé­ri­caines des années d’après-guerre… On pense au tra­vail de Chris­ti­na Ros­mi­ni, de Sages comme des sau­vages

On ne dira rien de la pause repas, pour­tant riche en échanges, com­men­taires, pour en venir à Pierre-Antoine qui entre en scène, guille­ret, dans une tenue des années 30, pan­ta­lon à rayures et à bre­telles… On avoue­ra d’emblée avoir été sous le charme de ce pia­niste –chan­tant. Bien sûr, il ne manque pas d’astuces pour gagner notre sym­pa­thie et se moque volon­tiers de lui-même. Alors on peut lui repro­cher son cabo­ti­nage qui n’est pas sans rap­pe­ler celui d’une cer­tain Manu Galure, qu’il cite d’ailleurs. Il a visi­ble­ment pris le par­ti de sou­rire, de nous rame­ner au devoir de savou­rer l’instant, de ne pas s’appesantir sur nos dou­leurs… Il suit en cela le lyon­nais Jean-Marc Le Bihan dis­pa­ru récem­ment et dont il lit un texte en ouver­ture avant de chan­ter « Ne sers pas d’alcool à tes ombres… » Pour­tant, il trempe sa plume dans notre actua­li­té brû­lante : nos obli­ga­tions vis‑à ‑vis de notre vieille Terre, la ten­ta­tion – ou le besoin ? – de révolte, l’amour pour sa petite patrie – en l’occurrence le Tarn – l’hommage à Char­lie, la défense de la femme meur­trie… Son pia­no l’escorte, sau­tillant, enga­geant… Et pour­tant il garde un petit quelque chose du pas­sé… Tout à la fois Bécaud, Tre­net, Hige­lin… Citons aus­si Cyril Romo­li, comé­dien, musi­cien, chan­teur qui bon­dit aujourd’hui de comé­die musi­cale en comé­die musi­cale… Pierre-Antoine pour­rait sans aucun doute le suivre sur cette voie là…

Cette séquence s’achève avec le pro­jet pop élec­tro de Suzanne Belaubre /​Suzanne Léo, ren­con­trée sur cette même scène en 2012, pri­mée au prix d’écriture Claude Nou­ga­ro, puis revue sous le nom seul de « Suzanne »… Cette errance sur son nom tra­duit une recherche qui ne semble pas avoir ces­sé si l’on en croit cette pres­ta­tion assez décou­sue. En 2015, nous avions sou­li­gné déjà une ten­dance à l’hermétisme, à la com­plexi­té de l’écriture… Quand elle aborde la ques­tion du « far­deau de l’écriture » on est bien près de la croire ! Étran­ge­ment, en début de concert elle se moque de sa tenue scin­tillante et colo­rée, puis semble tou­jours pré­oc­cu­pée de la tech­no­lo­gie qu’elle s’impose. Le malaise et la fatigue nous gagnent. Les téné­breuses chan­sons ne peuvent rien, hélas, contre cette réalité.

Et que pen­sez-vous que firent nos lycéens musiciens ?

Ils éli­ront Pierre-Antoine ! Celui qui chante et valse « Mais que la vie est douce… »