Lève ton vers- Jules & Jules 2019 (©Le Bijou)

Lève ton vers- Jules & Jules 2019 (©Le Bijou)

4 au 7 Juin 2019, Fes­ti­val du Bijou 

Lève ton vers #3

Avec

Jour 1 Les « Bijou­tiers » : Benoît Hau, Boloc, Cla­ra San­chez, Fran­çois Dorem­bus, Luc Tal­lieu, Mar­cel Capelle,Michèle Müh­le­mann, Pierre Antoine.

Jour 2 & 3 : Jules (et un petit bout de son Vilain Orches­tra, Mathieu Debordes) et Jules Nec­tar.

Jour 2 à 9 heures au bar : Jérôme Pinel dans les « Mono­logues d’un code-barres »

Jour 4 : Jérôme Pinel, Matéo Lan­glois et Chouf dans Renaud, Récréa­tion libertaire


Le Bijou (Tou­louse)

Lève ton vers, c’est un ren­dez-vous qui donne à aimer davan­tage encore le Bijou et les ren­dez-vous inso­lites qu’il invente régu­liè­re­ment. Ces ren­dez-vous là, il nous serait dif­fi­cile de les man­quer. Dans leur esprit, leur inten­tion de mettre en exergue la créa­tion et le par­tage. De toute évi­dence, le fes­ti­val Lève ton vers n’a pas encore défi­ni­ti­ve­ment trou­vé sa forme, son calen­drier… et son public ! Rai­son de plus pour en par­ler. On aime la prise de risque, le spec­tacle qui se cherche, s’invente avec la com­pli­ci­té des spec­ta­teurs… On aime que tout ne soit pas figé, arrê­té, que les cœurs s’animent. On aime l’idée de per­for­mance artistique.

Le pre­mier soir c’est un groupe de joyeux lurons – le plus sou­vent chan­teurs aguer­ris de la région tou­lou­saine – qui s’emparent de la scène avec pia­no, accor­déon, gui­tares pour l’une de ces « Bijou­tières » reve­nues enchan­ter le public curieux du Bijou. Une tra­di­tion qui avait dis­pa­ru : se réunir pour créer des chan­sons sur un thème. Ce soir, c’est Manu Galure qui, de son tour de France à pied et en chan­sons, a lan­cé : « Le corps lycra » ! Visi­ble­ment il en fal­lait davan­tage pour mettre nos chan­teurs en mal d’inspiration et pour assé­cher les plumes. Ils déboulent sur scène en spor­tifs colo­rés, donnent le ton de la soi­rée : ce soir on va s’amuser ! Prêts pour la joie du par­tage. Car tout est là, même si au pas­sage, on peut sur­tout se réjouir de voir la chan­son aus­si vivante.

Le len­de­main, nous atten­dions avec forte impa­tience la ren­contre de deux uni­vers. Les deux chan­teurs Jules et Jules Nec­tar ne se connais­saient pas vrai­ment 48 heures avant. Ils relèvent le défi de construire en quelques heures un concert. Une jour­née seule­ment de véri­table pré­pa­ra­tion. Cette fois-ci le défi est d’autant plus grand que le prin­cipe sui­vra celui du nou­veau spec­tacle de Jules et son orchestre : le Jules Box, un spec­tacle inter­ac­tif à par­tir du patri­moine de nos chan­sons de 1950 à nos jours. Les deux Jules en auront une qua­ran­taine à dis­po­si­tion, arran­gée à leur sauce avec force effets de pia­no jazz (un régal ce Mathieu Debordes !) et quan­ti­té de petites per­cus­sions. Une liste de thèmes, for­mu­lés à par­tir de 18 titres de chan­sons, est dis­tri­buée à l’entrée. Chaque thème, choi­si par le public, donne lieu à une chan­son inter­pré­tée par cha­cun des Jules… Vous suivez ?

Bien enten­du, dans ce concept de spec­tacle inter­ac­tif, pas ques­tion de ména­ger ses effets, de construire en amont l’enchaînement des chan­sons. Et cette pre­mière soi­rée démarre sur les cha­peaux de roue avec Je marche seul de Jean-Jacques Gold­man (On ne peut faire mieux !) et Les yeux du soir de Jules Nec­tar, pour répondre au thème sug­gé­ré par La Balade Jim. On enten­dra avec délec­ta­tion Jules Nec­tar chan­ter Le papa du papa de Bob­by Lapointe, ou Le zizi de Pierre Per­ret (de vraies per­for­mances !) mais aus­si Jules, seul au pia­no, tout en déli­ca­tesse, chan­tant la soli­tude… Moment de grâce. On aime­ra beau­coup le bugle de Mathieu Debordes don­nant une nou­velle cou­leur à la chan­son Fer­mer les yeux de Jules Nec­tar… Des duos s’improvisent. On se sou­vien­dra de la chan­son de Tho­mas Fer­sen, Louise, ou celle de Céline Dion, Pour que tu m’aimes encore

Le len­de­main matin, à l’heure du petit noir au comp­toir, pas ques­tion de man­quer Jérôme Pinel dans Les mono­logues d’un code-barres. Un mono­logue théâ­tral assez loin de la chan­son et même du slam dans lequel Jérôme brille au point d’avoir rem­por­té en mai la pre­mière place à la Coupe du Monde de Slam de Poé­sie ! Por­té, sou­te­nu par Pas­cal et Emma Chau­vet – et comme on les com­prend !- il ira por­ter ses mono­logues à Avi­gnon… Une autre aven­ture que celle de ce « mer­ca­to » du spec­tacle vivant… Il faut avoir enten­du, vu ce comé­dien, cet auteur qui débarque avec ses per­son­nages ban­croches. Avec sa dégaine de pauvre hère comme nous en croi­sons beau­coup sur nos trot­toirs, déboulent les mots, leur force, leur chair, leur impact émo­tion­nel. En un mot, la poé­sie … Et ça vous prend au ventre à chaque fois. Jérôme Pinel, décou­vert en 2011 dans son pro­jet Strange Enquête, à l’issue d’une for­ma­tion comme Tou­louse en pro­pose en début de cur­sus, reste infailli­ble­ment pour nous une secousse…

Le ven­dre­di soir c’était au tour de Renaud de mettre en mou­ve­ment la nos­tal­gie… Nous assis­tions pour la deuxième fois à cette créa­tion, Renaud récréa­tion liber­taire où se retrouvent pour assem­bler leur approche si dif­fé­rente, Jérôme Pinel, Matéo Lan­glois et Chouf. Le concert com­mence en force, avec Crève salope, a capel­la, en bord de scène. On ne peut être plus clair sur l’intention. Il s’agit bien de réveiller le Renaud pam­phlé­taire, har­gneux par­fois, tendre aus­si, savou­reux poète qui marie avec brio la fami­lia­ri­té et la méta­phore poé­tique… Celui qui sut chan­ter aux cœurs de plu­sieurs géné­ra­tions, à com­men­cer par celle des parents de ceux que nous voyons en scène. Il s‘agit bien, sans aucune contes­ta­tion pos­sible d’un patri­moine. Certes, on ne bou­de­ra pas notre plai­sir d’entendre non seule­ment des chan­sons mais aus­si des textes lus. Impos­sible alors de ne pas pen­ser à l’excellent spec­tacle de Fran­çois Gaillard, Fré­dé­ric Bobin et Laurent Bois­se­ry à la lec­ture des textes parus dans Char­lie Heb­do de 1994 à 1996. Mais ce soir, faute sûre­ment d’un tra­vail suf­fi­sant, les trois chan­teurs res­tent emprun­tés et cer­tains choix gâchent le plai­sir, comme les voix enfan­tines dans Pour­quoi d’abord, mal­gré l’incontestable apport de Matéo Lan­glois au pia­no, au beat-box ou au saxo­phone. C’était aus­si un vrai plai­sir de voir Chouf le rejoindre à la trom­pette. Mais sans doute l’un des meilleurs moments du concert fut-il le texte de Jérôme Pinel évo­quant trois fans de Renaud. En somme, si ce concert est une ren­contre éphé­mère, le plai­sir est évident. S’il doit connaître d’autres pro­gram­ma­tions, il néces­site un temps de construc­tion et d’harmonisation.

Ce que Lève ton vers #3, nous a rap­pe­lé, c’est que le spec­ta­teur reste le par­te­naire incon­tour­nable. On en revient au pro­pos limi­naire. Nous aimons la fra­gi­li­té et l’authenticité des ren­contres éphé­mères. Mais il en va autre­ment si le spec­tacle doit s’installer dans la durée. Nous le regar­dons alors, et l’apprécions, différemment.