Mehdi Krüger – Seuls les vivants ont raison – Vox Scriba 2019 (© Claude Fèvre)

Meh­di Krü­ger, Seuls les vivants ont rai­son – Vox Scri­ba 2019 (© Claude Fèvre)

du 7 au 10 juin 2019 – Seuls les vivants ont raison

L’association La voix du Scribe et son Festi’Scrib reçoivent Meh­di Krü­ger
à l’occasion de la sor­tie de son livre aux Edi­tions Vox Scriba

Avec

Meh­di Krü­ger (voix), accom­pa­gné par Ostax (gui­tare élec­trique)
Invi­tés : Zédrine, Myth’R, Bap­tiste Dale­man Ana­tole Schoef­fler (gui­tares, voix), « Mes des­sins du dimanche » d’Eric Guille­ton et le spec­tacle jeune public Festi’magique par l’association Chuch’N’Co 


Relais de Poche à Ver­niolle – Salle des fêtes de Banat – Grotte de Lom­brives
Point Soleil à Orno­lac (Ariège)

Nous sommes trans­por­tés au cœur du cœur de ce coin d’Occitanie où peuvent se croi­ser des uni­vers que l’on ima­gi­ne­rait dis­tants. Dans l’un de ces ter­ri­toires pro­té­gés des rumeurs du monde. Comme un abri, un havre.

Y venir le temps d’un week-end pro­lon­gé, c’est de l’ordre du mys­tique. Enfin presque… Et pour­tant, faire coïn­ci­der l’organisation d’un évé­ne­ment aus­si peu connu et recon­nu que ce Festi’Scrib, avec la sor­tie d’un livre aus­si pro­fon­dé­ment bou­le­ver­sant que celui de Meh­di Krü­ger, ardent défen­seur de l’oralité, c’est de l’ordre du miracle ! Lais­sons- nous croire un ins­tant que les fron­tières s’abolissent et que les cœurs peuvent battre à l’unisson.

De miracle, en réa­li­té, il n’y en a pas. C’est juste, comme par­tout, quand s’érige l’impossible par la volon­té, l’énergie de quelques humains dif­fé­rents. Juste un peu plus cou­ra­geux, un peu plus ima­gi­na­tifs, un peu plus amou­reux de la vie que le plus grand nombre. Ici c’est l’association La voix du Scribe qui est à l’œuvre et nous sommes en Ariège où deux fois l’an, à l’automne et au prin­temps, elle offre ain­si un espace pro­té­gé de ren­contres autour des mots. A la fin de l’été ce sont les Esti­vades poé­tiques, salon de la poé­sie et soi­rée de spec­tacles dans la ville de Taras­con-sur-Ariège, au confluent de l’Ariège et du Vicdessos.

C’est aus­si dans ce coin d’Ariège que se trouvent les Edi­tions Vox Scri­ba que porte avec l’humanisme qui la carac­té­rise, Flo­rence Cor­tès. Ouverte à toute forme d’écriture elle pra­tique au quo­ti­dien l’aide et le conseil. Membre du jury du Prix Georges Mous­ta­ki, en 2018 elle décide de don­ner du sens à sa par­ti­ci­pa­tion en pro­po­sant d’offrir à un fina­liste choi­si par l’association, le prix du Scribe. Voi­ci donc que paraît, à l’occasion de ce Festi’Scrib de prin­temps, le prix remis à Meh­di Krü­ger : Seuls les vivants ont rai­son dans la col­lec­tion Prix Georges Mous­ta­ki qu’il inaugure.

La cou­ver­ture, une pho­to­gra­phie signée Cédric Nöt (pho­to­graphe atti­tré du Pic d’Or à Tarbes) est sai­sis­sante : un buste nu aux prises à des mains qui s’y agrippent, à des ongles qui s’enfoncent dans la chair. L’émotion appel­le­ra sans aucun doute bien des com­men­taires et cha­cun, cha­cune en fera inévi­ta­ble­ment sa lec­ture. L’intensité qui s’en dégage, le réa­lisme de la peau, des veines gon­flées nous rap­pellent la repré­sen­ta­tion sculp­tu­rale des corps dans la sta­tuaire baroque, d’un Ber­nin par exemple, dans l’« enlè­ve­ment de Per­sé­phone par Hadès ». Nous aimons croire à l’allusion… Un corps qui résiste aux pul­sions mor­ti­fères, une chair vivante qui s’oppose aux pro­fon­deurs des Enfers… La chair des mots ? « Peau-Aime » écri­vit un jour Claude Nou­ga­ro, autre fervent défen­seur de l’oralité.

Car, Meh­di Krü­ger, en pro­pos limi­naires de son livre pro­clame : « les mots ont été le moyen d’assembler les pièces de mon puzzle. » Ils ont été fina­le­ment le sens même de sa vie, ils émergent de son rap­port avec elle, en tout lieu, tout ins­tant. « Nomade pro­fes­sion­nel », il s’en délivre en scène. Par quatre fois, en quatre lieux dif­fé­rents – au Relais de Poche de Ver­niolle, à la salle des fêtes de Banat, dans la grotte de Lom­brives, au Point Soleil d’Ornolac – au cours de ces jour­nées de ce Festi’Scrib, la voix du poète, son corps souple et félin, la gui­tare élec­trique d’Ostax, tous ses effets, de la dou­ceur à la pul­sion d’un cri, ont pro­duit leur effet hyp­no­tique, ensor­ce­lant. Com­ment tra­duire ce que nous avons vécu dans la grotte de Lom­brives, la plus vaste d’Europe – abri mag­da­lé­nien, cathare, pro­tes­tant – dans cette cathé­drale immense de pierre brute, originelle ?

Alors, c’est presque une inco­hé­rence que d’enfermer les mots dans un livre. C’est pour le moins un para­doxe pour celui qui écrit : « Je ne lis pas de poé­sie ». Car il se pro­clame avant tout et pour tout, défen­seur de l’oralité.

Ce pre­mier livre de Meh­di Krü­ger est le fruit de ren­contres avec d’autres explo­ra­tions artis­tiques. En « réso­nance », en écho avec le ciné­ma et en par­tage avec son ami Denis Rivet (Memen­to Roma). Avec la danse d’Abdou N’Gom (Nos mou­ve­ments inces­sants). Avec la musique (Les Sept Pre­mières Paroles de L’Homme) et le Qua­tuor Debus­sy… A chaque fois c’est un nou­veau défi pour celui qui se dit « en quête inlas­sable de grands plongeoirs ».

Pour mieux en sai­sir la sub­stan­ti­fique moelle, il fau­dra bien sûr lire à voix haute, ou se faire lire à voix haute ces textes… Ce qui nous semble aller de pair avec toute forme de poé­sie. Tant il est vrai qu’elle nait des sono­ri­tés des mots, de leur musique intrin­sèque et des effets pro­duits par leur alliance. Un texte poé­tique sur une page est une par­ti­tion qui reste à orches­trer, tout comme le texte de théâtre attend d’être joué, dit, mis en scène…

Impos­sible bien sûr de lire ces trois textes sans entendre réson­ner en soi la voix du poète, sans ima­gi­ner le mou­ve­ment de son corps d’avant en arrière, sans voir ses bras des­si­ner des vagues d’émotion, sans voir ses mains se tendre vers nous. Né du slam, la poé­sie de Med­hi Krü­ger en a dépas­sé les fron­tières. Elle s’en est affran­chie. Et si l’on aime à la qua­li­fier d’urbaine c’est parce qu’elle jaillit du vivant des villes, de ses pul­sions, de ses frac­tures. Et pour­tant, pen­dant que « le vaste monde pour­suit sa course folle », le poète Meh­di Krü­ger ne cesse d’écouter le vent, de regar­der le ciel, de ten­ter de s’arracher au poids de son corps, à son ani­ma­li­té, aux cris de sa voix inté­rieure, « la jungle qui est en soi ».

Sa poé­sie, ces mots ailés qui passent la bar­rière de ses dents – selon cette for­mule homé­rique qui revient sou­vent, réfé­rence ô com­bien essen­tielle – reste une quête de l’impossible étoile.

Pou­voir dire enfin :

Je n’aurai plus jamais soif

Je n’aurai plus jamais froid
je n’aurai plus jamais

Peur (Cin­quième parole in Les Sept Pre­mières Paroles de L’Homme)