Liz Cherhal–L’Alliance– 2018 (©François Guillement)

Liz Che­rhal – L’Alliance, 2018 (© Fran­çois Guillement)

2 mars 2018 – Sor­tie du nou­vel album de Liz Che­rhal

L’Alliance

Avec
Liz Che­rhal (paroles, musiques, chant), Mor­van Prat (arran­ge­ments, musique de 4 titres, basse, gui­tare & pro­gram­ma­tion), Thier­ry Joseph (pia­no), GaëlleSébas­tien Christ­mann (vio­lons), Ber­trand Nabou­let (alto), Fran­çois Gos­set (vio­lon­celle)

Réa­li­sa­tion de Mor­van Prat


Dans la tour­née – sa « tour­née labo­ra­toire » des Caf’’conc’ de l’automne der­nier, en duo avec Mor­van Prat NDLD -, il y a un centre mater­nel Croix Rouge. Parce que depuis quelques temps, j’ai rejoint le col­lec­tif « Des Liens » de Domi­nique A. On pro­pose d’al­ler jouer dans des endroits qui ne sont pas des salles de concerts, pour un public qui habi­tuel­le­ment ne va pas aux concerts. Le Centre Mater­nel Croix Rouge de Nantes, c’est un endroit où vivent des femmes, soit elles sont enceintes, soit elles viennent d’a­voir leur bébé, mais elles sont tel­le­ment iso­lées qu’elles n’arrivent pas à s’en occu­per. Elles vivent ensemble dans ce centre et bien évi­dem­ment, leur pré­oc­cu­pa­tion pre­mière n’est pas de sor­tir voir un concert. Nous, on va aller jouer pour elles début octobre dans leur centre. Comme ça, elles n’ont pas besoin de sor­tir et elles peuvent avoir leur bébé sur les genoux, on ne met­tra pas trop fort…
Liz Che­rhal en inter­view (lien)

La culture n’est pas un luxe, mais une nécessité…

Voi­ci donc un nou­vel album de Liz Che­rhal, qui porte un bien joli nom : L’Alliance. On observe ses deux L comme deux che­mins paral­lèles des­si­nés à la main que l’on retrouve blancs sur fond noir, ornant la qua­trième de cou­ver­ture de la jaquette.

Deux voies, deux des­tins, deux vies qui vont si proches mais jamais confon­dues. L’alliance.

On entend les sono­ri­tés du mot, la dou­ceur des liquides, leur pro­fon­deur aus­si et l’espérance qu’il évoque. Cet album c’est d’abord un objet tout de noir et blanc. Les pho­tos de la chan­teuse sont autant de por­traits d’une jeune femme simple, che­veux libres, mi-longs, buste fier, regard franc. Et large sou­rire aus­si, au milieu du livret, quand elle par­tage la pho­to­gra­phie avec Mor­van Prat. En cou­ver­ture, elle le regarde inten­sé­ment, main gauche se per­dant négli­gem­ment dans sa che­ve­lure, visage incli­né, bouche entrou­verte sur un dia­logue. Lui, on l’aperçoit légè­re­ment flou de dos. Le mes­sage est clair, ces deux là sont liés pour la réa­li­sa­tion de cet album comme pour le pré­cé­dent. Pour sûr, cette alliance là suit son cours.

Dès le pre­mier titre, J’ai mar­ché, tant mar­ché, le ton nous est don­né. L’atmosphère sonore sera réso­lu­ment d’aujourd’hui en s’accordant la com­bi­nai­son sub­tile de l’électro, de la gui­tare élec­trique et de la basse, du pia­no et d’un qua­tuor à cordes. Cette pre­mière chan­son est tout entière consa­crée à cette énigme de la mater­ni­té pour laquelle on vou­drait nous pré­tendre pro­gram­mées et qui nous laisse désar­mées, avec la sen­sa­tion de ne rien contrô­ler ou pas grand-chose. « La roue infer­nale est lan­cée, je peux pas recu­ler /​A cette vitesse, demain soir, je décro­che­rai la balan­çoire… » Et que dire quand il faut affron­ter le regard de l’enfant « par­ta­gé  deux mai­sons pour gran­dir » ? Le plus sou­vent si l’on a de la peine on n’en montre rien, Pas que je pleure. Comme dans cette his­toire tra­gique, « Le choc, le stop, le frein … » Et tou­jours cette ques­tion lan­ci­nante : « Mais qu’est ce qui peut se pas­ser dans la tête d’un gamin ? »

Cette « alliance » là, on peut d’ailleurs choi­sir de s’en échap­per, d’y renon­cer. Volon­taire aborde cette dou­lou­reuse étape de la vie ordi­naire d’une femme… « La déci­sion de l’interruption des bour­geons… Le sang et les sanglots…La peur des bour­geois… » Et sur­tout, sur­tout l’affreuse soli­tude ! On note­ra à cette occa­sion que Liz Che­rhal écrit ses chan­sons comme autant de nota­tions, d’impressions, à rebours d’une écri­ture qui se vou­drait « poé­tique ». Ce sont des mots et des sen­sa­tions par­fois tel­le­ment dépouillées qu’elles en sont plus dou­lou­reu­se­ment sen­ties, per­çues, par­ta­gées. Bien enten­du on retien­dra à ce titre Hija, l’histoire de cette enfant de Colom­bie adop­tée et toutes les ques­tions qu’elle porte en elle… L’alliance, la dif­fé­rence ? Mais sur­tout la ful­gu­rance du titre Sau­vage et l’éclatante pro­fé­ra­tion de l’indicible… Celle des femmes qui en déran­geant sou­dain l’ordre éta­bli, deviennent un sym­bole sans l’avoir vou­lu. Des­tin de femmes vio­len­tées qui en arrivent au meurtre : Alexan­dra Lange, Jac­que­line Sau­vage

On l’aura donc com­pris les chan­sons de Liz Che­rhal plonge dans la chair des mots, dans le vif du vécu des femmes, dans les moments de doute, de refus, de choix. Bien sûr on aura com­pris qu’il est autant ques­tion d’alliance que de més-alliance ou de dés-alliance… Par­fois pour soi Je crois que je vais par­tir, mots que l’on pro­nonce une nuit sans som­meil… Par­fois pour l’amie, J’aimais mieux quand c’était toi… Bien sûr on sait que la vie nous entraîne, qu’après la sépa­ra­tion, vient une nou­velle alliance, La recom­po­si­tion même si on garde la sen­sa­tion d’« avan­cer à tâtons…dans le brouillard ». C’est du bon­heur à por­tée de mains…Alors on y croit « Pour le meilleur et le meilleur »… Pour­quoi pas ?

Par­tir, ou res­ter quand le « besoin de res­pi­rer plus fort » se fait sen­tir… On ne sera pas éton­né que l’album s’achève sur Vibrante que l’on vou­drait pou­voir dédi­ca­cer à toutes les femmes aux­quelles une jour­née sym­bo­lique, le 8 mars, est consacrée :

« Et si moi, je chan­geais ma loi /​Étant seule maître de mes choix /​Au som­met de ma pyra­mide /​Sau­ter dans le vide sau­ter dans le vide /​avide
Je suis entière, je suis vibrante »

Pour chaque femme « Comme une seconde nais­sance /​Les yeux enfin ouverts ». Une nou­velle alliance ? Avec soi ? Avec l’Autre ?