LOU CASA, Barbara & Brel, Castelginest, 2021 (©Claude Fèvre)

LOU CASA, Bar­ba­ra & Brel, Cas­tel­gi­nest, 2021 (©Claude Fèvre)

16 octobre 2021, LOU CASA  

Bar­ba­ra & Brel, Des échanges, de pré­sences et d’absences

Avec

Marc Casa (chant, per­cus­sions) Julien Ael­lion (basse élec­trique, chœurs) Sté­phane Gas­quet (pia­no, orgue, tom bass, chœurs)


Salle poly­va­lente – Cas­tel­gi­nest (Haute-Garonne)

Tous les pas­sants s’en sont allés

Mais toi, plus têtue que la pierre, 

Tu n’as pas quit­té la rivière 

Ni la col­line aux fleurs de Mai.

Tu gardes le feu et la table, 

La rose et le sirop d’érable,

Comme au temps des très lourds secrets (Bar­ba­ra)

***

Sui­vez-nous dans cette vaste salle poly­va­lente de Cas­tel­gi­nest, en péri­phé­rie de Tou­louse. Pre­nez place. Quand s’achèvent les mots de bien­ve­nue de mon­sieur de Maire, fer­mez un ins­tant les yeux pour écou­ter, dans l’obscurité et le silence retrou­vés, les voix mêlées de Jacques Brel et Bar­ba­ra… Comme un dia­logue d’outre-tombe… Ils sont là, tout près, quand arrivent dans la semi-obs­cu­ri­té les deux musi­ciens. Côté cour les cla­viers, côté jar­din la basse. La longue sil­houette de Marc Casa se glisse alors der­rière son micro entou­ré de per­cus­sions. C’est avec un tam­bour d’orage qu’il com­mence. L’archet glisse dou­ce­ment sur les cordes de la basse, quelques notes de pia­no s’égrènent, puis les maillets à tête de feutre vien­dront à peine tou­cher les cym­bales, le tom bass. C’est alors que la chan­son de Bar­ba­ra, Tous les pas­sants nous par­vient comme une confi­dence, presque un mur­mure. Voi­là, vous y êtes…

Tout ce concert qui mêle les chan­sons de Brel et Bar­ba­ra se dérou­le­ra avec cette même déli­ca­tesse, ces nuances, ce res­pect des absents et de leur œuvre gigan­tesque… C’est comme si Marc Casa et ses musi­ciens n’avaient sur­tout pas vou­lu être impu­diques, pré­somp­tueux, sur­tout pas effa­rou­cher. Il fal­lait inter­pré­ter ces chan­sons en s’y glis­sant avec sa propre sen­si­bi­li­té, son his­toire, et avec des sons nouveaux.

Il faut avoir vu Marc Casa esquis­ser la marche lente der­rière le cor­billard de Fer­nand, l’écouter dans ce lourd cha­grin sans bruit dans Paris qui dort encore, sous la pluie, « on dirait Ber­lin »… On est avec lui, on le croit quand il pro­met : « Tu sais je revien­drai sou­vent… » Le miracle de la chan­son opère. Nous sommes cet homme, lourd de larmes rete­nues… La troi­sième chan­son nous convainc défi­ni­ti­ve­ment de la beau­té et de la force de l’interprétation avec Mathilde, ce com­bat amou­reux « Mon coeur, mon cœur ne t’emballe pas /​Fais comme si tu ne savais pas … » cette lutte « Mes bras ne vous ouvrez pas », les poings du chan­teur se serrent,  et cette chute, cet aban­don à la pas­sion amou­reuse, les bras lar­ge­ment ouverts… Coup sur les cym­bales. Noir pla­teau. A cette sou­mis­sion chez Jacques Brel, répond la fuite étrange, l’abandon de la chan­son de Bar­ba­ra « C’est parce que je t’aime que je pré­fère m’en aller … » L’accompagnement est alors mini­ma­liste. Un ins­tant de grâce qui s’achève dans un souffle.

Ce temps d’invitation aux émo­tions intenses est sui­vi d’un échange avec le public. Temps de res­pi­ra­tion, de légè­re­té, bien venu. Marc Casa s’avance tout près du public, révé­lant alors sa capa­ci­té à entrer en com­mu­ni­ca­tion fra­ter­nelle, bien­veillante avec nous, spec­ta­teurs. Il nous invite, non sans humour, à chan­ter le refrain de La chan­son des vieux amants. C’est beau cette salle qui chante en chœur, c’est beau ce dépla­ce­ment final du chan­teur auprès du pia­niste qu’il tient affec­tueu­se­ment par les épaules. Et que dire de notre joie à par­ti­ci­per à Vesoul, sans accor­déon pour cette fois ? Cette par­tie consa­crée aux amours tumul­tueuses, s’achève sur un retour à leur part obs­cure que sou­ligne le tam­bour d’orage pour une tra­gé­die, celle de L’amoureuse de Barbara.

Dans un deuxième temps, c’est la voix de Jacques Brel évo­quant l’amitié forte pour des hommes qui sert de pré­am­bule à Jojo, « Six pieds sous terre tu n’es pas mort », sui­vi de La petite Can­tate de Bar­ba­ra, dédiée à Liliane Benel­li, pia­niste de l’Ecluse, que Marc Casa vient chan­ter en devant de scène, sans sono­ri­sa­tion. S’ensuit alors un temps fort du concert où Marc Casa emprunte aux Mémoires Inter­rom­pus les mots de Bar­ba­ra, le sou­ve­nir d’un moment en bord de mer à Tel-Aviv, six ans après la dis­pa­ri­tion de Brel :

« Je me mis à pen­ser à Jacques. Ce n’était pas qu’il fût mort qui me révol­tait le plus. Mais qu’il ne vît plus ni la mer ni le ciel… » Et cette conclu­sion : « Tu es tou­jours pré­sent. Je ris avec toi. »

Le rire de Jacques « en cas­cade, en tor­rent » dit la chan­son qui suit, Gau­guin, sous-titrée Lettre à Jacques Brel. Un moment fort qui ne sau­rait mieux dire ce lien qui unis­sait ces deux êtres d’exception.

Le concert pro­pre­ment dit s’achève sur des chan­sons de com­bat, des chan­sons où Bar­ba­ra, comme Brel ne peuvent pas­ser outre la néces­si­té d’un appel au réveil des consciences : le bou­le­ver­sant Per­lim­pin­pin qui nous fit décou­vrir Lou Casa en 2016 un jour de concours, puis Jau­rès – comme un rap­pel néces­saire à la jeu­nesse des vies de com­bats, de luttes de ceux qui s’en sont allés – enfin Au Sui­vant, chan­son à laquelle le trio imprime une toute nou­velle dimension.

Enfin, le long temps consa­cré au « rap­pel » sera l’occasion de sou­li­gner que Bar­ba­ra com­men­ça par inter­pré­ter Brel, comme aujourd’hui Lou Casa les reprend… Le trio entonne alors Sur la place, et l’image de ce grand corps de Marc Casa qui danse, l’élégant geste final nous res­tent en mémoire. Sui­vra Je ne sais pas où plane la mélan­co­lie du port et de la gare d’Amsterdam, la dou­leur d’un amour mort, comme en écho à la marche du début du concert « Je ne sais pas pour­quoi ces rues /​S’ouvrent devant moi une à une /​Vierges et froides, froides et nues /​Rien que mes pas et pas de lune… ». Il n’y a pas d’amour heu­reux sou­ligne encore ce va-et-vient et cette conni­vence entre les auteurs, Ara­gon, Bras­sens, Bar­ba­ra… Mon enfance, cette confi­dence intime de Bar­ba­ra une fois encore nous émeut pro­fon­dé­ment, Marc Casa lui impri­mant une dou­ceur et une ten­dresse ineffables…

Pour finir Marc Casa s’installe sur les marches qui mènent à la scène, tout près du public, pour révé­ler une chan­son de sa com­po­si­tion, une chan­son où l’amour s’attarde sur le corps de la bien-aimée, avec un sen­ti­ment d’extrême fra­gi­li­té : « Je t’aime encore et encore mais pour com­bien de temps… »

Devant l’insistance des applau­dis­se­ments du public – et peut-être aus­si pour retar­der le moment de la sépa­ra­tion, du départ – le trio revient une ultime fois pour inter­pré­ter Nantes dans la lumière bleue de la scène…

L’amour dans tous ses états n’en finit pas de s’échanger, de se chanter …