Magyd Cherfi –30 ans du Bijou – 2019  (© Le Bijou )

Magyd Cher­fi –30 ans du Bijou – 2019 (© Le Bijou )

11 avril 2019, Concert pour les 30 ans du Bijou

Magyd Cher­fi

Avec

Magyd Cher­fi (Lec­ture, Chant) Samir Laroche (Pia­no)

Etienne Cho­quet (Gui­tare, chœurs)


Le Bijou  (Tou­louse)

« Ce livre [Ma part de Gau­lois publié chez Actes Sud] et le disque Caté­go­rie reine ont ouvert un nou­veau cha­pitre, sans mana­ger, sans label et avec crow­fun­ding », confie-t-il. Un nou­veau cha­pitre dont de belles pages s’é­cri­ront trois soirs durant au Bijou, là où tout a commencé…

« J’a­dore le Bijou, qui res­semble à un caba­ret, en inti­mi­té avec le public. Cela me plaît, on peut impro­vi­ser. Ce lieu est d’ailleurs si petit que je suis sûr que ceux qui pren­dront leur place seront le der­nier car­ré des fidèles ! Je vais lire et chan­ter, uti­li­ser des extraits de mes livres comme intro­duc­tions de mes chan­sons – et comme je choi­sis les meilleurs pas­sages, ils sont crous­tillants. J’ai réduit la voi­lure, avec ce rêve que j’ai depuis tou­jours de jouer de la manière la plus intime : la gui­ta­riste acous­tique d’E­tienne Cho­quet et le pia­no de Samir Laroche. Un best-of en livre musi­cal !». La Dépêche du Midi

J’a­dore l’am­biance cabaret

Lec­ture musi­cale, petite for­ma­tion ins­tru­men­tale, gui­tare et pia­no, Magyd Cher­fi appa­raît sur la scène du Bijou comme un copain, un frère qui vien­drait par­ti­ci­per à de franches retrou­vailles… Retrou­vailles d’abord avec une scène, un lieu qui accueillit il y a trente ans un groupe du nom de Zeb­da, des gars du Nord de Tou­louse, du quar­tier des Izards. C’était le 15 février 1990 pour les décou­vertes du Prin­temps de Bourges nous pré­cise à l’entrée Pas­cal Chau­vet, sin­gu­liè­re­ment fier et ému… Il y a de quoi ! Pour le troi­sième soir, un public conquis, impa­tient et cha­leu­reux – mul­ti-géné­ra­tion­nel notons-le – est venu saluer l’artiste qui, par l’écriture, est allé bien au-delà de l’immense suc­cès du groupe qui le fit connaître.

Pour que les retrou­vailles soient authen­tiques les lumières de la salle res­tent allu­mées. Pas ques­tion de dres­ser le moindre obs­tacle entre nous ! En quelques pages choi­sies, savou­reuses, il nous prend à témoin de [sa] part de Gau­lois, son récit colo­ré, de ses émo­tions et de ses dénon­cia­tions impli­cites, mais tou­jours dans la gaî­té. Il nous demande d’être là, bien pré­sents, enga­gés avec lui. Il inter­pelle cer­tains d’entre nous qu’il recon­naît, à com­men­cer par sa sœur au pre­mier rang. Il est chez lui ce soir sur cette scène du Bijou. A plu­sieurs reprises il des­cend par­mi nous et ne cesse de s’avancer corps ten­du vers nous. Ce corps qui dit autant que les mots, ce corps qui fini­ra même par se déhan­cher en ondu­la­tions orien­tales, par dan­ser. Ces mains qui pointent du doigt, dénoncent, des­sinent des ara­besques dans l’air, envoient des bai­sers… et dis­tri­buent des œufs en cho­co­lat ! Ces mains qui miment les coups aussi…

Peu à peu, au fil du concert, entre le texte qu’il lit à la petite table ronde au centre de la scène, et les chan­sons de son album Caté­go­rie reine qui le ponc­tuent, l’illustrent, comme autant de tableaux vivants, se des­sine son enfance dans sa cité, « plu­tôt un zoo puisqu’on se don­nait des noms d’oiseaux ». L’enfance d’un petit gars dif­fé­rent des autres qui se débat dans un monde sans conces­sion, dému­ni de mots et bru­tal. Son inno­cence l’y condamne car son amour des mots et sa réus­site à l’école le dénoncent aux regards de ses pairs qui « ne sont pas des pédés », eux !

Ce spec­tacle, entre texte lu et chan­sons, est un fabu­leux hom­mage ren­du aux mots et une constante réflexion sur le lan­gage. Outre que son écri­ture est savou­reuse, que sa voix, son accent des­sinent à eux seuls tout un monde pris entre deux terres ori­gi­nelles, « des deux côtés de la mer », qu’il joue lui-même de ses into­na­tions, il accorde aux mots et à la com­plexi­té de leur mes­sage la pre­mière place.

Bien enten­du il ne s’agit pas d’un dis­cours d’érudit, mais ses chan­sons et ses livres pour­raient très bien abon­der une étude lin­guis­tique. On pense sou­dain à une courte fic­tion de Ray­mond Jean, titrée La ligne 12 (Seuil, 1981), où un tra­vailleur émi­gré se retrouve devant un tri­bu­nal dont il ne com­prend pas un mot, accu­sé d’une acte qu’il n’a pas com­mis… Magyd Cher­fi raconte lui aus­si le poids des mots, pour son père qui n’avait jamais droit au vou­voie­ment, pour sa mère, pour lui, petit bam­bin amou­reux de la belle langue, qui ne parle pas comme tout le monde et qui le paie cher. Les anec­dotes fusent, elles nous font sou­rire fran­che­ment mais on devine aisé­ment la dou­lou­reuse réa­li­té, « les bosses à l’intérieur ».

Cet anni­ver­saire au Bijou nous vaut aus­si de décou­vrir davan­tage cet homme là, chan­teur, écri­vain, d’aimer son authen­tique géné­ro­si­té, celle qu’il accorde notam­ment aux femmes, sa mère d’abord, figure tuté­laire essen­tielle – celle qui parle un « fran­çais à la scie sau­teuse », celle qui répond inévi­ta­ble­ment Inch ‘Allah peut-être mais qui signi­fie « non »… « Allez croire en Dieu après ça » ! – « les filles d’en face » qui lui font peur, qu’une armée de fran­gins, cou­sins, voi­sins pro­tègent de l’on ne sait quoi, qui « pré­fèrent une tarte dans la gueule à un poème d’Eluard » qui « subissent le tri­bu­nal des cour­sives »… Magyd leur consacre une chan­son réso­lu­ment fémi­niste, Ayo, trans­crip­tion de leur cri lorsqu’elles reçoivent une claque.

Géné­reux, joyeux certes, Magyd Cher­fi, mais aus­si inquiet et bien déci­dé à nous le dire au moment de nous quit­ter. Il envoie un signal fort en ter­mi­nant sa lec­ture musi­cale par la chan­son Le pont du Car­rou­sel, en hom­mage à Bra­him Boua­ram, vic­time d’« un coup d’épaule de trop ».

« Un jour fau­dra bien qu’on les arrête ».