La Réjane, premier EP (© Annsophie Lombrail)

La Réjane, pre­mier EP (© Ann­so­phie Lombrail)

27 décembre 2016 – La Réjane, premier EP

avec Hélène Argo (paroles et musiques) et Tho­mas Cœu­riot mul­ti-ins­tru­men­tiste qui signe arran­ge­ments et réa­li­sa­tion et co-signe la com­po­si­tion de plu­sieurs titres.

Voi­là un enre­gis­tre­ment de six chan­sons qu’aucune rumeur, aucun vent n’a préa­la­ble­ment escor­té et por­té jusqu’à nous. La Réjane, ce nom sonne comme celui d’un bateau, un de ceux que le goût de l’aventure pousse fort loin des terres connues. Au prix des vents contraires, des flots amers. Au prix du risque. Il faut d’ailleurs un peu, beau­coup de ce goût là pour se lan­cer dans cette aven­ture qu’est la créa­tion et la dif­fu­sion de chan­sons fran­çaises. On com­prend qu’il fut d’autres aven­tures aupa­ra­vant, en langues étran­gères, anglais, portugais.

Pour l’aventure c’est bien par­ti car la cou­ver­ture du disque nous appelle déjà à l’évasion vers ailleurs. Une jeune femme à la che­ve­lure brune et bou­clée, à la peau d’ambre et de miel, La Réjane donc, pose comme une prin­cesse orien­tale, yeux bais­sés, bouche car­min. Elle porte au cou, comme une torque antique, une corde dont elle tient en mains l’extrémité. Pas tout à fait libre, pas tout à fait asser­vie non plus. Mys­té­rieuse Réjane…

La pre­mière chan­son offre son lot de mys­tère en effet. Une voix s’élève, por­tée par une ample et com­plexe orches­tra­tion de pia­no, cordes, bat­te­rie, une belle voix tein­tée d’orient qui nous a rap­pe­lé immé­dia­te­ment celle de Dali­la Azouz  du duo aqui­tain Soham. Le titre Reine à Baby­lone pour­suit le rêve d’un ailleurs avec un texte qui nous ramène au thème de la réclu­sion, de l’enfermement dans on ne sait quel lieu où rôdent des « blouses [qui] s’af­folent » et dont on ne s’évade qu’en ima­gi­na­tion : « A la tom­bée du jour je suis à Baby­lone /​Une noble reine au regard morne /​C’est la vie pro­mise si je reste bonne… » On devine quatre murs qui veulent vous pro­té­ger de tout, « de la pluie /​Des gifles du vent, de la vie ». Alors assez vite on com­prend qu’effectivement ce disque nous parle d’enfermement, de liens, « les cordes que l’on se passe au cou, les chaînes et les amarres que l’on choi­sit d’attacher ou de briser ».

Tout natu­rel­le­ment, on s’attache à la deuxième chan­son qui évoque un autre enfer­me­ment si com­mu­né­ment par­ta­gé. Il décline ce qu’en amour on tente de com­prendre : « Prendre de la dis­tance, j’aimerais bien mais je n’ose pas ». Dans ce texte viennent s’insinuer quelques images sen­sibles pour dire l’appel du large « cares­ser les champs d’orge tendre, par­ta­ger leurs transes dans l’orage… »

« Dans ce duel imbé­cile », tout prend par­fois autour de nous d’étranges appa­rences. Tout se trans­forme « quand un mot plus haut résonne /​On a peur, on se braque, est-ce qu’on a bien com­pris ? » Il pleut sur nous, sur notre amour. « Tout est mélan­gé de mou, ne griffe plus pareil »(Au bois).

Sans doute le pire enfer­me­ment (Petit cœur) est-il en soi-même – ici l’orchestration convoque gui­tare élec­trique et bat­te­rie – pour celui qui refuse d’aimer, avec un cœur qui bat pour rien, pour per­sonne. Seul. « Mais un jour…Une main dans la tienne…tu verras… »

Sans doute la belle méta­phore de La Sirène bou­le­verse –t- elle la dis­tri­bu­tion des rôles en s’adressant au Capi­taine pour lui offrir « criques secrètes, anses cachées, havres sans res­sac, retraites dorées »… Peu de chance que le Capi­taine puisse résis­ter à ce chant : « Suis-moi Capi­taine, suis moi Capi­taine ! » Il dénoue­ra ses liens au chant de la sirène, on veut bien le parier. « Au diable les amarres, au diable les marées ! »

Il est d’autres liens plus dou­lou­reux encore à bri­ser nous dit la der­nière chan­son Pous­sière, ces liens qui nous attachent à une terre, à nos pères. Il est là ques­tion d’exil, du don de « [sa] jeu­nesse pour une vie entière ». Des nota­tions dou­lou­reuses à peine sug­gé­rées, la faim, l’obscurité, les mains qui se tendent pour jeter des pierres… Et du cou­rage et des doutes et la peur tou­jours, « de cale en soute ». Superbe et ter­ri­fiante chan­son qui finit ain­si : « Tom­ber sur vos routes ou sur celle de mes pères /​Je fini­rai pous­sière /​Là ou ailleurs je fini­rai pous­sière. »

Vous l’aurez com­pris, La Réjane, cette prin­cesse orien­tale, cette sirène, « nou­velle venue dans le pay­sage fran­co­phone » a bien des atouts. Le nom véri­table de cette artiste, Argo, navire des Argo­nautes, ne la pré­des­ti­nait-il pas à une quête de je ne sais quel tré­sor fabuleux ?