Détours de Chant, Yanowski, La passe interdite (Ⓒ Stéphane Laniray)

Yanows­ki, La passe inter­dite (Ⓒ Sté­phane Laniray)

4 février 2016 – Détours de Chant /​La passe interdite

Yanows­ki (textes, musiques, inter­pré­ta­tion), Hugues Bor­sa­rel­lo (vio­lon), Samuel Parent (pia­no). Arran­ge­ments : Gus­ta­vo Beytelmann

Le Bijou (Toulouse) – Sortie de l’album le 19 février

Si vous jetez un œil sur l’actualité 2015 – 2016 de Yanoswski, apprê­tez- vous à en avoir le tour­nis. Sans jamais avoir vu l’interprète, vous per­ce­vez déjà un créa­teur hors normes. Vous com­pre­nez assez vite que son talent est pro­téi­forme et qu’il sera dif­fi­cile de le clas­ser dans une caté­go­rie. Conteur, chan­teur, écri­vain, met­teur en scène, pour Agnès Bihl notam­ment. Et bien enten­du les hyper­boles l’escortent en presse : excep­tion­nel, fas­ci­nant, unique, révo­lu­tion­naire, gran­diose… C’est dire si l’attente est forte quand on vient décou­vrir cette Passe inter­dite, sur­tout si l’on a eu l’extrême avan­tage de l’avoir vu au cours des dix der­nières années, avec Fred Par­ker, dans le Cirque des Mirages. 

On en était sor­ti aba­sour­di, sonné !

Qu’allait-il nous mon­trer ce soir qui pour­rait bien nous sur­prendre encore ?

Les musi­ciens s’installent, vio­lon à jar­din, petite sil­houette au cha­peau de Hugues Bor­sa­rel­lo et pia­no à cour. Samuel Parent en petit gilet élé­gant, tourne le dos. Tous deux nous paraissent si jeunes pour tant de dex­té­ri­té, de maî­trise tout au long du concert. Pas une faille, pas un temps d’hésitation. Ose­rons-nous dire : la per­fec­tion au ser­vice du jeu de Yanoswski.

Il entre. Cos­tume gris, années 30. Pan­ta­lon large sou­li­gnant haut la taille, redin­gote aux longs pans, sou­li­gnée d’une bou­ton­nière où s’affiche un œillet rouge. Sa taille est déme­su­rée. Un géant. Deux mètres exac­te­ment, nous diront plus tard les musiciens.

Pas cha­lou­pé. Regards sombres aux yeux maquillés, ombrés de noir. Mains au bout de ses longs bras, des­si­nant une cho­ré­gra­phie élé­gante, racée, manié­rée, inquié­tante. Le jeu est appuyé, natu­ra­liste comme celle de la sil­houette d’un Nos­fe­ra­tu de Mur­nau. C’est l’une des réfé­rences qui nous viennent. Elle sera rejointe au cours du spec­tacle par Dorian Gray et Oscar Wilde – com­ment ne pas y pen­ser en écou­tant le récit de l’Homme au miroir ? – par Edgar Poe ou les contes fan­tas­tiques de Mau­pas­sant… par Bau­de­laire. La musique aus­si sou­ligne l’atmosphère réso­lu­ment fan­tas­tique, qu’elle nous trans­porte à Bue­nos Aires, sur les terres du tan­go, à Prague, à Var­so­vie, à Rosa­rio avec les mafieux, les cra­pules, les putains, à Bratislava.

Il y a dans ce spec­tacle des chan­sons et des his­toires mêlées.

Il y a de l’alcool qui enivre à vou­loir se pendre à la lune (Je suis soûl). La lune, par­lons-en, elle est infer­nale. Il y a de la neige dans les rues qui dis­pa­raît trop vite, et met à nu les « cœurs décou­sus » (Te sou­viens-tu ?) Il y a un vieux gitan et son vio­lon du diable qui fait tour­noyer sans fin. Il y a Petrou­ch­ka et cette Che­vau­chée épique, tris­te­ment inter­rom­pue au cri de : j’peux pas parc’que je ‘suis mariée… ! Moment de franche hila­ri­té ! Il y a le rêve inas­sou­vi d’El Senor Samuel de jouer Mozart, mobile de ses crimes… Il y a la ville, la rue noire et son men­diant, un caba­ret, une vitrine, une boîte à musique qui fait vaciller la mémoire et cou­ler les larmes (C’est la rue). Il y a sur­tout l’Auberge des adieux, sous la lune encore, « entre ici-bas et l’ombre des enfers », où l’on s’en vient « brû­ler la noce une der­nière fois pour toutes »… On fris­sonne à l’entendre, même si c’est un furieux appel à la vie : « Conti­nue d’aimer la vie la danse et les soleils ». Il y a un cabi­net de curio­si­tés et La pou­pée méca­nique rap­por­tée quand la lune divague… Il y a la danse, le tan­go où l’on se ren­dait « à l’heure où la lune indigo/​Pleure sa las­si­tude sur les dalles » et cette malé­dic­tion de La passe Inter­dite. Elle ouvre le concert et clôt l’album qui pro­longe et com­plète admi­ra­ble­ment l’instant éphé­mère du spectacle.

Le livret de l’al­bum per­met de se délec­ter à la lec­ture des textes, comme avec C’est fra­gile la vie d’un homme.

On vous en offre les pre­miers vers :

« C’est fra­gile la vie d’un homme

Ca ne tient qu’à un rien

Ca ne tient qu’à l’amour

Et puis ça vous retient

De dire à tous ceux-là

Qu’on aime sans mot dire

Qu’on vou­drait les étreindre

Du bout des larmes… »