La Reine Garçon - 2021(©Guendalina Flamini)

La Reine Gar­çon - 2021 (© Guen­da­li­na Flamini)

4 décembre 2021 – La Reine Garçon

Concert du duo

Avec

Fabien Gui­dol­let & Del­phine Pas­sant (textes, musiques, gui­tares, chant)


La Grande Famille bar cultu­rel – Pin­sa­guel (Haute-Garonne)

Voi­là que nos pas nous ramènent au café culture La Grande Famille, qui, déci­dé­ment, a bien du talent pour pro­vo­quer des ren­contres plus que sin­gu­lières. On ne sau­rait trop conseiller aux ama­teurs de musiques et de chan­sons – mais pas seule­ment – aux dif­fu­seurs plus encore, de se mon­trer curieux et soli­daires et de venir jusqu’à Pin­sa­guel, au sud de Toulouse.

Mais lais­sons les sujets qui nous irritent et son­geons à ce que nous avons décou­vert ce soir dans l’intimité d’un lieu par­fai­te­ment adap­té à ce qui nous atten­dait, La Reine Gar­çon, le nou­veau pro­jet de Fabien Gui­dol­let. Nous l’avions revu l’été der­nier même avec Sam­my Decos­ter, invi­tés par Le Relais de Poche en Ariège. Nous étions quelques pri­vi­lé­giés ce soir-là, dans une petite cour de vil­lage à nous lais­ser ravir, empor­ter par ce qu’il faut bien nom­mer le charme, la puis­sance ensor­ce­lante du chant de Fac­teurs Che­vaux. C’était évident, nous retrou­vions cette sen­sa­tion déjà vécue il y a cinq ans. Nous avions alors écrit : « Du texte de leurs chan­sons, émerge la cer­ti­tude d’un monde où tout n’est qu’illusion, que rêve, où tout est mena­cé d’immersion sous les eaux, d’engloutissement, de disparition… »

Inutile donc de pré­ci­ser que ce soir l’attente était forte et quand Fabien Gui­dol­let et sa com­pagne Del­phine Pas­sant sont entrés dans le cercle lumi­neux, se sont empa­ré de leurs gui­tares, nous rete­nions déjà notre souffle… Fabien s’est pla­cé tout près der­rière Del­phine, les mots se sont élevés :

« Tu es la fille que je vou­lais être /​Toi tu voles dans le soleil… »

Les voix s’assemblent, se répondent, les gui­tares se frôlent. Nous sommes immé­dia­te­ment immer­gés dans leur inti­mi­té. Bou­le­ver­sante inti­mi­té puisque Fabien porte robe longue noire sur son corps lon­gi­ligne, che­veux blonds mi-longs, maquillage et bijoux et Del­phine, la sobrié­té d’un ensemble pan­ta­lon veste gris. Le mes­sage nous semble clair d’emblée et le devien­dra de plus en plus au fil du concert. Inutile de se réfu­gier der­rière leur excep­tion­nel jeu de gui­tares, der­rière l’harmonie de leur duo vocal. Il s’agit bien de nous trans­por­ter dans un long com­bat que doivent mener cer­tains êtres humains pour atteindre l’autre rive, celle de leur véri­table iden­ti­té. Le titre J’écope en dit long, mes­sage à peine sub­li­mi­nal sous l’image de « l’idiot du vil­lage »… Écou­tez un peu : « Je vou­drais his­ser ma pierre /​Là-haut sur la col­line /​Mes plans sur la comète /​Dégrin­golent aus­si vite… » Et nous admi­rons le cou­rage face aux « artilleurs ». Il en faut à Fabien et Del­phine – de long­temps sa com­pagne et mère de ses deux enfants – pour appor­ter en scène la dimen­sion de cette tra­ver­sée, cette route. Fabien nous dira : « Chaque mor­ceau est un caillou, nous sommes deux petites pou­cettes sur le che­min du retour. » Voi­là, tout est dit. Ce sont bien deux femmes qui chantent ce soir. D’ailleurs, c’est ain­si que l’image de ce duo, de chan­son en chan­son, s’impose à nous : un « duo fémi­nin pluriel ».

Si Fabien assure le chant lead, Del­phine est en per­ma­nence à ses côtés et nous assis­tons à un sub­til jeu de voix et de gui­tares nous enve­lop­pant d’un chant qua­si litur­gique. Quand Fabien est déli­vré de la gui­tare, ses longs bras amorcent une cho­ré­gra­phie, comme dans leur inter­pré­ta­tion de L’île, texte qui nous trans­porte en terre rêvée, proche de l’enfance per­due, « Quelques mai­sons blanches, des arbres /​qui penchent, un trou­peau de chèvres /​… un para­dis » où se réfu­gier pour s’aimer. Par­fois le duo chante au plus près de nous, a capel­la, et la dou­ceur des mots nous vient en caresse, avec ce « doux par­fum d’origan » de La fille du vent, magi­cienne, sirène pour nous gui­der dans la tem­pête. Fabien égrène quelques confi­dences et c’est ain­si qu’il évoque leur fils et un des­sin ani­mé qu’ils regar­daient ensemble pour intro­duire une trou­blante chan­son, qua­si apo­ca­lyp­tique, évo­quant la dis­pa­ri­tion des dino­saures aux­quels nous pour­rions bien res­sem­bler un jour : Nos visages se cra­quellent dans la crique ensa­blée… Tout est sec… Nos cœurs sont cal­ci­nés… Nos empreintes sur la pierre ont fini par sécher… Cer­tains matins d’hiver on nous entend hur­ler… » Mais le plus sou­vent, nous sommes au plus près de la quête de cha­cun de nous pour par­ve­nir à l’accord inté­rieur, comme dans Accepte-toi, un appel puis­sant à soi-même : Qu’est-ce que ça fait de faire comme si tu n’étais per­sonne ? /​De refu­ser de t’en aller où ton cœur te porte ? … Oui tu as bien le droit /​De vou­loir t’enfuir ailleurs /​De rêver de jours meilleurs /​De vou­loir tou­cher un autre toi. » Nous sommes trans­por­tés par­fois au plus près des mythes enfouis en nous, aper­ce­vant alors la caval­cade oni­rique de « che­vaux sous la mer… La cri­nière flot­tant… se cabrer sans espoir dans les vagues de la marée mon­tante… » Car la nature entière par­ti­cipe de cette che­vau­chée pour aller au devant de soi : le ciel, la terre, les eaux sur­tout, omni­pré­sentes. Quand l’amour se meurt, « s’engourdit peu à peu », il est à la mer et « nous ne voyons plus le ciel /​Ni les marées qui courent. » Un jour pro­chain sans doute, Fabien et Del­phine chan­te­ront ce titre de l’album pour l’heure absent du concert, Sous la neige : « Sous la neige /​Où se trouve mon che­min… Engour­di me voi­là pris au piège /​D’un corps qui n’est plus le mien /​Pri­son­nier d’une simple erreur du des­tin… »

Naître à soi-même, Fabien Gui­dol­let n’a –t‑il pas, peu ou prou – peut-être de façon incons­ciente dans le pas­sé- tou­jours écrit sur cette quête, sur ce besoin de s’arracher à ce qui nous prive de liber­té d’être, à ce qui pour­rait nous englou­tir, nous faire dis­pa­raître ? « Emmène-moi vers le soleil /​Loin des hommes char­gés en sta­tues de sel… Emmène-moi au gré du vent… » chantent Fac­teurs Che­vaux dans Fir­ma­ment (album Chante-Nuit).