Mathilde, L’hymne des Femmes, 2021 (©Droits Réservés)

Mathilde, L’hymne des Femmes, 2021 (©Droits Réservés)

01 décembre 2021, De clip en clip # 9

« Au gré des vents, des vents contraires »

Avec

Mathilde, L’hymne des femmes, sur l’air du Chant des dépor­tés ou Chant des Marais, clip coréa­li­sé par Eléo­nore Aiguillon, Solène LargeCamille Pol­let, avec la par­ti­ci­pa­tion de cin­quante femmes 

Evie, Des vents contraires (texte et musique Auré­lie Viteau), album Le Hic, sor­ti en mai 2021, réa­li­sa­tion Lilian Alleaume, tour­né dans l’Yonne

Emi­lie Marsh (paroles et musique) Dun­hill, album NEVΛDΛ, sor­ti le 15 octobre, réa­li­sa­tion Alexandre Attias

Julie Lagar­rigue (paroles et musique), Nuits de lumières,  album à paraître en février 2022 La mue du ser­pent blanc, réa­li­sa­tion Sté­phane Grenet

Kirane /​Estelle Grand (paroles Estelle Grand et William Radet, musique et arran­ge­ments Estelle Grand) Je suis moi-même, extrait de l’E.P Jour, sor­ti le 20 octobre avec l’accompagnement de la revue Fran­co­Fans– second EP à venir au prin­temps, réa­li­sa­tion Alexis Cohen


En aurons-nous fini un jour, nous, femmes, des vents contraires ? Trou­ve­rons –nous notre zéphyr, notre brise douce et légère, pour nous por­ter plus haut, plus loin ? L’actualité nous affole avec ses révé­la­tions, toutes plus nau­séa­bondes les unes que les autres, met­tant au grand jour les abus, le mépris dont nous avons été, dont nous sommes, les vic­times réduites au silence…

Alors don­nons d’abord toute sa place à cet hymne créé col­lec­ti­ve­ment en mars 1971 par des mili­tantes fémi­nistes à Paris et que reprend aujourd’hui la chan­teuse Mathilde. Cette chan­son écrite sur l’air du chant des dépor­tés com­mu­nistes alle­mands du camp de Bör­ger­noor est deve­nue un emblème du Mou­ve­ment de Libé­ra­tion des Femmes et plus géné­ra­le­ment des luttes fémi­nistes fran­co­phones. « Je suis fière, dit Mathilde, que cin­quante de ces héroïnes, de la lumière comme de l’ombre, m’aient rejointe cette année encore pour rap­pe­ler à nos sœurs que nous ne les oublions pas. Pour se tenir debout, et trou­ver ensemble le cou­rage de se rele­ver tou­jours. Femmes vic­times de vio­lences, conju­gales, sexistes, sexuelles, nous vous croyons. Et nous vous dédions cet hymne. »

« Le temps de la colère, les femmes, /​Notre temps, est arri­vé, /​Connais­sons notre force, les femmes, /​Décou­vrons-nous des mil­liers ! »

Appel à la soro­ri­té donc…. Ensemble révol­tons-nous ! Ces cin­quante femmes défilent, toutes, ano­nymes ou célèbres, femmes de tous âges, fil­mées dans un décor urbain avec le même cadrage. Femmes debout, le regard fier. Cer­taines esquissent un sou­rire, d’autres portent leur poing au cœur, d’autre le lèvent… Cette suc­ces­sion de plans où nous recon­nais­sons au pas­sage quelques figures célèbres, Cathe­rine Hie­gel, Najat Val­laud-Bel­ka­cem, Juliette, Marianne James… est un lan­gage clair, per­cu­tant, celui de l’affirmation de soi, de la volon­té, de la force… Mathilde, fil­mée sou­vent en contre-plon­gée, fait figure dans ce clip de « Liber­té gui­dant le peuple »… Le peuple des femmes.

Com­pre­nez donc qu’aujourd’hui nous avons déli­bé­ré­ment choi­si des clips de chan­teuses. Juste un peu plus de lumière, le temps de cette chro­nique… Sororité…

Nous avons rete­nu d’abord les images de la chan­son d’Evie tour­nées dans son « petit pays », la Bour­gogne. Le clip Des Vents contraires s’ouvre sur un clair obs­cur où appa­raissent deux joueurs d’échecs, image, nous dit-on, ins­pi­rée de la scène mythique de L’af­faire Tho­mas Crown (1968), oppo­sant Faye Duna­way et Steve Mc Queen. Le rap­pro­che­ment ne manque pas de piquant. Vient ensuite l’alternance de plans nous mon­trant la chan­teuse qui inter­prète sa chan­son en s’accompagnant à la basse et un superbe dan­seur black expri­mant sa lutte, sa dou­leur amou­reuse, sur fond de musique élec­tro, dans la rue vide d’un vil­lage, sur une voie de che­min de fer à l’abandon, au bord d’une rivière. « A contre pied, à contre cœur » la belle sil­houette fémi­nine brune lui échappe… A quoi ça tient à quoi ça sert /​et même si on a tout pour se plaire /​ain­si s’en vont les âmes soli­taires / au gré des vents des vents contraires/ à contre­pieds à contrecœur/​nous laissent à quai ou nous emmènent ailleurs … Ain­si vont nos ren­dez-vous man­qués, nos amours éphé­mères qui nous laissent leur par­fum nos­tal­gique. Mais la par­tie d’échecs n’a pas de fin.

Un seul plan du clip pré­cé­dent, le rou­geoie­ment d’un bout de ciga­rette dans l’obscurité, nous a sug­gé­ré de pour­suivre avec celui d’Emi­lie Marsh, titré Dun­hill, qui sort aujourd’hui. Vous savez, ces ciga­rettes, ces blondes qu’on fume et qu’on écrase par­fois rageu­se­ment quand plus rien ne va. Dans un décor que l’on pour­rait croire exo­tique, étran­ger, mais qui, en réa­li­té, est celui d’une car­rière de Seine et Marne, Emi­lie Marsh nous appa­raît plus star que jamais. Femme glo­rieuse : lunettes fumées, lèvres Rouge Bai­ser, che­ve­lure libé­rée, che­mi­sier d’un blanc écla­tant. Elle roule d’abord au volant d’une déca­po­table rouge, une Cadillac ruti­lante, gui­tare à l’arrière, avant de s’arrêter pour chan­ter, appuyée contre la car­ros­se­rie. « J’avance à vue, /​déviance dans les racines/​Cœur bri­sé sous la frime/ Dun­hill à terre, /​trois coups dans la poi­trine /​C’est toi la cara­bine… » La star, l’héroïne, a le cœur à l’envers, le cœur à sec sous le che­mi­sier blanc… Rien ne va plus, et pour­tant, nous le savons, elle ne s’arrêtera pas là et repren­dra sa route et ses rêves de ber­lines de luxe lan­cées à fond sur le bitume…

Dans le clip de Julie Lagar­rigue, titré Nuits de lumières, la femme se fait trou­blante, énig­ma­tique quand vient la nuit. « J’aime bien m’lever la nuit /​J’y vois plus clairAlors je sens la force /​Et voci­fère… » Dans les pre­mières images une main des­sine un visage, dans une tona­li­té sépia… Et l’on entend le gré­sille­ment d’un vinyle tour­nant sur une pla­tine… On aper­çoit, à droite de l’image, un élec­tro­phone de nos années 60 où tourne un disque. La chan­teuse appa­raît d’abord dans un halo de lumière, les che­veux cachés sous un ban­deau, vêtue d’une robe noire, s’accompagnant à la gui­tare élec­trique rouge. Peu à peu se glisse une autre sil­houette fémi­nine entra­per­çue qui semble gui­der le mou­ve­ment de ses mains, de ses bras, comme pour l’inviter dans une danse où ses che­veux sont alors déli­vrés. La main qui des­sine revient au moment de la longue plage ins­tru­men­tale finale. Etran­ge­té, magie, sor­cel­le­rie quand vient la nuit ? On pour­rait bien le croire « J’ai des nuits d’insomnie, des nuits de rayons verts »…

Après un long par­cours de pia­niste clas­sique, après avoir accom­pa­gné des chan­teurs d’opéra, par­ti­ci­pé à des comé­dies musi­cales, avoir tra­vaillé avec les musi­ciens de Didier Lock­wood, Estelle Grand affirme vou­loir pri­vi­lé­gier le plai­sir de jouer, de bous­cu­ler les bar­rières. Elle le fit d’abord en adap­tant la musique clas­sique avec bat­te­rie, per­cus­sions élec­tro, avant d’opter pour son pro­jet chan­son, Kirane.

Dans son clip, Je suis moi-même, elle confronte la femme qui appa­raît à l’image à un para­doxe qu’elle ne résou­dra pas… Elle est d’abord assise seule au milieu d’une rue vide, comme pour accom­plir un rituel. Elle dis­pose des fleurs au sol, ensuite elle s’en va en dépo­ser pas à pas sur le para­pet d’un pont. « Je suis moi-même, dit la chan­son, sur­tout quand je suis seule »… Seule ? Vrai­ment ? Pas si sûre car une autre femme – son double – vêtue de noir, la suit et ôte une à une les fleurs dépo­sées. Les plans sui­vants la confrontent à la foule, au mou­ve­ment inces­sant des pas­sants, au manège des voi­tures… « Je suis les autres par­fois… » Elle pour­suit pour­tant son rituel et s’en vient en bord de Seine pour dépo­ser des coroles de fleurs comme le font les hin­dous dans les eaux du Gange, le fleuve sacré. Arrive un homme dans la foule, une fleur sem­blable aux siennes à la bou­ton­nière, elle s’avance vers lui… On devine der­rière eux la façade de l’Opéra Gar­nier… Clin d’œil au bai­ser des amou­reux de Robert Dois­neau… « Je touche les autres par­fois s’il veulent… » Après l’image du doute, de l’hésitation, où les deux figures fémi­nines, l’une colo­rée, l’autre noire alternent sans cesse, le clip s’achève au même endroit qu’au début. La femme est cou­chée sur le pont pour la nuit qui vient…

Kirane et son pré­nom indien, « Rayon de lumière dans l’obs­cu­ri­té” ira-t-elle rejoindre Julie Lagar­rigue sa « magie sor­cière » et les longs lamen­tos de sa gui­tare élec­trique, à moins qu’elle ne choi­sisse plu­tôt de s’installer à l’arrière de la déca­po­table d’Emilie Marsh, ou d’en finir enfin avec la par­tie d’échecs d’Evie… ? Sororité…